Quand le recteur de la KU Leuven annonce sa décision de ne pas prolonger le projet Law-Train

Une charte des droits de l’homme comme fil conducteur dans les projets internationaux de recherche

Mes cent premiers jours en tant que recteur ont été singulièrement passionnants, mais j’ai également eu à traiter l’un ou l’autre dossier embarrassant. La question de LAW TRAIN, par exemple, un projet international de recherche sur l’amélioration des techniques d’interrogatoire, dans lequel est impliquée non seulement la KU Leuven, mais aussi la police israélienne. Cette dernière a suscité l’hostilité d’un groupe d’action. Celui-ci demande de suspendre immédiatement toute collaboration. Il s’agit d’une demande épineuse qui mérite une réponse nuancée.

Les journées d’un recteur sont bien remplies. Cela ne vous surprendra pas. La nouvelle direction a franchi le cap de ses cent premiers jours. Durant cette période, j’ai appris que, chaque jour qui passe, notre université nous réserve quelques surprises. C’est un plaisir de faire la connaissance des nombreuses personnes qui font de notre université ce qu’elle est. Il est singulièrement passionnant de parfaire chaque jour ses connaissances au cours de nombreuses visites et rencontres. Mais, régulièrement, des questions passablement embarrassantes atterrissent aussi sur mon bureau. L’une des questions difficiles qui m’ont été adressées dès le début de mon mandat concernait ma position à l’égard du projet européen de recherche en cours, LAW TRAIN. Entre-temps, j’ai dégusté la tarte que m’avait offerte le groupe d’action lors de l’inauguration de l’année académique. La question elle-même requérait une digestion un peu plus longue.

Pour ceux qui ne connaissent pas encore le projet, j’aimerais y aller de quelques éclaircissements. Le but de LAW TRAIN est de renforcer la collaboration transnationale entre les services de police dans leur lutte contre la narcocriminalité et ce, en développant la possibilité de formations sur la façon de mener en commun des enquêtes de police. C’est ainsi qu’a été mis au point entre autres un outil d’entraînement virtuel qui donne la possibilité à une équipe de policiers de divers pays de préparer et mener ensemble l’audition d’un suspect (virtuel), à partir de leurs pays respectifs et dans le cadre élargi d’une enquête policière transnationale. L’un des partenaires de ce projet est la police israélienne. Le groupe d’action demande de mettre immédiatement un terme au projet de recherche et, partant, à tous les contrats qui y sont liés.

Cela n’a vraiment rien d’une question simple. Aussi, ces dernières semaines, me suis-je sérieusement informé sur LAW TRAIN, en concentrant mon attention sur les objectifs du projet, sur le consortium et les tâches des chercheurs de la KU Leuven. J’ai également eu des entretiens utiles, ouverts et fouillés aussi bien avec les chercheurs responsables du volet louvaniste du projet qu’avec des représentants du groupe d’action. J’aimerais remercier toutes les personnes concernées pour l’esprit d’ouverture qui a accompagné cet échange de points de vue et pour la sérénité des discussions que nous avons eues. Mon point de vue sur LAW TRAIN peut se résumer par les trois points suivants :

  • le groupe de recherche de la KU Leuven peut continuer à parachever le projet en cours, qui se termine en avril 2018 ;
    au cas échéant,
  • la KU Leuven ne participera pas à un projet de suivi en compagnie du consortium actuel ;
  • la KU Leuven s’engage à élaborer une charte des droits de l’homme qui, à l’avenir, pourra proposer une meilleure emprise sur la participation à des projets de recherche.

J’aimerais éclaircir davantage chacun de ces trois points.

La poursuite du projet en cours

Je désire donner à l’équipe de recherche louvaniste l’espace nécessaire à la poursuite du parachèvement du projet. Ici, je m’appuie sur des considérations de contenu et sur des bases contractuelles.

Je ne doute pas de l’intégrité des chercheurs de la KU Leuven. En outre, leur contribution présente une plus-value manifeste pour le projet LAW TRAIN dans son ensemble. Dans leurs activités, nos chercheurs sont responsables de la conception commune de l’outil d’entraînement virtuel aux techniques d’interrogatoires déjà mentionné plus haut. Leur contribution n’est pas seulement centrée sur une application correcte des droits de l’homme dans un contexte de ce genre, mais elle poursuit explicitement la mise au point des meilleures pratiques, internationalement reconnues, dans les interrogatoires destinés à collecter des informations. Le projet contribue de la sorte au développement et à l’application de techniques d’interrogatoire humaines. La contribution louvaniste au projet est un facteur positif, selon la perspective des droits de l’homme.

