La Revue des Droits de l’Homme publie dans son numéro de décembre 2015 un article très fouillé intitulé « Provocation à la discrimination et appel au boycott des produits étrangers….
La Revue des Droits de l’Homme publie dans son numéro de décembre 2015 un article très fouillé intitulé « Provocation à la discrimination et appel au boycott des produits étrangers : la Cour de cassation tranche le débat » par Robin Médard, doctorant en droit public au Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF) de l’Université de Paris Ouest-Nanterre.
L’article révèle un important travail de recherche sur le contentieux né en France de l’adoption des circulaires Alliot-Marie / Mercier ainsi qu’une solide maîtrise des enjeux juridiques relatifs au conflit israélo-palestinien mais également de l’histoire et des particularités du mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS). L’article présente, en outre, d’intéressants éléments de réflexion juridique sur les deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 20 octobre 2015 (n°14-80.020 et n°14-80.021) qui, confirmant deux arrêts de la Cour d’appel de Colmar du 27 novembre 2013 (n°12/00304 et n°12/00305), ont estimé que l’appel au boycott des produits israéliens constitue une infraction pénale.
Selon l’auteur, l’argumentaire de la Cour d’appel de Colmar – validé par la Cour de cassation – est empli « d’une immense fragilité » en ce qu’il procède à un détachement complet de l’infraction de provocation à la discrimination fondée sur l’appartenance à une nation (article 24 alinéa 8 de la loi de 1881) de son « objet discriminatoire » (ici l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique de l’article 225-2 du code pénal). Ainsi, par l’effet de ce « évanouissement » – qui sied mal aux règles classiques d’interprétation du droit pénal -, l’infraction est constituée, sans avoir à prouver que la provocation tend à la commission d’un acte considéré comme potentiellement discriminatoire par le code pénal.
L’auteur souligne que, même si le lien avait été établi par la Cour d’appel entre la provocation à la discrimination et l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique, la fragilité du raisonnement demeurerait, car cela impliquerait de démontrer que l’exercice normal d’une activité économique concerne la vente effective et finale aux consommateurs et que l’abstention d’achat des consommateurs constitue bien une entrave à cette activité, toutes choses incompatibles avec le principe d’une économie de marché où le consommateur est libre de ses actes d’achat.
Robin Médard pointe également le « glissement » effectué par les juges de Colmar de l’appel à la discrimination des produits israéliens à l’appel à la discrimination des producteurs ou fournisseurs à raison de leur origine, sans que soit traitée la question du lieu de production des marchandises, ni celle de l’implication des personnes morales dans le maintien d’une politique dénoncée par la campagne BDS. Un « paralogisme réducteur » de même nature est, selon l’auteur, effectué entre l’origine géographique des produits dénoncés et l’origine nationale de producteurs et fournisseurs, sans précision sur l’identité et la localisation des personnes morales concernées.
Enfin, il est souligné dans l’article publié à la revue des droits de l’homme que l’interprétation généralement protectrice faite par la Cour européenne des droits de l’homme de la liberté d’expression aurait dû être prise en compte par la Cour de cassation et ce pour au moins trois raisons : les appels au boycott ont été lancés par de simples citoyens, militants associatifs sans autorité sur quiconque ; ces appels étaient motivés par le souci d’obtenir le respect du droit international par Israël ; et ces appels relèvent des modes non-violents d’action militante et participent d’un débat sur un sujet d’intérêt général.
Pour Robin Médard, il résulte de l’ensemble de ces éléments que la Cour de cassation « avalise inopportunément un raisonnement bien éloigné des standards de rationalité et de motivation exigibles d’un juge pénal », raisonnement qui, de manière « infantilisante », aboutit à annihiler toute légitimité au boycott citoyen, se plaçant ainsi à rebours de « l’usage politique de ressources économiques propres des citoyens comme un moyen de démocratisation et de participation effective aux affaires caractérisées par un intérêt général ».
Par Ghislain Poissonnier, magistrat.