Photos d’une université détruite dans le nord de Gaza, devenue un refuge

Chassés une fois de plus de chez eux, des milliers de Palestiniens se sont entassés dans le campus de l’Université Islamique situé à l’est de la ville de Gaza – où les livres sont le seul combustible disponible pour faire bouillir de l’eau, chauffer de la nourriture et rester au chaud.

Aux premières heures du matin, le 22 mars, Omar Al-Za’anin âgé de 60 ans et sa famille de six personnes ont quitté leur maison dans le quartier de Beit Hanoun dans le nord de Gaza, sous une forte pluie. Cinq nuits plus tôt, alors qu’Israël déclenchait une vague de frappes mortelles à travers l’enclave – tuant 400 personnes et en blessant des centaines – l’armée lançait des tracts d’évacuation sur le quartier d’Al-Za’anin, le déclarant “zone de combat” et exhortant les habitants à évacuer immédiatement vers des abris connus dans l’ouest de la ville de Gaza.

Alors que de nombreuses personnes ont quitté le nord de Gaza pour Khan Younis, des centaines de familles ont cherché refuge à l’Université Islamique dans l’ouest de la ville de Gaza, gravement endommagée depuis qu’Israël a bombardé le campus juste quelques jours après le 7 octobre . La famille d’Al-Za’anin en faisait partie.

“Je n’ai même pas envisagé de (m’abriter) dans des écoles de l’UNRWA parce que l’armée les cible toujours » a-t-il expliqué, ayant le sentiment que l’Université était l’option la plus sûre pour eux.

À l’entrée de l’Université Islamique dans le nord de Gaza, 24 mars 2025. (Ruwaida Amer)
Des Palestiniens montent des tentes sur le campus de l’Université Islamique dans le nord de Gaza, 24 mars 2025. (Ruwaida Amer)

Après de multiples déplacements, la famille d’Al-Za’anin avait juste commencé à se sentir de nouveau en sécurité pendant le dernier cessez-le feu, lorsqu’elle est retournée à Beit Hanoun. « Nous voulions cultiver nos terres et reconstruire notre vie et la vie de nos enfants – nous avions la sensation que la souffrance était terminée » a-t-il dit à +972. Maintenant, a-t-il poursuivi, « nous sommes toujours dans un état de choc profond à cause de la reprise de la guerre », puisque Israël massacre Gaza avec une intensité renouvelée.

Chaque jour commence en pensant à comment s’y prendre pour avoir de l’eau et faire du pain. « Nous vivons de l’aide ; nous n’avons pas de revenu du tout. Tout est cher, au double du prix » a expliqué Al-Za’anin. Malgré l’ordre d’évacuer à l’est donné par l’armée israélienne, l’université n’apparaît pas beaucoup plus sûre que Beit Hanoun. « Les bombardements continuent autour de nous et nous attendons la mort à tout moment – Je demande au monde de nous regarder avec humanité, d’arrêter la guerre et de nous donner une chance de vivre avec nos enfants ».

L’abri rappelle aussi de façon perverse aux déplacés que la jeunesse de Gaza a été privée de tout ce qui peut ressembler à une véritable éducation depuis un an et demi. « Les universités sont un endroit fait pour éduquer les enfants, pas un refuge pour les déplacés » a dit Za’anin. En janvier, l’an dernier, toutes les écoles de Gaza avaient été fermées, y compris l’ensemble de ses 12 universités qui ont été, dans différents lieux, les cibles des attaques israéliennes . Les 90 000 étudiants de Gaza inscrits avant la guerre ont été en grande partie dans l’impossibilité de continuer leurs études  pour la deuxième année de suite – et des milliers d’autres étudiants et enseignants ont probablement été tués.

Le centre de conférences détruit de l’Université Islamique au nord de Gaza, 24mars 2025. (Ruwaida Amer)
Des habitants de Gaza se réfugient dans des bâtiments détruits du campus de l’Université Islamique au nord de Gaza, 24 mars 2025. (Ruwaida Amer)

Pour Suham Naseer, une femme de 50 ans mère de huit enfants, l’Université Islamique est le huitième lieu où elle et sa famille ont été déplacées depuis le début de l’assaut israélien d’octobre 2023. À la recherche désespérée de carburant, Naseer a expliqué que ces personnes qui trouvent refuge dans l’université ont été obligées de ramasser et de brûler des livres universitaires épars, pour chauffer des aliments, faire bouillir de l’eau et ne pas avoir froid.

