Une croisade éducative à Jérusalem Est

Sous prétexte de « sécurité nationale », Israël intensifie ses attaques de longue date sur l’éducation palestinienne dans la ville.

AU MILIEU de la journée scolaire du 7 mai, les forces israéliennes ont pris d’assaut trois écoles de l’Agence des Nations Unies pour le Secours et les Travaux (UNRWA) du camp de réfugiés de Shuafat de Jérusalem Est. Accompagnés par des responsables du ministère de l’Éducation, des agents de police lourdement armés ont évacué les 550 élèves des écoles, âgés de six à 15 ans. « Nombreux parmi ces enfants préparaient leurs derniers examens et sont rentrés en larmes chez eux », à dit à Jewish Currents [magazine de gauche] Roland Friedrich, à la tête de l’UNRWA en Cisjordanie et à Jérusalem Est. « Ce fut une expérience très traumatisante pour les enfants, et en violation évidente du droit international et de leur droit à l’éducation. »

Depuis que les Accords d’Oslo ont procuré à l’Autorité Palestinienne (AP) une autonomie sur la politique éducative, les élèves, tout au moins dans les écoles de Jérusalem Est – y compris celles gérées par l’UNRWA – ont été enseignés selon un programme fondé sur l’histoire et la culture palestiniennes. Les groupes et les politiciens israéliens de droite ont réagi en menant une campagne soutenue contre ces institutions – les accusant de promouvoir le terrorisme et essayant de les obliger à adopter un programme scolaire israélien. Étant donné l’intérêt de longue date d’Israël pour la fermeture de l’UNRWA, les écoles de l’agence à Jérusalem Est sont devenues une cible particulière – spécialement après le 7 octobre. Encouragés par des meneurs de tous horizons accusant l’agence de collaboration avec le Hamas, en mai 2024, des manifestants israéliens ont menacé le personnel de l’UNRWA avec des fusils et ont mis le feu au pourtour du complexe de l’organisation. En octobre de la même année, la Knesset a voté une nouvelle législation pour expulser l’UNRWA de Jérusalem Est et criminaliser tout contact officiel avec l’agence ; le raid sur Shuafat a représenté l’application de cette loi.

La fermeture des écoles de l’UNRWA, qui instruisent moins de un pour cent des élèves palestiniens de Jérusalem Est, n’est qu’une première étape d’une campagne israélienne qui s’intensifie pour mettre le système éducatif palestinien de la ville sous le prisme de la sécurité. En novembre 2024, le gouvernement israélien a voté une loi autorisant le ministère de l’Éducation à refuser de financer les écoles où « des expressions de sympathie envers des actes terroristes existent ou sont autorisées ». Cette loi a également autorisé le ministère de l’éducation à renvoyer des enseignants suspectés d’avoir ce genre de sympathies. Un autre projet de loi, qui empêcherait toutes les écoles d’Israël d’embaucher à l’avenir des diplômés des universités palestiniennes, en est aux phases finales d’approbation et devrait devenir une loi. (Soixante pour cent des professeurs des écoles de Jérusalem Est sont d’anciens élèves des institutions palestiniennes.)

D’après les critiques, le but ultime d’Israël avec ce genre de mesures, c’est de faire disparaître l’identité palestinienne. Dans un récent rapport, Ir Amim, ONG israélienne qui travaille à la promotion d’une Jérusalem plus équitable, a décrit cette nouvelle politique comme « une attaque directe contre le droit des enfants de Jérusalem Est à s’instruire conformément à leur identité, leur héritage et leur culture ». Le politologue Nathan J. Brown, qui a fait des recherches sur le développement et le contenu du programme éducatif de l’AP, en est convenu. Les attaques d’Israël sur l’éducation font « partie d’un plus large projet qui vise à liquider toutes les structures et les institutions de la vie nationale palestinienne », a-t-il dit à Jewish Currents, afin que vous ne vous retrouviez qu’avec des Palestiniens sans Palestine ».

PEU APRÈS QU’ISRAËL ait occupé Jérusalem Est en 1967, il a essayé de remplacer le système éducatif jordanien par une alternative israélienne. « Depuis le tout début, Israël a voulu modifier le programme éducatif en moyen pour asseoir sa souveraineté sur Jérusalem », a dit à Jewish Currents Gaal Yanovski, chercheur à Ir Amim. Seule une grève générale de la population palestinienne a obligé Israël à renoncer à ces projets, et le programme éducatif jordanien est resté en place pendant plusieurs décennies – révisé et censuré par les autorités israéliennes, mais pas entièrement sous son contrôle.

