Elle avait rejoint son frère, un Franco-Palestinien habitant à Aix-en-Provence, pour l’accompagner dans ses soins au quotidien. Mais sa demande de titre de séjour a été rejetée et doublée d’une OQTF. Une décision confirmée par la justice. Contactée, la préfecture indique que l’OQTF ne sera pas « mise à exécution ».
Au bout du fil, Marwan est dépité. « On nous parle d’humanité, de droit international, bla bla bla… Mais tout ça, ce ne sont que des paroles », lâche le Franco-Palestinien après avoir reçu la décision du tribunal administratif de Marseille, le 29 juillet. Celle-ci rejette le recours de sa sœur Shama, qui demandait à la justice d’annuler un arrêté dans lequel la préfecture des Bouches-du-Rhône refusait sa demande de titre de séjour et lui enjoignait de quitter le territoire. « C’est très dur », réagit l’intéressée, qui avait obtenu un récépissé de six mois à son arrivée en France.
Son avocat, Me Sidy Dioum, évoque « une sacrée surprise ». Il précise que la décision a beaucoup tardé à être rendue – l’audience au tribunal a eu lieu le 1er février, la décision est tombée six mois plus tard. « Le juge avait la possibilité d’annuler l’arrêté du préfet en se basant sur le principe d’erreur manifeste d’appréciation, au regard de la situation à Gaza. » Valider l’arrêté de la préfecture, et donc l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), revient selon lui à « lui donner une corde pour se pendre ».
Sollicitée, la préfecture fait savoir que la situation de Shama a été « examinée avec attention » par ses services, et confirme que sa demande de titre de séjour a fait l’objet d’une décision de refus le 29 septembre 2023 portant mention d’une OQTF. « La situation de Madame a été appréciée avant le début du conflit en Palestine. À ce titre, l’OQTF ne sera pas mise à exécution », assure-t-elle, sans pour autant annuler la mesure.
Elle invite Shama à « porter à sa connaissance tout élément nouveau qui permettrait de reconsidérer sa situation ». Le ministère de l’intérieur n’a quant à lui pas répondu à nos questions. De son côté, Me Dioum maintient que le préfet, qui bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire, aurait pu et pourrait encore « apprécier la situation différemment ».
Shama a quitté Gaza aux côtés de son frère, en décembre 2022, pour pouvoir l’accompagner en France grâce à un visa touristique. Elle est ensuite restée pour l’aider à se soigner. « J’ai suivi des études en France et j’ai acquis la nationalité en 2014. J’ai ensuite vécu à Londres, où je travaillais à l’université, mais j’ai voulu rentrer en Palestine », déroule Marwan dans un français teinté d’un léger accent.
Des arguments classiques côté préfecture
Mais en 2021, c’est la descente aux enfers. Un « missile israélien » touche sa maison et le blesse à la tête et aux jambes. À l’hôpital, on lui découvre aussi une tumeur au cerveau. Il souffre depuis de pertes d’équilibre et peine à se déplacer, même avec un déambulateur.
Pour le rencontrer, Me Dioum dit avoir dû se rendre à son domicile, ce qu’il fait rarement. « J’ai bien vu qu’il ne pouvait pas bouger et que sans Shama, il ne s’en sortirait pas. » L’avocat a fourni une série d’attestations médicales démontrant, ajoute-t-il, que l’état de Marwan nécessite un accompagnement au quotidien.
Dans son arrêté, la préfecture des Bouches-du-Rhône déroule ses arguments – classiques – pour justifier le rejet de la demande de titre de séjour et l’OQTF : Shama « ne rapporte pas d’éléments probants de l’ancienneté et du caractère habituel de son séjour », « ne démontre pas une insertion sociale et professionnelle significative sur le territoire français », « n’établit pas être dépourvue d’attaches personnelles et familiales dans son pays d’origine où résident ses parents ainsi que la majorité de sa fratrie ».
Le juge du tribunal administratif de Marseille estime que « s’il ressort des pièces du dossier que le frère de la requérante souffre de séquelles importantes », l’intéressée « ne justifie pas, ainsi qu’elle l’allègue, que son frère serait de nationalité française et n’établit pas non plus être la seule à pouvoir assurer une telle aide ».
Il souligne que Shama ne séjourne en France « que depuis neuf mois à la date de la décision contestée », qu’elle est célibataire et ne fait état d’aucune autre attache personnelle ou familiale en France. Allant dans le sens de la préfecture, il ajoute qu’elle « n’établit pas être dépourvue d’attaches sur le territoire palestinien ».
« Eu égard notamment à la faible durée de son séjour en France, l’arrêté [de la préfecture] n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale », tranche le juge administratif, qui laisse le choix aux autorités de « ne pas mettre immédiatement à exécution l’OQTF » et de prendre en compte la situation de conflit sur le territoire palestinien.
Une situation « terrible » à Gaza
« On sent une certaine hésitation, commente Me Dioum. Le juge sait que l’OQTF ne peut pas être matériellement exécutée. » L’avocat déplore que le tribunal n’ait pas vu une violation des obligations de la France au regard des conventions internationales, et le danger qu’encourrait Shama en cas de retour à Gaza, qui croule sous les bombes israéliennes.
Marwan se sent abandonné par la France. « À qui peut-on faire confiance après ça ?, interroge-t-il. Il faut respecter les textes de loi bien sûr, mais là, c’est une question humanitaire. » Il décrit un mois de juillet « terrible » au cours duquel trois de ses nièces ont été tuées.
Depuis le début du conflit, il ajoute que 65 membres de sa famille élargie sont morts dans les bombardements israéliens.Ceux qui ont survécu ont dû se déplacer plusieurs fois, du nord au sud, du sud au nord ; comme la majorité des déplacé·es gazaoui·es ces derniers mois.
« C’est la guerre, on ne peut pas retourner à Gaza. Il n’y a plus rien, ni hôpital, ni maisons. On a le sentiment qu’ils n’ont aucune pitié pour nous », regrette Shama.
La décision du tribunal a agi comme un coup de massue, conclut Marwan : « Tout le monde est contre nous. Ma sœur est bloquée aujourd’hui, on attendde savoir ce que la préfecture va faire. »
Face à ce qu’il qualifie de « drame humain », Me Dioum compte faire appel et espère voir la décision de la préfecture annulée. Un autre espoir subsiste pour Shama : que sa demande d’asile, déposée après l’audience au tribunal administratif, lui permette d’obtenir une protection.
En février, un couple de Gazaouis avait également été visé par une OQTF après un rejet de sa demande de titre de séjour. La préfecture d’Ille-et-Vilaine assumait de vouloir l’expulser malgré les massacres à Gaza, estimant que la situation était « globalement stable » en Cisjordanie, et qu’il était « concevable que les intéressés puissent s’y installer ».
La mesure d’éloignement avait été suspendue après la médiatisation de l’affaire et le couple avait vu sa demande d’asile étudiée en accéléré. Shaden et Ibrahim avaient rapidement obtenu l’asile.