par S. Vally, L. Boctor | Pambazuka News | 18/07/2011 | Salim Vally est chercheur senior au Centre pour les droits à l’Éducation et la Transformation, professeur à la faculté….
par S. Vally, L. Boctor | Pambazuka News | 18/07/2011 |
Salim Vally est chercheur senior au Centre pour les droits à l’Éducation et la Transformation, professeur à la faculté de l’Éducation à l’université de Johannesburg, et coordinateur du projet pour les droits à l’éducation.
Le 23 mars, l’université de Johannesburg en Afrique du Sud a coupé tous ses liens avec l’université Ben Gourion dans le Néguev, en Israël. Pendant que Salim Vally se trouvait à Montréal en mai dernier, donnant une conférence à l’université McGill de Montréal sur le thème Lire Edward Saïd en Afrique du Sud, il a échangé avec Lilian Boctor à propos de la décision de l’université de Johannesburg de couper ses liens avec l’université Ben Gourion, de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) contre l’apartheid d’Israël dans le contexte de l’Afrique du Sud, de la liberté universitaire et du rôle des universitaires et scientifiques dans une société.
Lillian Boctor : Le 23 mars, l’université de Johannesburg a décidé de ne pas poursuivre le protocole d’entente avec l’université Ben Gourion en Israël. Pouvez-vous me dire de quoi il était question ?
Salim Vally : Depuis les évènements tragiques de Gaza, en 2008/2009, où 1400 personnes, essentiellement des civils, ont été tuées, le mouvement international contre ce que nous appelons l’apartheid en Israël a été galvanisé.
Le massacre des militants humanitaires sur la flottille a lui aussi donner à ce mouvement un élan. Pour nous, Sud-Africains, cela a une résonance parce que, vous savez, nous avons appelé le monde à soutenir notre combat en isolant le régime d’apartheid. Et l’appel lancé par les Palestiniens qui s’inspire de celui des Sud-Africains pour le boycott de l’apartheid a vraiment touché la corde sensible d’une couche énorme de notre population, notamment chez les universitaires, les responsables religieux et les syndicalistes.
L’université Ben Gourion a eu des relations avec ce qui était la Rand Afrikaans University avant qu’elle ne devienne l’université de Johannesburg. C’était durant l’ère de l’apartheid. Et il existe suffisamment de preuves démontrant cette collaboration. Une grande partie de cette collaboration touchait à la recherche et aux développements militaires, à tout ce qui a trait au nucléaire. Donc, c’est bien établi.
Avec l’université de Johannesburg, dans les dernières années, beaucoup de ces relations ont été réexaminées. Il y a eu une tentative de réactiver ces liens avec l’université Ben Gourion en août 2009 mais un certain nombre d’universitaires ont estimé alors que cette relation était problématique. Aussi quand un protocole d’entente a été signé, aussitôt il y a eu une pétition du personnel, des syndicats et des étudiants de l’université. Cette pétition a reçu un soutien massif. Mais au-delà de l’université, d’importantes personnalités sud-africaines tels que l’archevêque Desmond Tutu, le président du syndicat Cosatu fort de un million huit cent mille adhérents, des organisations d’étudiants, des écrivains comme Breyten Breytenbach, Antjie Krog, et des centaines d’universitaires d’autres universités d’Afrique du Sud ont été pour la rupture des liens avec Israël.
Vous savez, ce débat, nous l’avons eu non seulement dans notre université, mais dans tout le pays et sur une période de dix-huit mois. Pendant dix-huit mois, il y a eu un débat profondément démocratique. Différents points de vue ont été contestés. Il y a eu des séminaires et des conférences. A l’université, il a été créé des équipes de travail, des comités, des missions d’enquête. Le vice-président, le vice-président adjoint et d’autres membres du comité exécutif de gestion de l’université sont allés en Israël rencontrer toutes les parties. Le président de l’université Ben Gourion, ses universitaires, de même que des universitaires et syndicalistes palestiniens sont venus et ont présenté des rapports. A deux occasions, ils ont rencontré le Conseil de l’université et ses plus hautes instances de décision. Ce débat a été le plus long de l’histoire de l’université. Et fin mars, cela a été mis aux voix. Au Conseil, il y a eu un vote secret et près des deux tiers des membres du Conseil ont voté, sur la base de l’ensemble des rapports et des discussions, la rupture des liens avec l’université Ben Gourion.