Après la signature des Accords d’Oslo, le système éducatif de Jérusalem Est est passé dans les mains de l’AP nouvellement établie qui a développé un programme éducatif qui mettait davantage l’accent sur l’histoire et l’identité palestiniennes. L’establishment de la sécurité d’Israël ne s’est tout d’abord pas intéressé à contester ce programme ; tant que l’AP respectait ses engagements sur la sécurité, a dit Brown à Jewish Currents, Israël se contentait de laisser la question de l’éducation palestinienne exister. « Ce n’est que lorsque Netanyahou a été élu pour la première fois [en 1996] sur un programme de rejet des Accords d’Oslo qu’il a désespérément cherché une nouvelle excuse pour échapper à la part israélienne du marché », a-t-il dit. « Et il l’a trouvée en s’attachant à ‘l’incitation’ dans l’éducation .. et en la présentant comme un facteur principal du conflit. »

Même ainsi, le statu quo a été long à changer, et n’y est parvenu que dans le contexte des crises sécuritaires des années 2010. C’est à cette période que les responsables ont commencé à se retourner vers le système éducatif palestinien comme une explication aux explosions de violence, aboutissant à une réalité où « éducation et terrorisme sont étroitement liés dans la psyché israélienne », selon Tess Miller, membre du personnel d’Ir Amim. Ce changement est devenu particulièrement marqué à la suite de l’« intifada des couteaux » de 2015 et 2016, quand la jeunesse palestinienne a mené une vague d’attaques au couteau à travers Israël. Par la suite, les responsables de l’éducation ont formulé ce que l’historien Amnon Ramon décrit comme « le premier plan d’encouragement des écoles de Jérusalem Est à une transition vers un programme éducatif israélien grâce à un budget supplémentaire spécial ». Ce plan offrait des ressources supplémentaires aux écoles qui suivaient le programme israélien, le ministre de l’Éducation d’alors, Naftali Bennett, déclarant explicitement qu’il voulait prioriser « chaque école qui choisit le programme éducatif israélien » afin de « faciliter le processus d’israélisation ».

En 2018, cette logique en viendrait à être institutionnalisée dans la Résolution 3790, premier plan quinquennal d’Israël pour les Palestiniens de Jérusalem Est. Tandis que la résolution était présentée comme un vaste programme d’investissement, près de ses 445 millions de NIS (133 millions $) de budget de l’éducation était spécifiquement réservé aux écoles qui avaient adopté le programme éducatif israélien. « Le plan comprenait des dizaines de chapitres et de buts, mais sa véritable pièce maîtresse était le transfert des Palestiniens sur le programme d’études israélien », a expliqué Yanovski d’Ir Amim. Il faisait remarquer qu’« il existait encore une possibilité de choix dans ce programme » parce que le programme éducatif israélien était encouragé plutôt qu’imposé : « L’idée était qu’avec de bonnes mesures incitatives, les parents [palestiniens] finiraient par considérer que c’était mieux pour eux. » Mais le véritable but de ces changements, et la menace voilée qu’ils cachaient, était toujours clair. Comme l’a clarifié en 2018 le maire d’alors de Jérusalem Nir Barakat alors qu’il proposait une version antérieure d’une loi pour expulser l’UNRWA de la ville, le véritable but des dirigeants israéliens dans la ville était de « mettre fin au mensonge du problème des réfugiés palestiniens’ et aux tentatives de création d’une fausse souveraineté [palestinienne] à l’intérieur de la souveraineté (israélienne] ».

Ces dernières années, Israël a continué de travailler à l’optimisation de ses investissements pour obliger les Palestiniens à changer leur programme d’études. Pour 2024-28, le gouvernement a alloué un budget accru de 860 millions $ à Jérusalem Est, 215 millions étant réservés pour l’éducation. Les écoles devaient adopter le programme d’études israélien pour recevoir une grande partie de ce financement. En réalité, ce budget fixe des objectifs explicites pour augmenter la part des élèves qui étudieront selon le programme israélien dans les écoles de Jérusalem gérées par la municipalité, de 24 % en 2022-23 à au moins 45 % vers 2027-28. (D’après les données municipales obtenues par Ir Amim, le chiffre s’est maintenu à 27 % à compter de ce mois d’août.)

Depuis le 7 octobre, la volonté de réformer le système éducatif palestinien s’est accélérée, l’extrême droite prétendant sans cesse que l’éducation palestinienne constitue une « incitation » à la violence. Au cœur de cette dynamique, on trouve Avichai Boaron, colon militant et député du Likoud, qui a pris en 2024 la présidence de la sous-commission de la Knesset sur le système éducatif de Jérusalem Est, et qui traite l’enseignement des Palestiniens comme une urgence de la sécurité nationale. Dans ce rôle, Boaron a dit que « chaque salle de classe où il y a une incitation au terrorisme est une salle de classe où se trouvent 30 terroristes potentiels ». Poursuivant sur cette logique, il a suggéré qu’Israël finance la requalification des professeurs palestiniens afin de traiter ce genre d’« incitation » et, dans un discours enflammé à la Knesset, il a prévenu le ministre des Affaires de Jérusalem Meir Porush que « les enfants du 7 octobre 2030 de Jérusalem Est seront entre vos mains » après que ce dernier ait refusé d’adopter la proposition de Boaron de 100 millions de NIS (30 millions $) pour requalifier les professeurs.

