Première Session du Tribunal Russell sur la Palestine: Barcelone, 1 – 3 Mars 2010

par Sonia Dayan-Herzbrun | 15 mars 2010 | Le premier Tribunal Russell s’était réuni en 1967, pour enquêter sur les crimes de guerre commis au Vietnam et pour se prononcer….

par Sonia Dayan-Herzbrun | 15 mars 2010 |

Le premier Tribunal Russell s’était réuni en 1967, pour enquêter sur les crimes de guerre commis au Vietnam et pour se prononcer sur eux sur la base du droit international. Il a été instauré à l’initiative de Bertrand Russell, lauréat du Prix Nobel en 1950 et présidé par Jean-Paul Sartre. Des intellectuels éminents comme Julio Cortazar et Simone de Beauvoir ont participé aux travaux du Tribunal.

Plus de quarante ans après la Fondation Bertrand Russell a parrainé la tenue d’un Tribunal Russell sur la Palestine, tribunal populaire promu par la société civile internationale, en réponse aux violations du droit international dont est victime le peuple palestinien. Ce tribunal s’est donné comme tâche d’examiner la responsabilité des organisations internationales et des États concernant le non-respect du droit international. Même si ses décisions n’entrainent aucune obligation, le tribunal est fondé sur la loi internationale, et il a été composé d’experts et de juristes de renommée mondiale.

La première session de ce Tribunal a examiné toute la série d’erreurs, d’omissions et de complicités de l’Union Européenne et de ses États membres en ce qui concerne l’occupation des Territoires palestiniens, et l’impunité d’Israël pour ce qui est des violations des droits du Peuple palestinien.

Les sessions du Tribunal ayant été enregistrées, les diverses interventions disponibles sur le site du Tribunal, ainsi que les conclusions, je me contenterai d’en résumer les grandes lignes, et d’indiquer (en gras) ce qui à mon sens est important pour le travail de l’AURDIP.

Il faut d’abord souligner l’excellente organisation de cet événement, le nombre et la qualité de l’assistance toujours parfaitement attentive et respectueuse du bon déroulé des séances. Même si tous les membres du Tribunal n’étaient pas européens (Cynthia McKinney venant des Etats-Unis, Aminata Traoré du Mali et Juan Guzman Tapia du Chili), la préoccupation dominante m’a bien semblé être les réponses pouvant être apportées par la société civile européenne face aux (non) décisions de ses institutions spécifiques. Le consensus politique à l’intérieur du jury reposait sur le principe de deux États dans les limites de 1967.

La question des sanctions a été posée d’entrée par le président de ce Tribunal, Stéphane Hessel, qui a défendu le droit de chaque individu de faire pression sur les institutions, et qui a parlé des sanctions à prendre vis-à-vis de ceux qui violent les prescriptions du droit international.

La première série d’interventions a porté sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et sur les atteintes à ce droit. A ce niveau déjà le juriste catalan David Bondia a parlé de « complicité » de l’Union Européenne qui ne demande jamais de compte à Israël, alors que la puissance occupante est juridiquement responsable de l’application du droit. Il a suggéré de peser sur les accords bilatéraux, et de boycotter les produits venant des colonies ou issues d’un rapport de colonisation (1). La journée s’est poursuivie avec une session sur l’annexion de Jérusalem Est. Ghada Kharmi a rappelé les contradictions de la politique de l’Union Européenne (repérables sur place par les comportements des délégations d’un même pays ou de l’U.E. selon qu’elles sont tournées vers Israël ou vers la Palestine). Elle a insisté sur l’importance de la coopération scientifique, puisque Israël est membre de l’ERA (European Research Area), donc est associé aux programmes de recherches européens, avec un budget énorme. Les seuls, selon elle, à s’être opposés, en vain , à cette inclusion, ont été les Verts britanniques. L’argument auquel ils se sont heurtés est le niveau élevé des scientifiques israéliens créateurs de richesses. Cet argument prévaut sur les droits humains. Elle a qualifié l’UE de « fellow perpetrator » et rappelé également l’importance de la coopération UE/Israël dans la « lutte anti-terroriste ». L’Israélien Meir Margalit a lui aussi insisté sur ce double visage des délégations européennes en Israël. Il suggère, quant à lui, de faire changer les choses plutôt par des incitations que par des sanctions, et en particulier en subordonnant l’entrée d’Israël dans l’Union Européenne à la fin de la colonisation. Cette suggestion n’a guère été approuvée. La dernière série d’interventions du 1er mars a porté sur la colonisation et la confiscation des ressources naturelles. L’Israélien Michaël Sfard a lui aussi parlé de colonisation, et distingué les Etats-Unis, puissance alliée d’Israël, de l’Europe, avec laquelle on commerce.