Vous savez, j’ai besoin d’insister sur le fait que cette décision n’a pas été prise en se fondant sur quelques slogans ou juste sur une rhétorique. Elle a été l’aboutissement d’un travail très intellectuel. Et c’est l’une des conséquences inattendues de cette histoire. Parce que dès le départ, de notre côté, ceux de notre groupe l’ont estimé important pour montrer notre solidarité avec nos collègues palestiniens qui n’avaient pas de liberté universitaire, vous savez, et nous avons examiné différents rapports. L’UNESCO a publié un rapport très complet sur ce à quoi les universitaires palestiniens étaient confrontés quasiment chaque jour de leur vie, y compris les étudiants. Les check-points, l’incapacité à vous déplacer si vous êtes de Gaza pour aller participer à des conférences internationales, et pour les étudiants et les professeurs de Gaza d’aller en Cisjordanie ou en Israël, ils ont donc énormément de restrictions et de contraintes, des choses que nous tenons pour acquises, nous, en tant qu’universitaires, et ces questions affectent notre travail d’universitaires et, à l’évidence, l’UNESCO n’est pas un groupe radical, et il nous a fourni les preuves.
Quand l’université de Johannesburg a relancé son accord en août 2009 (avec l’université Ben Gourion), très peu de temps avant, Amnesty International avait publié un rapport très minutieusement élaboré, avec un titre très évocateur, Soif de justice ou En eaux troubles. Amnesty rapportait sur la façon dont Israël utilisait l’eau comme une arme contre les Palestiniens. Il est très clair, en premier lieu, qu’il existe une répartition inégale et discriminatoire de l’eau. Pour l’aquifère de montagne, source unique pour les Palestiniens des territoires occupés en Cisjordanie, 80 % de cette eau vont aux Israéliens et aux colonies. Seulement 20 % reviennent aux Palestiniens. La consommation en eau des Palestiniens, par personne, représente une part infime de celle des colons. Les colonies possèdent des jardins luxuriants et des piscines. Les Palestiniens, eux, ont de très gros problèmes d’eau. Nous avons aussi cette situation que les Israéliens peuvent puiser dans d’autres sources d’eau, notamment l’eau du Jourdain qui va à Israël, alors que les Palestiniens n’ont que l’aquifère. Dans la région de Gaza, il existe bien un aquifère côtier, mais c’est de l’eau saumâtre. Ils ont besoin d’une centrale électrique pour le dessalement de l’eau mais leur seule centrale à Gaza est constamment attaquée.
Les Palestiniens doivent demander et obtenir une autorisation pour reconstituer leurs installations de gestion des déchets et de traitements des eaux usées. Ces autorisations ne sont pas accordées. Dans le cas où une autorisation est donnée, l’armée israélienne y met son véto. En fait, c’est une société allemande qui détenait le contrat pour la reconstruction de ces stations de traitements des eaux usées, et le gouvernement israélien a dû payer à cette société des millions de shekels après avoir rompu ce contrat. L’ingénieur en chef de la centrale électrique de Gaza a récemment été kidnappé (en mars) dans un train en Ukraine. Le gouvernement israélien a reconnu que cet ingénieur était maintenant dans une prison israélienne. L’ingénieur se rendait en Ukraine pour rencontrer et passer un moment avec son épouse ukrainienne et leurs six enfants. Il y a aussi une tragédie à Gaza avec l’eau et les réseaux d’égouts, des gens sont morts de façon horrible à cause de cela. Donc, vous savez, ce que je suis en train de vous dire, c’est que notre décision s’est basée sur un certain nombre de rapports, des rapports que nous avons compilés. Nous avons envoyé une délégation pour examiner la question de l’eau, et l’université Ben Gourion a eu amplement la possibilité de nier ou réagir à ces informations, informations qui sont largement démontrées.
Lillian Boctor : Est-ce que les universitaires (de Ben Gourion) ont travaillé avec ceux de l’université de Johannesburg sur ces questions de l’eau ?
