Le 20 octobre, la cour de cassation a décrété l’interdiction de l’appel au boycott des marchandises d’un État tiers. La campagne Boycott, Désinvestissement, Sanction – menée internationalement contre la politique de l’État d’Israël s’avère illégale en France. Tenter d’influer sur la seule liberté du consommateur — ses choix — est désormais hors-la-loi.
Reste à découvrir si la publication de cette tribune d’Eric Hazan s’assortira de poursuites judiciaires.
Le mouvement de boycott des produits israéliens, ou plus largement le mouvement BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) prend chaque jour plus d’ampleur dans le monde entier. Même en France, la propagande qui cherche à assimiler ce mouvement à de l’antisémitisme rencontre de moins en moins d’écho. Il est cependant un point sur lequel des personnes de bonne foi, des partisans sincères d’une paix juste en Palestine-Israël ont des réserves : c’est le boycott universitaire et culturel.
Vous risquez d’affaiblir, disent-ils, d’isoler le camp des partisans de la paix en Israël.
Cet argument repose sur l’idée qu’il existe un bon et un mauvais Israël. D’un côté les laïques, ashkénazes (ça ne se dit pas mais ça se pense très fort), de gauche, qui animent la vie intellectuelle et artistique de Tel Aviv. De l’autre, les hommes en noir, les colons, les extrémistes fascisants, malheureusement aux postes de commande sous le règne de Netanyahou.
C’est une distinction fallacieuse. C’est oublier que la « gauche » israélienne porte la responsabilité de la situation actuelle, que c’est Itzhak Rabin, sa figure emblématique, qui a décidé en 1991 le blocus des territoires palestiniens par des barbelés et a fait casser à coups de pierre les mains des jeunes manifestants. C’est oublier que jamais la « gauche », jamais le « camp de la paix » n’a élevé la voix quand l’armée et l’aviation israéliennes massacraient des civils à Jénine, à Naplouse et à Gaza. Le bon Israël et le mauvais, le camp de la paix et celui de la guerre sont aussi solidaires que les deux faces de la même pièce de monnaie.
Oui, mais quand même, la littérature israélienne, le cinéma israélien dénoncent les excès de l’occupation, œuvrent pour l’entente et la réconciliation. Boycotter ces écrivains, ces artistes, c’est affaiblir ceux qui luttent pour la paix.
Ces livres, ces films sont des articles d’exportation. Pour faire face à la réprobation mondiale, il faut des arguments, il faut montrer qu’il existe en Israël des gens qui pensent autrement. Mais où, mais quand un écrivain israélien, un cinéaste israélien a-t-il pris clairement position contre l’occupation, contre les crimes de guerre ? Ni Amos Oz, ni David Grossmann, ni Amos Gitai, les plus célèbres, les plus talentueux, les plus aimés en France. Leur travail visant à montrer combien l’expression est libre en Israël vaut plus que cent escadrons de chars Merkava. Ce sont des collaborateurs de l’occupation.
Mais vous mélangez culture et politique. La culture est universelle et l’université israélienne est là pour la défendre.
L’université israélienne a avec l’armée des liens serrés, organiques, officiels. Le Technion, le grand institut scientifique de Haïfa, collabore avec la société privée d’armements Elbit, dont l’un des dirigeants siège au conseil d’administration de l’Université hébraïque. On y a mis au point les drones et les bulldozers télécommandés qui servent à détruire les maisons palestiniennes. Sur des campus comme ceux de l’Université hébraïque, de l’université de Haïfa ou du collège de Zfat, l’armée a implanté des bases militaires et les étudiants-soldats assistent aux cours en uniforme. Au collège de Zfat (Safed, en Galilée), on forme les futurs membres des services secrets, à l’université Ben Gourion, des pilotes militaires, à l’université de Haïfa, des officiers de la marine de guerre.
L’université israélienne est en outre un instrument d’apartheid, car pour les inscriptions et les diplômes, il est généralement demandé que le candidat ait terminé son service militaire – que les Palestiniens citoyens israéliens ne font pas.
Vous allez empêcher des personnes qui militent en Israël pour les droits des Palestiniens, de venir s’exprimer en France ?
Non. Il n’est pas question de boycotter celles et ceux qui viennent parler ou montrer leur travail à titre individuel. En revanche, celui qui est mandaté par une institution israélienne, universitaire ou autre, doit être considéré comme l’agent d’une opération de communication insidieuse et boycotté comme tel. Les Semaines du film israélien, l’opération Tel Aviv sur Seine ne sont pas des opérations neutres mais des manœuvres politiques. Ne soyons pas naïfs, sachons déceler la propagande là où elle est.
Le boycott universitaire et culturel est plus important – et plus redouté par le pouvoir israélien – que celui des produits cultivés ou manufacturés. Il est l’équivalent de ce que fut le boycott sportif de l’Afrique du sud au temps de l’apartheid : en ruinant la façade, il prépare l’écroulement de l’édifice.
Eric Hazan