La deuxième journée a débuté par des interventions sur l’accord d’association entre l’UE et Israël. Le député européen Raül Romeva a rappelé la clause « démocratique » des accords d’association qui n’est jamais utilisée, en dépit des demandes présentées au Parlement européen. Il a rappelé en outre l’existence de « codes de conduites sur les exportations et les ventes d’armes » qui devraient constituer un argument juridique de poids, alors qu’un accord sur l’aviation civile est en vue. Il a suggéré de dresser la liste des États-membres qui ont vendu des armes (lesquelles ?) à Israël, armes utilisées en Palestine et au Liban. Agnès Bertrand (experte venant de Belgique) a soutenu la thèse d’une « complicité passive de l’UE, qui a pourtant des obligations spécifiques, dans la mesure où elle est le premier bailleur de fonds de l’Autorité Palestinienne et entretient des réseaux forts avec Israël. Elle reste cependant silencieuse face aux violations de droit international, comme si elle les acceptait tacitement : deux exemples :

– l’importation des produits israéliens avec un tarif préférentiel, sauf pour ceux qui sont originaires de Cisjordanie (décision très récente de la Cour européenne de justice – Affaire Brita- dont on se demande comment elle ne donnera pas lieu à des fraudes) ;

– l’annihilation de l’aide aux territoires palestiniens par la politique de la puissance occupante (destruction des infrastructures). L’Autorité Palestinienne a été dissuadée de demander des réparations pour les dégâts causés (plusieurs dizaines de millions d’Euros). Du coup l’aide devient peu à peu entièrement « humanitaire » et n’entre plus dans la perspective de la construction des infrastructures de l’État.

Patrick Bouveret est intervenu sur les insuffisances du contrôle de la vente d’armes. Mais l’intervention la plus percutante a été celle de la députée européenne Véronique de Keyzer qui a souligné le changement radical de la politique européenne par rapport à celle des années 1990, et a démontré point par point la responsabilité active de l’Union Européenne, « pompier pyromane » dans la violation du droit international par Israël. Elle a rappelé, par exemple, qu’en 2006, l’UE avait pris la décision de sanctionner l’Autorité Palestinienne après les élections tout à fait démocratiques. À partir de là on a assisté à une escalade de la violence : l’attaque sur Gaza déjà oubliée de juillet 2006 qui a fait 250 morts, puis la guerre au Liban. Les conférences de donateurs qui ont succédé sont qualifiées par elle de « grand Barnum caritatif ». Véronique de Keyzer a montré ensuite la complicité de l’Europe dans la division intervenue entre le Fatah (appuyé puis armé par l’UE, à la demande de Olmert) et le Hamas, puis le feu vert donné à Tsipi Livni au début de décembre 2008 pour l’opération « Plomb durci ». À ce niveau, la discussion s’est orientée sur l’établissement tout à fait opaque de la « liste des organisations terroristes ». En bref, le silence de l’UE face à la violation du droit international par Israël ( et à la violation des droits politiques des Palestiniens) lui permet, dit l’intervenante, de se réconcilier avec les Etats-Unis. Le juge Guzman a suggéré ensuite de s’appuyer sur le Traité de Lisbonne pour mettre en cause Israël à partir du rapport Goldstone. Les interventions suivantes n’apportent pas d’élément vraiment nouveau.