Salim Vally : Eh bien oui. Et une minorité d’universitaires (de Ben Gourion) ont voulu cette rencontre, y compris le professeur qui travaillait dans le domaine de la recherche sur l’eau. J’ai publié une tribune dans The Mail et dans The Guardian, et cette tribune débute par la correspondance que j’ai échangée avec ce professeur. Je lui disais que nous aimerions, à savoir ceux d’entre nous qui avaient signé la pétition, que nous aimerions le rencontrer – c’était une lettre très collégiale -, pour en discuter et pour discuter du rapport d’Amnesty International sur l’eau. Et sa réponse, que je cite dans mon article, a été de nous dire qu’il n’était pas intéressé par la politique, que c’était de la politique. Je suis intéressé, nous a-t-il dit, simplement par la recherche scientifique qui touche à l’eau.
Ainsi commençait mon article. Et je posais la question, est-ce que la science est neutre ? Peut-elle être neutre, en dehors des cours de mathématiques et de sciences fondamentales ? Mais une chose qu’Einstein a comprise il y a longtemps, c’est que ce n’était pas simplement la scission de l’atome. C’était la bombe atomique à venir. Et par conséquent, cette responsabilité sociale existe. Ce qui ne veut pas dire qu’Einstein n’aurait pas dû utiliser ses connaissances pour cela, mais qu’Einstein lui-même regrettait qu’on se serve de ses connaissances à des fins destructrices. Tous, de Descartes à Kaplan, Bronofsky et Einstein, tous ont compris l’objectif social de la science.
En Grande-Bretagne par exemple, Stephen Rose, neurobiologiste de renommée mondiale avec sa partenaire Hilary Rose, est un sociologue de la science. Tous les deux ont cofondé à la fin des années soixante et à la suite de l’emploi du napalm et de l’agent Orange (défoliant chimique…) par les Américains (…sur la population vietnamienne – ndt), une organisation de scientifiques appelée, Société pour la responsabilité sociale dans les sciences. Et ce sont ces mêmes personnes qui aujourd’hui participent au BRICUP, le Comité britannique pour les universités de Palestine. Les mêmes personnes dont beaucoup, et c’est dommage que nous ayons à dire ces choses, mais dont beaucoup sont juives, c’est vrai que pour elles c’est une question d’humanité que de soutenir les Palestiniens. Et Hilary et Steven font remarquer que la science n’est pas neutre. Sur cette question particulière, il existe des preuves suffisantes sur la façon dont des géologues et hydrologues, et urbanistes et géographes se sont rendus complices de la poursuite de l’occupation illégale en Palestine. Et par conséquent, cette question a été lancée dans ce débat, un débat qui a été très riche.
Des scientifiques en Allemagne ont travaillé ensemble avec des universitaires du monde entier, alors même qu’ils développaient ce programme très peu scientifique sur l’eugénisme, essayant d’établir que ce qu’on appelle une race – un mythe biologique, bien sûr – peut être supérieure à une autre et alors qu’ils faisaient des expériences sur les êtres humains dans les camps de concentration. Mais il y avait pourtant des scientifiques libéraux et de gauche à cause de cette notion de liberté universitaire.
Lillian Boctor : Donc, cette notion de liberté universitaire… c’est l’une des critiques qui est montée de certains secteurs de la société sud-africaine, que en ne continuant pas le protocole d’entente avec l’université Ben Gourion, vous refusiez aux universitaires cette liberté. Que répondez-vous à cela ?
Salim Vally : Oui, absolument. En Afrique du Sud et ailleurs, et aussi au Canada, la réponse est assez simple. C’est que la liberté universitaire devient inutile et vide de toute possibilité pratique si elle n’est pas instruite des conditions de cette société particulière où la liberté universitaire est supposée exister. Et une liberté universitaire doit être sensible aux conditions de génocides que je viens de citer, à celles de l’occupation et dans notre cas, de l’apartheid. Il y a beaucoup de Sud-Africains éminents aujourd’hui qui reconnaissent que nous n’aurions pas la liberté universitaire que nous avons aujourd’hui s’il n’y avait pas eu de campagne de boycott, que beaucoup d’universitaires sud-africains blancs continueraient avec insouciance à ne pas élever leur voix contre l’apartheid s’il n’y avait pas eu de pressions d’une manière ou d’une autre. La vie était formidable ! Et bien sûr, aujourd’hui, nous avons la liberté universitaire pour tous, à l’époque nous ne l’avions que pour quelques-uns.
