A l’issue de quarante ans de harcèlement judiciaire, les Sub Laban ont été chassés de leur maison, que réclamaient des colons juifs, le 11 juillet.
Ahmad Sub Laban est surpris que la police israélienne « ait trouvé le temps d’expulser [ses] parents aujourd’hui ». Mardi 11 juillet avant l’aube, sa famille a été chassée de sa demeure, dans la Vieille Ville de Jérusalem, pour faire place à des colons qui s’y sont immédiatement installés. Les policiers avaient pourtant fort à faire, alors que des milliers d’Israéliens s’apprêtaient à défiler dans les rues du pays. Ceux-là scandaient « démocratie » et tentaient de « sauver » la Cour suprême d’une réforme voulue par le gouvernement de Benyamin Netanyahou, censée libérer l’exécutif d’une part du contrôle qu’exerce la Cour sur ses actes.
L’éviction des Sub Laban, passée presque inaperçue en Israël, clôt plus de quarante ans de harcèlement judiciaire – de multiples procédures qui se sont achevées par un refus de la Cour suprême d’examiner un dernier appel de la famille, en janvier. Un tribunal local israélien avait estimé, peu avant, que la maison pouvait passer aux mains du groupe de colons juifs Atara Leyoshna, qui s’en était fait reconnaître la propriété une décennie plus tôt.
« C’est cette Cour suprême qui avait accordé à mes parents de rester encore dix ans chez eux en 2016, en espérant qu’ils meurent d’ici là, et elle n’a même pas tenu parole. C’est cette Cour qui avalise un régime discriminatoire entre deux nations, accordant des droits aux juifs et les refusant aux Palestiniens », estime Ahmad Sub Laban, employé de l’association israélienne Ir-Amim, qui défend les droits des Palestiniens dans la Ville sainte.
Les colons qui se sont installés chez eux se veulent les héritiers d’anciens propriétaires juifs, chassés durant la guerre de 1948, à la naissance de l’Etat d’Israël, lorsque la ville est divisée en deux. La justice israélienne reconnaît aux juifs le droit de demander la restitution de propriétés d’avant-guerre dans la partie arabe de la ville, mais pas aux héritiers de Palestiniens chassés alors de Jérusalem-Ouest.
« Je me sens misérable »
Les parents d’Ahmad avaient promis qu’ils n’ouvriraient pas la porte aux policiers. Ces derniers l’ont enfoncée et ont évacué le père de famille, Mustafa, 74 ans, ainsi que des militants juifs qui campaient chez lui afin de lui porter secours depuis des semaines des boucliers humains, dont plusieurs ont été arrêtés. A l’aube, l’épouse, Norat Gaith-Sub Laban, 68 ans, était absente: elle avait été brièvement hospitalisée la veille pour une hernie discale.
Depuis des mois, ces deux parents, de santé fragile, étaient moins présents chez eux. Les colons qui observent leurs allées et venues avaient exploité ces absences pour réactiver la procédure d’expulsion en justice. « Je me sens misérable. Ils ont pris ma mémoire et mon avenir », raconte la sexagénaire, assise dans la rue sous ses fenêtres, plus tard dans la matinée.
Une fillette blonde d’une dizaine d’années tire une lourde valise bleue jusqu’à la porte de l’immeuble et entre prestement. On a le temps d’apercevoir dans l’entrebâillement une immense bibliothèque remplie d’ouvrages religieux juifs à la reliure dorée, d’allure neuve.
Au fil des années, les Sub Laban étaient devenus les derniers habitants palestiniens de cette imposante bâtisse de la rue Khalidiya, où trois familles de colons israéliens se sont implantées. D’autres occupent des appartements alentour, en contrebas d’une synagogue fréquentée par une petite secte ultraorthodoxe issue du mouvement Bratslav, ouverte aux marginaux et aux radicaux.
Pression constante sur les quartiers arabes
Les Sub Laban ont refusé de vider l’appartement : ils conservaient leurs meubles et un frigo, ils n’avaient mis à l’abri que leurs photographies. Ce refus leur vaut une amende d’environ 7 400 euros. Un voisin palestinien interroge Ahmad sur les raisons du chahut qui règne dans leur rue. Il ignorait que l’expulsion avait eu lieu et passe son chemin. Autour de la famille, quelques dizaines de militants juifs en faveur des droits des Palestiniens manifestent. Mais les Palestiniens eux-mêmes sont peu présents. « Ils ont peur d’être arrêtés ou de recevoir à leur tour un ordre d’expulsion de la mairie, qui en a distribué ces derniers mois », explique Ahmad. Chacun savait aussi que le sort des Sub Laban était écrit.
Les habitants de la Vieille Ville réagissent peu, de longue date, aux coups de force des colons contre leurs voisins. Au côté d’Ahmad, un militant juif brandit une pancarte : « C’est un nettoyage ethnique. » L’accusation est exagérée. En dépit des tentatives d’Israël de chasser les Palestiniens de la Vieille Ville, leur nombre y demeure constant depuis sa conquête, en 1967: plus de 30 000 habitants.
Quelque 3 000 juifs s’y sont depuis lors réimplantés. A l’échelle de la ville entière (quelque 950 000 habitants), les Palestiniens représentent aujourd’hui environ 40 % de la population, contre 25 % en 1967. Cependant, l’Etat israélien exerce sur chacun une pression constante: la mairie empêche le développement des quartiers arabes, elle cherche à imposer ses programmes dans leurs écoles, ramasse très peu leurs ordures et ne leur consacre qu’une fraction du budget qu’elle réserve aux quartiers juifs.
Selon l’association Ir-Amim, quelque 20 000 familles de la ville risquent de voir leur maison détruite, puisque Israël n’accorde pas de permis pour les construire. Dans la Vieille Ville, treize foyers sont menacés d’une expulsion imminente au même motif que les Sub Laban, dont quatre familles voisines de la synagogue. C’est le cas des Hashimeh, qui ont reçu leur ordre d’éviction en 2021. Ils ont récemment empêché leurs voisins juifs, deux familles de colons installées dans l’immeuble, d’en fermer la cour à l’aide d’une grille automatique et d’un digicode.