L’avant-dernier sujet est celui du Blocus de Gaza et de l’opération « Plomb durci ». Là encore, peu de choses qui n’aient pas été dites dans le rapport Goldstone. Desmond Travers qui a participé à la préparation et à la rédaction du rapport Goldstone a émis l’hypothèse de l’expérimentation à Gaza d’armes particulièrement dangereuses et nuisibles avec des effets à long terme (cancérigènes) (2) et a plaidé en faveur de l’interdiction de ces armes, même si cela pouvait avoir des conséquences négatives sur l’industrie européenne d’armement, car il semble qu’un certain nombre de ces armes, utilisées à Gaza sur des écoles, des hôpitaux, aient été fabriquées en Europe.

La dernière série d’interventions a porté sur la construction du « Mur » dont l’UE a toujours dit qu’il était illégal, rappelle François Dubuisson (juriste belge), mais sans prendre de mesure pour faire respecter le droit international, une fois encore, si ce n’est la décision de créer un registre pour enregistrer les dommages subis par la population palestinienne du fait de ce mur de séparation. Il rappelle les sanctions possibles, et en particulier la dénonciation, ou tout au moins la suspension des accords d’association, non seulement en raison de l’article 2, mais aussi de l’article 94. Au lieu de cela, l’UE, au prétexte de préserver les « négociations », a procédé au rehaussement des relations politiques avec Israël.

Une prochaine session du Tribunal Russell est prévue à l’automne à Londres, puis sur d’autres continents.

La matinée du 3 mars a été consacrée à la rédaction des conclusions puis à une conférence de presse à laquelle il ne m’a pas été possible d’assister puisque je reprenais l’avion.

À l’issue de ces deux journées, j’ai eu un dîner de travail avec Brahim Senouci, Laia Haurie de l’Université de Barcelone et membre de la Comissió Universitària Catalana per Palestina (CUNCAP) et Rana Barakat, du PACBI, université de Birzeit: il ne m’était en effet pas possible de participer au séminaire sur la question du boycott universitaire (et surtout des sanctions) des 4 et 5 mars auquel le BRICUP avait délégué quelqu’un . Nous sommes tombés d’accord sur la nécessité de constituer une coordination européenne pouvant intervenir sur la question de la participation d’Israël à l’ERA. Une coordination européenne d’universitaires serait tout à fait à même d’exiger des sanctions, d’autant que cette session du Tribunal Russell sur la Palestine nous a fourni toute une série d’arguments juridiques. Il nous a paru indispensable d’échanger les informations que nous détenions, de nous tenir au courant des diverses actions que nous entreprenions. Rana Barakat a insisté d’une part sur le fait qu’Israël était souvent partie prenante de programmes scientifiques incluant un grand nombre de pays, et qu’il fallait à chaque fois être très attentif. Elle a aussi rappelé que beaucoup de programmes visaient à inclure à la fois Israël et la Palestine, comme s’il s’agissait de faire travailler ensemble des gens qui devaient être amenés à s’entendre entre eux. Cette politique qui correspondait aux espoirs formés après la signature des accords d’Oslo ne fait plus sens, et il faut maintenant se focaliser sur la question des sanctions en excluant toute collaboration avec les institutions israéliennes.

Il reste à mettre tout cela en œuvre. Mais l’impression que j’ai retirée de ces réunions successives, c’est qu’il y a un large consensus international pour exiger des sanctions face aux violations du droit international par Israël, même si les analyses politiques ne concordent pas toujours et si certaines questions épineuses (situation des réfugiés, position par rapport au Hamas…) sont esquivées. Tout cela va dans le sens des orientations de l’AURDIP.


(1) On n’a jamais évoqué le fait que l’Europe avait intérêt économiquement à maintenir des relations fortes avec Israël, client important (par exemple la vente récente d’une centrale nucléaire par la France à Israël, sans compter les ventes d’armes) S.D.H.

(2) Les bombes à phosphore ont déjà été utilisées en Irak (Cynthia McKinney), mais d’autres sont inconnues. Que sont donc ces « projectiles expérimentaux » et où sont-ils fabriqués ? S.D.H.


Sonia Dayan-Herzbrun est vice présidente de l’AURDIP et Professeur émérite à l’université Paris Diderot-Paris 7