Politique de désinvestissement à la manière Stanford : la forte identification à un groupe peut-elle affecter l’impartialité ?

Identité religieuse, menaces d’antisémitisme et conflits d’intérêts enbrouillent les débats sur le désinvestissement sur les campus

Un tollé a éclaté récemment à propos d’allégations selon lesquelles, après qu’une étudiante de Stanford ait demandé l’aval de la Students of Color Coalition (SOCC) pour sa candidature au Sénat des étudiants, le groupe l’aurait harcelé sur son identité juive et sur son attitude vis-à-vis du désinvestissement des entreprises faisant des affaires avec Israël. Tout cela a commencé lorsque l’étudiante, Molly Horwitz, s’est dite stupéfaite que l’interview devant la SOCC ait pris une certaine tournure :

« En cours de route, les intervieweurs m’ont demandé, « Etant donné votre forte identité juive, comment voteriez-vous sur le désinvestissement » ? Je ne parvenais pas à réaliser qu’on m’avait vraiment posé cette question. Le fait d’être juive signifiait-il que je n’étais pas qualifiée pour servir dans le Sénat ? La SOCC doutait-il de mon engagement à servir les étudiants de couleur du fait que j’étais juive ? Plutôt abasourdie, j’ai demandé des explications. L’intervieweuse de la SOCC a répondu qu’elle avait remarqué que je parlais de mon identité juive dans ma candidature et se demandait si ceci affecterait ma décision sur le désinvestissement. »

Le média conservateur the Stanford Review présenta le problème ainsi :

Alors que la SOCC a parfaitement le droit de sélectionner les candidats qui selon elle soutiendront son programme, elle n’est pas autorisée à juger les candidats purement sur la base de leurs croyances religieuses. Peut-être plus important, la question révèle le préjugé que l’identité juive d’un étudiant compromet en soi sa capacité à servir efficacement au Sénat. La discrimination religieuse, comme la discrimination sur la base de la race, du genre ou de la sexualité est bannie dans le Protocole sur les actes d’intolérance de Stanford. Ces allégations sont aussi inquiétantes parce que la SOCC est une coalition conçue pour être au service des groupes qui ont historiquement connu la discrimination.

Le journal israélien Ha’aretz s’empara de l’histoire, décrivant le ciblage supposé de Horwitz. Il répéta la déclaration de Horwitz : « Pendant l’interview avec la Students of Color Coalition, un membre a demandé à Horwitz,  » Etant donnée votre forte identité juive, comment voteriez-vous sur le désinvestissement ? » », mais un quelconque témoignage d’un étudiant du groupe était visiblement absent. Ha’aretz reconnaissait seulement que « d’après la [Stanford] Review, lors d’une rencontre avec un dirigeant de l’université, les membres de la coalition rendirent compte différemment de la séquence des questions. » C’est tout – pas de suivi, pas de vérification. Voila un journal international tout disposé à accepter d’emblée le ouï-dire d’un journal étudiant sur une question explosive, sans présenter l’autre version, et l’histoire s’amplifia.


Elle fut ensuite reprise par le New York Times, qui, de fait, présenta l’autre facette :

Tianay Pulphus, le président de la branche du N.A.A.C.P. du campus, déclara que l’accusation de Mlle. Horwitz était « infondée ».

« À aucun moment il ne lui fut demandé si son identité juive avait un effet sur son point de vue sur le désinvestissement », a dit Mlle Pulphus, une étudiante de troisième cycle qui participa à l’interview. « Nous demandons à tous les candidats comment aborderaient les questions qui ont survenues l’année précédente. Nous n’avons nullement désigné des candidats sur la base de leur identité ethnique ou religieuse. »

Mlle Horwitz, comme les autres interviewés, a été interrogée sur une série de questions, y compris sur celle les agressions sexuelles et les services de santé mentale, a déclaré Mlle Pulphus, et son avis sur le désinvestissement n’a pas été à la base de la décision de la coalition.

Une réponse plus complète fut faite par le groupe dans le journal des étudiants, le Stanford Daily, où on lit cet extrait :

« Tout candidat à notre soutien passe par un processus de contrôle rigoureux qui commence par une candidature écrite. Cette année, nous avons proposé des interviews verbales à tous les candidats, permettant aux dirigeants de nos six communautés d’échanger avec tous les candidats potentiellement retenus. Nous avons inclus, au cours du processus d’interviews, une question standard, soigneusement formulée, sur le désinvestissement. Les six groupes membres de la SOCC soutiennent l’initiative Stanford Out of Occupied Palestine, mais nous admettons qu’il existe un large spectre d’opinions sur cette question. Par conséquent, nous avons demandé aux candidats : s’ils avaient été élus sénateurs cette année, comment aurait-ils traité la question du désinvestissement ? En demandant de manière générale aux candidats comment ils « traiteraient » la question ou « s’orienteraient » dans le processus de prise de décision, nous espérions entendre des réponses répondant à deux critères principaux, énumérés avant toutes les interviews : (1) la proposition d’un plan d’action impliquant d’atteindre toutes les communautés concernées ; et (2) une volonté de prendre la responsabilité de décider ».

