Accusé de corruption, Benyamin Nétanyahou a sollicité dimanche une grâce présidentielle. L’opposition exige sa démission, l’accusant de détruire les institutions. Malgré ses divisions, le pays fait cependant bloc derrière son armée, accusée de crimes de guerre et de génocide.
Tel-Aviv (Israël).– Aux yeux de nombreux Israélien·nes de l’opposition, un des principaux forfaits de Benyamin Nétanyahou, leur premier ministre, est de tremper dans au moins trois affaires de corruption pour lesquelles il est en procès depuis 2020. Des poursuites judiciaires qui ont renforcé sa volonté de s’accrocher au pouvoir, quitte à ouvrir la porte du gouvernement aux suprémacistes juifs et à vouloir liquider le contrepouvoir de la justice avec une réforme impopulaire.
Les foules qui descendent chaque samedi depuis plus de cinq ans dans les rues de Tel-Aviv pour manifester contre Benyamin Nétanyahou ne font que peu de cas, en revanche, du mandat d’arrêt émis contre lui par la Cour pénale internationale (CPI) le 21 novembre 2024 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il y a un an, cette annonce des juges internationaux avait outré jusqu’à ses plus fervents opposants, dont Yaïr Golan, chef de file de la gauche sioniste.
Dimanche 30 novembre, les manœuvres de Benyamin Nétanyahou pour se soustraire à son procès ont franchi un nouveau cap : il a adressé une lettre au président israélien, Isaac Herzog, demandant à être gracié. Le chef de l’État, dont la fonction est avant tout symbolique, a noté lundi que cette demande suscitait « des débats », ajoutant : « Je ne tiendrai compte que du bien de l’État et de la société israélienne, en gardant exclusivement à l’esprit les intérêts de l’État d’Israël. »
Il ne devrait pas donner sa réponse avant plusieurs semaines. Un pardon présidentiel est en général accordé après une condamnation ; le procès du premier ministre est toujours en cours, une audience a d’ailleurs eu lieu lundi et celle de mardi a été ajournée.
Un précédent existe cependant : en 1986, le père d’Isaac Herzog, Chaïm Herzog, alors président, a accordé le pardon à des membres du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, avant qu’ils soient condamnés dans l’affaire dite du « Bus 300 ». Ils avaient tué deux des preneurs d’otages palestiniens d’un bus israélien après leur arrestation – une photo avait même été publiée dans la presse montrant les assaillants menottés et ne constituant donc plus aucune menace. La Cour suprême avait validé cette grâce présidentielle.
« Au bord de la guerre civile »
L’idée d’une grâce présidentielle de Benyamin Nétanyahou a surgi à la Knesset, le Parlement israélien, le 13 octobre. Le président des États-Unis, Donald Trump, y donne alors un discours-fleuve, après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu qu’il a négocié à Gaza trois jours plus tôt. Il se tourne vers Isaac Herzog et lui lance, désignant le premier ministre israélien qui l’écoute : « J’ai une idée. Monsieur le président, pourquoi ne pas lui accorder une grâce ? Ce passage n’était pas prévu dans le discours […]. Mais j’aime bien ce monsieur. »
Donald Trump a réitéré son appel en écrivant une lettre au président israélien le 12 novembre. Le dirigeant de l’opposition Yaïr Lapid avait alors répondu sur X : « Rappel : la loi israélienne stipule que la première condition pour obtenir une grâce est l’aveu de culpabilité et l’expression de remords pour les actes commis. » Benyamin Nétanyahou, lui, se dit innocent.
Dans le document de 111 pages transmis au bureau d’Isaac Herzog dimanche, les avocats de Benyamin Nétanyahou arguent que « les poursuites pénales engagées contre le premier ministre nuisent aux intérêts nationaux d’Israël, attisent les divisions au sein de la population » et que ses ennuis judiciaires lui grignotent un temps considérable qu’il voudrait dédier aux affaires politiques et diplomatiques de son pays.
Naftali Bennett, ancien premier ministre, s’est exprimé en faveur de cette grâce présidentielle en échange du retrait de Benyamin Nétanyahou de la vie politique, pour « sauver Israël du chaos », évoquant un pays « au bord de la guerre civile ». Le premier ministre n’a cependant pas l’air de vouloir quitter le pouvoir. Le cycle d’élections qui a marqué les années 2019-2022 a montré qu’Israël ne parvenait pas clairement à dégager un·e candidat·e capable de le détrôner durablement. Sa coalition semble partie pour rester jusqu’aux élections d’octobre 2026, malgré une impopularité grandissante.
Pendant deux ans, l’opposition a voté en chœur avec la coalition au pouvoir pour soutenir l’effort de guerre.
« L’opposition est très faible », assène Noam, 33 ans, une manifestante du désormais traditionnel rassemblement contre le gouvernement du samedi soir à Tel-Aviv, après la fin de shabbat, le jour chômé juif. « Ils ne font quasiment rien pour s’opposer vraiment au gouvernement central », ajoute la jeune femme avec une moue de dégoût. Lunettes rondes et parler franc, elle préfère cependant ne pas donner son nom de famille : elle travaille pour une institution étatique.