Dans un projet H2020 comme LAW TRAIN, le consortium assume une responsabilité collective. La KU Leuven ne peut quitter unilatéralement un tel projet, mais doit arriver à ce propos à un accord avec les autres parties. Celles-ci devraient reprendre les ensembles de tâches de la KU Leuven. Un départ aussi tardif n’aurait sans doute comme conséquence que de jeter le discrédit sur la réputation de la KU Leuven en tant que partenaire de contrat fiable. Dans ce cadre, je souhaiterais également souligner l’importance de demeurer consistant. Au nom de la précédente direction, la KU Leuven a fait savoir que le projet pouvait se poursuivre. De bonne foi, les partenaires du contrat se sont appuyés sur cette décision. Dans cette phase, il est malaisé d’opérer un retournement total de position.

Pas de projet de suivi en compagnie du consortium actuel

La KU Leuven va toutefois poursuivre le parachèvement du projet en cours, mais ne participera plus à un projet de suivi en compagnie du consortium actuel.

LAW TRAIN peut difficilement être évalué indépendamment de la composition concrète de son consortium. C’est précisément ici que réside le problème. La participation du ministère israélien de la Sécurité publique pose en effet un problème éthique vu le rôle que ce bras puissant du gouvernement israélien joue dans l’occupation forcée et illégitime des territoires palestiniens et dans l’oppression de la population palestinienne qui y est liée. Plusieurs sources fiables, dont Peter Bouckaert de Human Rights Watch (à qui, l’an dernier, la KU Leuven a accordé à juste titre un doctorat honoris causa), ont rapporté ces infractions au droit international. Aussi ne considéré-je pas opportun d’introduire des projets de suivi en compagnie d’un consortium identique. Par ailleurs, nous constatons que, du côté de certaines organisations palestiniennes également, les droits de l’homme sont foulés aux pieds. Il ne s’agit donc pas dans mon approche de prendre parti dans cette lutte parfois dénuée de perspective.

La nécessité d’une charte des droits de l’homme

Enfin, je propose que la KU Leuven s’engage à élaborer une charte des droits de l’homme qui, à l’avenir, pourra proposer une meilleure emprise sur la participation à des projets de recherche.

Nous avons beau constater de facto que notre association avec le ministère israélien de la Sécurité publique est problématique, il ne faut cependant pas reprocher à nos chercheurs d’avoir accepté cette invitation, puisqu’il nous manque aujourd’hui un cadre qui permettrait de les guider, dans ce genre de situations.

Au cours des mois à venir, j’ai l’intention d’œuvrer sérieusement à la création d’un cadre référentiel semblable. En outre, je voudrais proposer déjà que l’intention ne doit pas être d’appliquer un boycott général des pays où les droits de l’homme ne sont pas respectés. Les collaborations académiques sont en premier lieu des collaborations entre chercheurs, entre personnes. Un boycott aurait précisément comme conséquence de pousser ces chercheurs – souvent critiques envers le régime – dans un isolement international. Par contre, collaborer avec eux se traduit souvent par un « empowerment » et contribue à leur visibilité et liberté interne.

Nous ne voulons pas d’une approche formaliste dans laquelle serait instaurée une procédure d’approbation. Nous devons toutefois proposer à nos chercheurs et à nos commissions éthiques un fil conducteur qui, à l’avenir, pourra leur donner une emprise sur la décision de participer ou pas à un projet. Nous tenons autant que possible, ici, à nous servir de critères objectifs ou objectivables. Cela pourrait se faire sous forme d’une charte des droits de l’homme. Au niveau du VLIR (Vlaamse Interuniversitaire Raad – Conseil interuniversitaire flamand), je proposerai aux quatre autres recteurs flamands de faire élaborer une telle charte par des experts des cinq universités. Le statut d’une telle charte et la manière dont nous l’utiliserons dans notre politique devront ensuite faire l’objet d’une discussion au sein de nos organes internes de gestion.

Au cours de la période à venir, nous reviendrons encore certainement sur cette question et sur d’autres tout aussi complexes. Aussi s’agit-il d’affaires très importantes qu’en notre qualité d’universitaires, il nous faudra discuter dans un climat ouvert et constructif.