Le groupe est catégorique : « A aucun moment la question n’a été mise dans le contexte d’une identification religieuse. »

À présent, les responsables universitaires conduisent une enquête pour s’assurer de ce qui s’est passé. Néanmoins, cet incident a attiré l’attention internationale, pas seulement à cause de ce qui est censé avoir eu lieu mais aussi, et plus important, à cause de la signification de cet « événement » au-delà du campus. Il pose la question plus large suivante : une personne peut-elle, en remplissant un questionnaire, déclarer fièrement son identité religieuse puis ne pas être interrogée sur l’effet que cette identification pourrait avoir sur son processus de prise de décision ? Il n’y a pas si longtemps, le candidat à la présidence John F. Kennedy fut interrogé pour savoir si en tant que catholique dévot, il obéirait au pape ou à la constitution. Offensant, peut-être, mais est-ce complètement hors limites ?

Dans ce cas, une dimension spécifique lui fait faire les gros titres: l’accusation d’antisémitisme. Cette accusation a une puissance spécifique de nos jours, car nous voyons effectivement la montée de formes virulentes et horribles d’antisémitisme en Europe et ailleurs. Les personnes de foi juive sont-elles désignées uniquement à cause de cette identité ? Dans les cas réels d’antisémitisme, bien sûr c’est le cas. Mais il y a une grande différence entre exclure, harceler, persécuter et attaquer physiquement des membres d’un groupe en raison de leur identité, et demander si identification fervente à un groupe peut (ou non) affecter l’impartialité de quelqu’un. Mais plus important, ce n’est pas le « point de vue d’un groupe » (qu’il est, bien sûr, impossible de certifier à l’intérieur de grands groupes ayant une diversité d’opinions), mais le point de vue que certains membres de ce groupe ont mis en avant comme point de vue orthodoxe ou correct. Dans ce cas précis, il s’agit de l’affirmation, faite par de nombreux groupes juifs (mais pas tous) et par l’État d’Israël soi-même que le désinvestissement est mauvais. Et ici, pour moi il est important de souligner que je ne crois pas que cette sorte d’examen a eu lieu dans le cas de Molly Horwitz – je ne fais que de considérer le pire scénario décrit par les autres pour esquisser les aspects les plus larges et les plus contestables de cette question. Et pour venir à une deuxième histoire provenant de Stanford qui a aussi à voir avec le désinvestissement.

En 2014,un groupe d’étudiants de Stanford a déposé une demande au Comité consultatif sur la responsabilité et l’octroi de licences d’investissement (APIRL) de l’université, pour recommander aux administrateurs que Stanford désinvestisse des entreprises impliquées dans l’occupation israélienne. Récemment, les administrateurs ont fourni leur explication sur les raisons pour lesquelles, après audition des recommandations de l’APIRL, ils ne satisferaient pas la demande des étudiants :

« Pour venir à cette décision, le Conseil a suivi la discussion sur le campus autour de la question et a reçu des avis de l’APIRL. Dans ses délibérations, le Conseil a réfléchi sur le fait que la communauté de Stanford est diverse, avec beaucoup de groupes et d’individus – enseignants, personnels, étudiants et anciens étudiants – fortement engagés de tous les côtés sur cette question et sur d’autres questions importantes de notre époque. Une diversité de points de vue et l’engagement de Stanford pour un débat ouvert, réfléchi et civil sont critiques pour la mission éducative de l’université.

La demande de Stanford Students for Justice in Palestine (SJP) faisait valoir que Stanford devrait désinvestir ses avoirs de certaines compagnies qui, disent-ils, profitent des violations des droits humains et du droit international en Israël/Palestine. Ni l’APIRL ni le Conseil n’ont cherché à déterminer la véracité ou à démentir ces affirmations.