Grâce au plaidoyer de Boaron et de sa clique, le volet éducatif du plan quinquennal pour Jérusalem Est est resté entièrement financé malgré les coupes budgétaires drastiques qu’Israël a entreprises pour financer ses nombreuses guerres. Et, comme précédemment, ce genre de financement est ouvertement sous condition d’Israélisation. Boaron en a dit autant dans des réunions de son sous-comité, affirmant sans détour que « nous devons inculquer un seul programme éducatif israélien dans toutes les écoles et quiconque refuse de coopérer ne sera pas financé. »

POUR les Palestiniens déjà désavantagés de JÉRUSALEM EST, cette campagne pose un dilemme. Environ 70 % des jeunes Palestiniens de la ville vivent sous le seuil de pauvreté, et la discrimination structurelle a fait que des dizaines de milliers d’entre eux vont dans des écoles surpeuplées et par ailleurs de qualité médiocre. En 2023, la Cour Suprême d’Israël a estimé que ces conditions équivalaient à un « traitement différentiel » et a ordonné aux autorités de la ville de soumettre un plan pour y remédier ; pourtant, les responsables de la ville ont à maintes reprises ignoré les ordres de la cour. Ce qui a laissé les Palestiniens de Jérusalem Est désespérés d’obtenir une éducation de qualité, fait sur lequel s’appuie le droit israélien alors qu’il impose aux parents des changements impopulaires dans les programmes scolaires. « Israël a créé un vide en raison d’un manque de services élémentaires, puis a exploité la situation si bien que le seul choix laissé aux parents est d’accepter une école où ils doivent laisser de côté leur identité palestinienne », a expliqué Miller d’Ir Amim.

L’interdiction récente des écoles de l’UNRWA a renforcé cette contrainte. Shaher Alkam, président du comité des parents des écoles de l’UNRWA à Shuafat, a dit à Jewish Currents que, pendant des mois, de nombreux élèves des trois écoles fermées de force à Shuafat sont restés complètement sans école. Dans ce contexte, la plupart des parents n’ont eu d’autre choix que d’envoyer leurs enfants dans les écoles arabophones qui enseignent le programme israélien. C’est une véritable angoisse pour les parents qui sont obligés de faire passer leurs enfants par un checkpoint, ce qui peut prendre plus de deux heures à chaque trajet, dans une partie de la ville que leurs enfants ne connaissent pas, pour étudier un programme scolaire qui va à l’encontre de leur identité », a dit Alkam. Auparavant, leurs enfants étaient instruits sur la Mosquée Al-Aqsa, la Nakba, et la Naksa ; maintenant, on leur apprend le Mur des Lamentations, le Jour de l’Indépendance israélienne, et la Guerre des Six Jours. Plus important encore pour ceux qui vivent dans le camp de réfugiés de Shuafat, toutes les références aux réfugiés palestiniens et au droit au retour sont effacés du nouveau programme d’études de leurs enfants, même alors qu’ils traversent les checkpoints militarisés et subissent la discrimination systémique qui continue de définir leur sort de réfugiés.

Malgré son rôle dans l’animation de ces changements radicaux, l’idée que le système éducatif palestinien est un facteur de violence est contredite par les propres preuves d’Israël. A l’un des meetings du sous-comité de Boaron en 2004, les responsables de la sécurité l’ont présenté avec des données sur la corrélation entre être éduqué dans le système palestinien et la commission de crimes avec des motifs nationalistes. Finalement, les statistiques que Boaron avait longtemps exigées démontraient le contraire de ses attentes : C’était le système éducatif israélien, et non son pendant palestinien, qui poussait plus vraisemblablement les jeunes Palestiniens vers la violence. Encore plus significatif, les données montraient que les jeunes qui, soit n’étaient pas inscrits, soit avaient abandonné l’école, étaient bien plus susceptibles de mener des attaques violentes – exactement les conditions créées par Israël pour les élèves de Shuafat et à travers Jérusalem.

Boaron, cependant, est resté imperturbable face aux preuves et reste déterminé à mener à bien une sécurisation encore plus grande. Son sous-comité comprend déjà plusieurs responsables de la police et des services de renseignement, et a récemment commencé à se concentrer sur des sujets tels que le démantèlement des obstacles au partage des données entre les écoles et les agences de surveillance. Suhad Bishara, avocat palestinien qui représente les requérants pour une injonction provisoire contre l’interdiction de l’UNRWA, a dit à Jewish Currents que son manque d’intérêt pour les preuves n’était pas surprenant, puisque la campagne à Jérusalem Est n’avait jamais vraiment concerné la sécurité. « Il est clair qu’il n’y a aucune justification à la sécurisation de l’éducation de cette façon. Tout ceci est plutôt un prétexte pour effacer l’identité nationale des Palestiniens. »

Une version précédente de cet article déclarait à tort que le projet de loi israélien pour empêcher les écoles d’embaucher des diplômés des universités palestiniennes pouvait, s’il était voté, « aboutir au licenciement de jusqu’à 60% du personnel enseignant actuel à Jérusalem Est ». En fait, la loi ne serait pas appliquée rétroactivement mais n’affecterait que les futures embauches. L’article a été mis à jour pour le dire.

Jonathan Shamir est rédacteur à Jewish Currents et ancien rédacteur en chef adjoint d’Haaretz.com.