Comme Al-Za’anin, Naseer et sa famille étaient retournées à Beit Hanoun lors du cessez-le feu. « Nous pensions que la guerre était finie et que nous avions échappé à la mort, mais soudain la guerre et de gros bombardements ont repris » a-t-elle dit. Les déplacements sans fin sont devenus de plus en plus durs à supporter pour sa famille. « Les martyrs ont été au moins soulagés de cette souffrance » a remarqué Naseer.

Des Gazaouis ramassent des livres pour en faire du carburant, sur le campus de l’Université Islamique dans le nord de Gaza, 24mars 2025. (Ruwaida Amer)
Sans fuel ni électricité, les Gazaouis brûlent des livres pour faire chauffer de la nourriture sur le campus de l’Université Islamique dans le nord de Gaza, 24mars 2025. (Ruwaida Amer)

Subhi Al-Kharawat, âgé de 35 ans, de Beit Hanoun a trouvé refuge dans l’université pour le salut de son épouse malade et de son nouveau-né, après avoir passé les 16 premiers mois de la guerre à chercher à s’abriter dans le sud de Gaza. « Si je n’avais pas une famille, je n’aurais jamais évacué le sud au début de la guerre – ce fut une tentative pour sauver mes enfants de la mort » a-t-il dit à +972.

À la mi-février, alors que le cessez-le feu était actif, l’épouse d’Al-Kharawat a accouché pendant leur long trajet de Gaza vers le nord ; elle n’a pas eu la possibilité de se remettre de l’accouchement et du voyage épuisant – même dans les murs de l’université. « Tout le monde autour de moi est occupé à monter des tentes ici et à apporter de l’eau et de la nourriture. Nos journées sont occupées par la recherche de ce quoi est indispensable à la vie » a-t-il dit.

La nuit, les bombardements ne s’arrêtent pas. « Nous voulons que le monde stoppe ça. Assez de guerre. Nous sommes tellement fatigués de tout cela » s’esr lamenté Al-Kharawat.

Des Gazaouis collectent des livres pour les utiliser comme carburant sur le campus of l’Université Islamique au nord de Gaza, 24 mars 2025. (Ruwaida Amer)
Vêtements mis à sécher sur le campus de l’Université Islamique au nord de Gaza, 24mars 2025. (Ruwaida Amer)

Khalil Issa Naseer, âgé de 52 ans, habitant de Beit Hanoun est arrivé sans rien à l’Université Islamique, à l’exception d’une tente, après avoir été déplacé de force de sa maison le 18 mars lorsque Israël a brisé le cessez-le feu . Quand l’armée a donné l’ordre à Naseer et à ses trois enfants d’aller vers l’ouest de la ville de Gaza, ils connaissaient la pratique. « Les forces d’occupation nous donnent peu de temps pour partir et après, elles commencent à nous attaquer avec des obus d’artillerie et des avions » a-t-il expliqué.

Le bâtiment de l’université est surpeuplé et Naseer et sa famille ont eu du mal à s’installer. « Nous cherchons un mètre carré de terre, soit une zone pour monter une tente soit une tombe pour y être enterrés », a-t-il dit à +972. Et tandis qu’Israël continue à empêcher toute aide humanitaire d’entrer à Gaza — depuis six semaines maintenant – ne serait-ce que se procurer de l’eau est comme découvrir un trésor, a dit Naseer. « L’occupation nous a coupé l’eau, l’électricité et la nourriture ».

Bien qu’ayant trouvé un abri pour le moment, Naseer sait que tout sentiment de sécurité est seulement temporaire. « Nous ne nous sentons jamais en sécurité à Gaza » a-t-il dit. « L’Université Islamique qui a diplômé d’innombrables docteurs, ingénieurs et professeurs est déjà en ruines. Maintenant, que va-t-il lui arriver ? »

Ruwaida Amer est un journaliste indépendant de Khan Younis.