Plutôt que d’approfondir ces questions, le Conseil s’est focalisé sur les questions du dissensus et de l’impact négatif sur sa mission telle qu’elle figure dans la Déclaration sur l’investissement responsable. La Déclaration indique que si le conseil conclut qu’une action particulière du Conseil « nuira vraisemblablement à la capacité de l’université à mener sa mission éducative (par exemple en causant des actions adverses de la part du gouvernement ou d’agences ou de groupes extérieurs, ou en causant des divisions profondes dans la communauté universitaire), alors le Conseil ne doit pas entreprendre une telle action. » Le conseil concluait que toute action sur cette question aurait clairement un tel impact. »

Jusqu’ici, tout va bien. Les administrateurs semblent avoir pris les choses de haut, et pour le bien de l’harmonie et de l’unité, ont décidé (sans même évaluer les mérites de la question) que désinvestir, c’est diviser. Si ceci fut bien sûr une déception pour les supporters de la résolution, ce ne fut pas vraiment une surprise, malgré le fait que les gouvernements étudiants de nombreux campus universitaires (y compris l’assemblée des organismes étudiants de tout le système de l’université de Californie) ont voté des résolutions de désinvestissement, les régents et les administrateurs ont été sourds à chacune d’elles.

Mais voici des nouvelles surprenantes publiées le 20 avril, intitulées “Faute lourde dans le traitement par l’APIRL de la demande du SJP pour désinvestir,” indiquant que « Susan Weinstein, présidente du Comité consultatif sur la responsabilité et l’octroi de licences d’investissement (APIRL), qui a reçu la demande et donné son avis au Conseil d’administration de Stanford, était membre du Conseil de direction de Stanford Hillel, une organisation officiellement opposée localement et internationalement au désinvestissement tant que cela concerne Israël/Palestine. » Le communiqué poursuit :

« SJP a soumis notre demande de désinvestissement en avril 2014 et nous l’avons présenté formellement à l’APIRL en mai et en octobre 2014. Weinstein nous a dit qu’elle a démissionné du conseil de Hillel le 26 janvier 2015. Weinstein nous a confirmé qu’elle a pris en charge le traitement de la demande par l’APIRL et qu’elle a délibéré et voté sur la demande du SJP, tout cela en étant dans le conseil de Stanford Hillel. Toute la procédure de l’APIRL et du Conseil d’administration était dès lors fatalement compromise. Les standards élémentaires d’équité dans cette sorte de procédure administrative exigent que la personne qui préside la procédure ne puisse pas être un opposant ou un supporter d’une des parties contestantes.

Pour être clairs, nous ne nous opposons pas à ce que des membres de l’APIRL aient eu des opinions préalables sur le désinvestissement – nous imaginons que la plupart en avaient. Ce que nous ne pouvons pas accepter, c’est qu’un membre du conseil de direction d’une organisation explicitement et activement opposée à notre demande soit la personne en charge de son audition.

Une analogie peut servir. Feriez-vous confiance dans l’équité d’une audition universitaire sur une discrimination basée sur l’orientation sexuelle si elle était présidée par un membre du conseil d’administration des Boy Scouts of America – une organisation qui discrimine officiellement contre, selon leur expression, « les homosexuels ouverts et avérés » ? Dans notre cas, nous sommes presque certains que l’administration de Stanford n’aurait pas permis à l’APIRL d’être présidé par le directeur d’une organisation pour le désinvestissement, comme la Campagne US pour mettre fin à l’Occupation israélienne.

Ici, nous voyons ce qui semble être une situation bien plus tranchée que dans le cas de Horwitz. Pourquoi Weinstein ne s’était-elle pas récusée de la présidence sur cette enquête critique ? (Malgré qu’elle a été contactée lundi matin pour une réponse, au moment de cette publication, Weinstein n’avait pas répondu ».)

Il est essentiel de juxtaposer les deux d’affaires, à la fois dans et par elles-mêmes, mais aussi pour ce qu’elles peuvent nous enseigner sur les cas futurs. Dans sa candidature pour être soutenue par la SOCC, Horwitz a déclaré l’importance pour elle de son identité ethnique et religieuse. D’après le groupe, ils lui ont demandé comme à tous les autres candidats à son soutien, comment ils traiteraient pragmatiquement le processus de prise de décision sur une question brûlante telle que le désinvestissement, et ceci sans référence à leur religion ou ethnicité. Malgré qu’il semble y avoir une différence d’interprétation sur ce qui a été réellement transmis au cours de l’interview, ceci semblait être une procédure ouverte et sincère entre étudiants. Et même si certains objectent, c’est vraiment aux seuls étudiants de décider ce qu’il faut pour gagner leur soutien, et ceci n’était ni une rupture d’accord ni le seul critère. Encore une fois, ce n’est pas inhabituel ; en fait il est commun pour tous les candidats politiques d’être passés au crible sur leur processus de prise de décision par des supporters ou des donateurs potentiels.

