Lettre ouverte à la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères dont la LDH est signataire, avec Al-Haq, AFP, CFDT, CGT, FIDH, la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine et Solidaires : « Alors que la France participe, dans le cadre de l’Union européenne, aux nombreuses et légitimes sanctions prises contre la Russie pour s’opposer à son agression et sa tentative d’occupation et d’annexion d’une partie de l’Ukraine, nous considérons que la France doit être cohérente et intervenir sous des formes équivalentes auprès des entreprises françaises participant à l’aggravation de la situation d’occupation et de colonisation qu’Israël impose par la force en Palestine depuis des décennies ».
Madame Catherine Colonna
Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères
37, Quai d’Orsay
75007 Paris
Paris, le 3 octobre 2022
Objet : le tramway de Jérusalem, des entreprises françaises impliquées.
Madame la Ministre,
Nous souhaitons par la présente attirer votre attention sur un développement inquiétant du réseau de tramway de Jérusalem, et sur le rôle que continuent à y jouer plusieurs entreprises françaises ou opérant en France.
Comme vous le savez, plusieurs entreprises françaises ont été impliquées dans le réseau de tramway qu’Israël construit à Jérusalem, reliant de manière illégale Jérusalem-Ouest aux colonies israéliennes implantées sur les terres palestiniennes de Jérusalem-Est. Il s’agit pour Israël, à la fois d’effacer la « ligne verte » et de favoriser le développement de ces colonies illégales. Les entreprises concernées participent donc à cette entreprise de colonisation en contradiction avec le droit international, la politique affirmée de la France et leurs propres engagements en matière de respect des droits humains.
A la suite des interventions de votre Ministère et de la présidence de la Caisse des Dépôts et Consignations, Alstom et Egis Rail s’étaient retirés en 2019 des appels d’offre pour les lignes verte/rouge (réalisation et exploitation) et marron (étude approfondie) respectivement.
A l’occasion de la rencontre avec vos services de la sous-direction Égypte-Levant le 11 février une délégation de l’Association France Palestine Solidarité a présenté un point sur l’avancement de ce projet et sur le rôle qu’y jouent encore les deux entreprises françaises Alstom et Egis Rail – qui figurent toutes deux dans la base de données des entreprises impliquées dans des activités liées directement ou indirectement aux colonies israéliennes publiée par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies – ainsi qu’un acteur économique au poids grandissant en France, CAF.
Alstom est encore lié à l’exploitation de la ligne rouge du tramway, fournisseur de matériel roulant pour la ligne A1Tel Aviv-Jérusalem qui traverse le territoire palestinien occupé, et est candidat présélectionné à la construction des lignes bleue et violette.
Egis Rail est toujours au centre de la conception du réseau intégré de transport en commun de Jérusalem, (comme assistant général à maîtrise d’ouvrage de “Jérusalem Transportation Masterplan Team”, JTMT, par des avenants annuels aux contrats antérieurs concernant les budgets et la nature des interventions sur l’ensemble des lignes de tram) y compris la future ligne marron du tramway
CAF, qui a obtenu récemment la concession pour la réalisation et l’exploitation des lignes verte et rouge du tramway (son associé Saphir est aussi dans la base de données de l’ONU), est une entreprise espagnole mais elle a une usine au Pays basque français qu’elle développe avec le soutien financier de l’État français et de collectivités territoriales. Elle vient de racheter à Alstom son usine en Alsace destinée à servir de base pour un développement ambitieux en France et en Europe. 31 organisations de défense des droits de l’homme, réseaux et syndicats palestiniens et européens demandent que cette entreprise soit incluse dans la base de données de l’ONU.
Lors de la rencontre du 11 février, il a aussi été souligné que la future ligne marron, contrairement aux précédentes, suit les « quartiers palestiniens » de Jérusalem-Est, et qu’y sont déjà en développement trois gros projets de colonisation, ce qui nous parait être un élément très grave suggérant un risque d’expulsion massif des Palestiniens résidents de Jérusalem.
Ces éléments nouveaux, que nous détaillons dans les trois fiches déjà remises à vos services, sont suffisamment préoccupants pour que nous tenions à vous alerter directement.
Alors que votre prédécesseur Monsieur Le Drian a évoqué l’an dernier un « risque d’apartheid » en Israël. Les nouvelles implications de ces entreprises dans le tramway israélien doivent amener votre Ministère à des interventions fermes auprès de leurs directions pour qu’elles cessent leur participation à cette colonisation dont vous savez qu’elle est un des obstacles essentiels à la solution à deux États en faveur de laquelle la France déclare œuvrer. La France doit aussi user de son poids politique et de sa diplomatie pour amener l’État d’Israël à renoncer à tout projet de colonisation des quartiers palestiniens le long de la future ligne marron.
En plus de l’aggravation liée à ce projet de la « ligne marron » vient de s’ajouter très récemment la validation d’un téléphérique par la Cour suprême qui a ainsi rejeté quatre pétitions d’ONG israéliennes, d’habitants palestiniens de Silwan, de commerçants du quartier musulman de la Vieille Ville et de représentants religieux. Une fiche vous en précise les enjeux.
Par ailleurs, nous constatons que les « conseils aux entreprises » visibles sur le site du MEAE restent trop timides et peu mis en évidence. La Plateforme française des ONG pour la Palestine avait eu, en 2019, une série de contacts notamment avec le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, destinés à les renforcer et à leur donner une meilleure visibilité, Mais cela n’a jamais été finalisé (seul le site de Business France a mis les « conseils » en évidence sur son site). Cette demande a été réitérée lors de cette rencontre du 11 février, puis lors de la rencontre organisée au MEAE pour des représentants du Jérusalem Human Right Consortium le 10 mars dernier. Il serait particulièrement important que cette demande soit suivie d’effet.
Alors que la France participe, dans le cadre de l’Union européenne, aux nombreuses et légitimes sanctions prises contre la Russie pour s’opposer à son agression et sa tentative d’occupation et d’annexion d’une partie de l’Ukraine, nous considérons que la France doit être cohérente et intervenir sous des formes équivalentes auprès des entreprises françaises participant à l’aggravation de la situation d’occupation et de colonisation qu’Israël impose par la force en Palestine depuis des décennies.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.