Pendant deux ans, l’opposition, hormis une infime minorité antisioniste, a voté en chœur avec la coalition au pouvoir pour interdire l’Unrwa, l’agence onusienne pour les réfugié·es palestinien·nes, et soutenu l’effort de guerre, sans broncher face à la multiplication des accusations de génocide ou de crimes de guerre. Noam elle-même réfute ces constats d’organisations internationales, met en doute les chiffres qui émanent de Gaza et est persuadée que l’ONU est anti-Israël.
Les divisions affleurent
Tout autour des manifestant·es, Tel-Aviv, poumon économique du pays, sort doucement de sa torpeur du week-end. L’enfer de Gaza, à une heure de là plus au sud, avec ses 70 000 Palestinien·nes tué·es en deux ans, est invisible. En revanche, les plaies israéliennes du 7-Octobre surgissent ici et là dans le paysage urbain : des portraits d’otages sont encore affichés au coin d’une rue, des autocollants à l’effigie de soldats morts au combat à Gaza ont été collés sur les feux rouges et aux vitres des abribus.
« Il y a cette douleur que tous ceux que je connais ressentent encore… Je ne peux l’expliquer par des mots », tente Ro’ee Orland, expert en sciences des données qui vient du nord de Tel-Aviv. Les manifestant·es sont venu·es pour trois raisons, explique cet Israélien de 51 ans aux cheveux blancs et fines lunettes : soutenir la procureure générale Gali Baharav-Miara, attaquée par le gouvernement – le point de rendez-vous du premier rassemblement se situait devant chez elle –, exiger le retour des corps des deux derniers otages, le policier d’une unité d’élite israélien, Ran Gvili, et le Thaïlandais Sudthisak Rinthalak, et, enfin, « pour défendre [leur] démocratie ».
C’est ce gouvernement qui a provoqué le 7-Octobre et ils n’endossent aucune de leurs responsabilités.
Ofer Havakuk, cardiologue et réserviste
Le cessez-le-feu à Gaza, en vigueur depuis le 10 octobre, a ainsi remis sur la place publique de manière plus tranchée les divisions profondes qui déchirent la société israélienne. Les sionistes libéraux s’opposent à la droite religieuse au gouvernement, et les laïcs aux ultra-orthodoxes qui refusent le service militaire. Le 24 novembre, l’armée a annoncé avoir limogé plusieurs généraux qui étaient en poste le 7-Octobre – ils avaient en réalité déjà démissionné ou pris leur retraite. Ces mesures, bien que très partielles, ont mis en lumière l’impunité de l’échelon politique ; Benyamin Nétanyahou refuse toute enquête qui pourrait le mettre en cause, lui ou sa coalition.
« Ce qu’il faut, c’est un leadership courageux, déterminé et transformateur. Un leadership qui reconnaisse les échecs et ose conduire le changement », a tancé le 27 novembre le chef d’état-major, le lieutenant général Eyal Zamir, dans une critique à peine voilée du gouvernement, lors d’une cérémonie de commémoration de la mort de David Ben Gourion, un des fondateurs d’Israël.
Se séparer
« Je crois que sur le plan politique et diplomatique, nous avons été épouvantables, juge Ro’ee Orland. L’armée, de tout ce que je peux voir, a plutôt bien fait le boulot. Dans chaque guerre, il y a des crimes de guerre [qui sont commis]. La grosse différence, c’est que d’ordinaire, chaque camp essaie de minimiser ses pertes. Quand vous combattez le Hamas, ce n’est pas le cas, ils veulent un maximum de blessés dans leur camp. »
Sa réflexion fait écho à la phrase de l’ancienne première ministre Golda Meir, en 1969 : « Nous pouvons pardonner aux Arabes d’avoir tué nos enfants. Nous ne pouvons pas leur pardonner de nous avoir obligés à tuer leurs enfants. »
Cette guerre était la « bonne chose à faire », au moins durant les premiers mois, affirme Ofer Havakuk. Réserviste israélien de 51 ans, il a délaissé l’hôpital de Tel-Aviv, où il a dirigé le département de cardiologie pendant presque un an – il a servi en tant que médecin militaire deux cents jours en tout à Gaza et deux mois dans le Nord, à la frontière avec le Liban. Mais en mai 2024, il a signé une pétition demandant au premier ministre de trouver un accord pour libérer les otages : la guerre, juge-t-il, a été inutilement prolongée dans le seul but de sauver la coalition au pouvoir.
« C’est ce gouvernement qui a provoqué le 7-Octobre et ils n’endossent aucune de leurs responsabilités, dit-il avec colère, dans un débit rapide. Ils essaient de rejeter la faute sur les autres et le plus facile est de la rejeter sur des gens comme moi, qui ont servi dans l’armée, paient leurs impôts, élèvent leurs enfants pour vivre en Israël et être sionistes. Ils nous désignent comme des “traîtres”. »
Lui revendique la solution à deux États, contrairement à la coalition au pouvoir et à une large partie du public israélien. « Je suis désolé de le dire mais je n’aime pas les Palestiniens, je veux me séparer d’eux, lâche-t-il. Je pense que mon pays croit en des valeurs comme le libéralisme, la démocratie. Et je suis navré de dire que nous ne partageons pas les mêmes valeurs. »