Ce que nous trouvons dans le cas de l’APIRL est complètement différent. La présidente était dans une position d’autorité et de jugement sur les demandeurs. Les mérites du cas soumis ne reposent pas sur les attitudes ou les croyances d’une partie ou de l’autre, mais sur les faits. Pourtant, les administrateurs ont décidé de ne pas du tout écouter les faits, – ils ont écouté l’APIRL et ce qu’ils ont entendu était certainement largement coloré par le point de vue de la présidente. Et on peut raisonnablement croire que ce point de vue était affecté par son statut de leader à Hillel. Les étudiants ont raison: les gens objecteraient t-ils si on découvrait que la présidente est membre de la Campagne US pour mettre fin à l’occupation israélienne ? Je parie que oui. C’est peut-être trop que d’espérer une complète impartialité de quiconque, mais dans le cas présent les chances d’impartialité semblent lointaines.

Dans l’hypothèse la plus généreuse, peut-être la pensée qu’elle aurait des préjugés n’a jamais passé à l’esprit de Weinstein. Et après tout, son service au conseil de Hillel n’était pas un obscur secret. Pourtant, même un total novice sait qu’il faut se garder « même d’une apparence » de parti pris.

Une hypothèse moins généreuse suggérerait que la quasi impunité dont les soutiens de la politique de l’État d’Israël vis à vis de l’occupation semblent bénéficier (malgré leurs cris d’orfraies d’être visés) les rend auto satisfaits. Après tout, jusque très récemment, il y avait un fort consensus sur Israël aux USA, et même maintenant, une aide financière, diplomatique et politique massive lui donne de la force, comme je l’ai rapporté auparavant dans Salon. Encore une fois, il y avait très peu, voire aucune chance que les étudiants gagnent. Alors pourquoi même s’embêter à récuser ?

Mais ceux qui se réjouissent de la défaite des résolutions de désinvestissement se trompent; ils ne saisissent pas. Ceux qui argumentent pour le désinvestissement, comme ceux qui argumentent pour les boycotts et les sanctions, savent très bien qu’il est difficile d’atteindre ces objectifs, et que ceci demandera de la persistance, de l’endurance et de l’engagement. Mais entre-temps ils ont déjà parvenu à ce qu’ils voulaient fondamentalement : présenter ce sujet devant le public américain.

Partout, sur les campus, les étudiants ne mettent plus cette question de côté. L’apathie est de moins possible. Et, plus important, les étudiants s’éduquent. Même si les voix dissidentes sont censurées, punies et marginalisées sur les campus, la vérité apparaît encore. Ces voix continuent de s’exprimer partout et elles indiquent un bilan historique qu’il est impossible de réfuter de manière convaincante.

En plus de la connaissance acquise par cette auto éducation, les étudiants sont poussés par les événements. Quand Nétanyahou dit qu’il n’y aura pas de solution avec deux Etats, quand il dénonce les « Arabes israéliens » venant exercer leurs droits démocratiques, quand la Cour suprême israélienne confirme une loi « anti boycott » dans laquelle la « seule démocratie du Moyen-Orient » écrase ouvertement la liberté d’expression, il apparaît une dissonance cognitive entre ce qu’on dit comme vérité aux étudiants et ce qu’ils voient. Les étudiants créent leur propre éducation sur un sujet tabou et changent le paysage politique de leurs universités. Et alors que les résolutions de désinvestissement sont systématiquement renversées après que les votes démocratiques des étudiants les aient proposées, partout les gens regardent plus attentivement l’engagement éthique de ces écoles ainsi que le paysage moral général.

L’enjeu, c’est ce que Martin Luther King disait il y a longtemps. Dans sa fameuse « lettre d’une geôle de Birmingham« , King écrivait : « J’en suis presque arrivé à la conclusion regrettable que le grand obstacle opposé aux Noirs en lutte pour leur liberté, ce n’est pas le membre du Conseil des citoyens blancs ni celui du Ku Klux Klan, mais le Blanc modéré qui est plus attaché à l’« ordre » qu’à la justice ; qui préfère une paix négative issue d’une absence de tensions à une paix positive issue d’une victoire de la justice. »

Quoi que la présidence de APIRL ait fait ou non, on veut espérer que Molly Horwitz et d’autres comme elle fassent effectivement les choses justes, écoutent chaque cas de manière aussi dépassionnée et équitable que possible et agissent pour la présence de la justice. Parce qu’ils sont l’avenir.