Or, en Palestine/Israël, les universitaires palestiniens n’ont pas cette liberté universitaire, et même de plus en plus d’universitaires israéliens qui sont en désaccord avec le courant dominant. La Knesset va voter aujourd’hui cette loi qui qualifie tout soutien aux boycotts, désinvestissements et sanctions, d’infraction de sédition, d’infraction de trahison. Donc, autre chose importante, vous savez, des gens disent qu’il y a des pays où il y a bien plus de gens à se faire tuer, comme au Congo, comme au Darfour. Alors pourquoi harceler Israël ?
La différence, c’est que dans ces pays, comme le Zimbabwe ou l’Iran, ou ailleurs, il y a des campagnes de sanctions. Ces pays sont isolés par l’Occident. Mais la vérité c’est qu’Israël, en dépit de ses violations majeures du droit humanitaire et des droits de l’homme, Israël est privilégié, il est bichonné. Regardez le Canada par exemple, regardez comment le gouvernement Harper privilégie et bichonne Israël malgré ses violations des droits humains. Elle est là la différence. L’autre différence, c’est qu’au Zimbabwe ou au Congo ou ailleurs, les universitaires n’ont pas appelé le monde à boycotter leur académie. Mais les universitaires palestiniens, qui en l’occurrence sont les victimes, eux l’ont fait, comme nous l’avons fait en Afrique du Sud. Aussi, pour toutes ces raisons, nous pensons que notre défense de la liberté universitaire est la véritable façon de la défendre. Judith Butler, l’une des plus grandes philosophes en vie à l’heure actuelle, a écrit abondamment sur la raison qui la fait soutenir le boycott universitaire et c’est quelqu’un que vous ne pourrez pas prendre en faute sur son passé de défense de la liberté universitaire.
Lillian Boctor : Que pensez-vous que ce boycott va accomplir ?
Salim Vally : Eh bien, il va créer un précédent. Il a inspiré les Palestiniens malgré la répression à laquelle ils sont confrontés. Il a permis à notre société d’Afrique du Sud de se concentrer sur cette question, pour mieux la comprendre. Il a abouti à ce que beaucoup de nos collègues à travers le monde réexaminent leurs relations avec Israël. Aussi, nous pensons qu’il aura un impact énorme et qu’il fera pression sur le régime israélien et sur ce qu’il commet contre les Palestiniens.
Lillian Boctor : Vous agissez pour les droits à l’éducation, aussi en Afrique du Sud. Comment, en s’intéressant au manque de liberté universitaire et de droits en Palestine, l’attention s’est-elle tournée aussi sur ce qui passe en Afrique du Sud et comment cela a-t-il affecté les universitaires et leur rôle en Afrique du Sud elle-même ?
Salim Vally : Il s’agit d’une chose extrêmement importante et tout au long de ces dix-mois, il y a eu des parallèles avec ce qu’est la recherche. Quels sont le rôle et les objectifs de l’académie ? Quelles connaissances importent ? Et quels intérêts ? Sur la question de l’eau, par exemple, cette recherche sur l’eau avec Ben Gourion n’est pas allée sur les vraies questions. Le lobby pro-israélien a agi. Ils nous disent, nous avons un problème avec l’eau et vous reniez nos recherches, par conséquent vous êtes responsables si nous n’avons pas d’eau potable. Mais bien sûr, ce qu’ils ne veulent pas savoir c’est qui sont les pollueurs. Et l’industrie minière en Afrique du Sud, vous ne pouvez pas traiter de la pollution de l’eau sans aborder l’industrie minière. Vous ne pouvez pas traiter de la question de l’eau sans aborder sa privatisation, et sa maintenance, ses installations et ses infrastructures. Telles sont les vraies questions. Mais la recherche à Ben Gourion n’a pas abordé ces questions. Aussi, il en a résulté des questions de liberté universitaire, de dissidence, de décisions stimulantes, de démocratisation de l’académie pour que les professeurs et étudiants et personnels aient droit de veto sur ce que fait la direction. Donc, toutes ces questions sont venues et nous ont aidés à regarder notre propre société d’une manière critique pendant que nous abordions cette question. Dans ce sens, cela ne nous éloignait pas des questions auxquelles nous sommes confrontés.
Lillian Boctor : Merci beaucoup.
Salim Vally : Merci à vous.
Traduction : JPP pour Info-Palestine