Par l’interrogatoire serré d’un militant de gauche, le Shin Bet viole une décision de la Haute Cour

Le service de sécurité n’a pas informé Daniel Kronberg du groupe Ta’ayush qu’il n’avait pas l’obligation de se présenter, et un critique dit qu’il « est interdit au Shin Bet de fonctionner comme une police de la pensée ».

Le service de sécurité du Shin Bet a violé une décision de la Haute Cour de justice ce mois-ci en convoquant un militant de gauche pour l’interroger sans lui dire qu’il n’était pas obligé de se présenter.

L’interrogateur, qui s’est présenté sous le nom de Geva, a dit qu’il était coordinateur de l’agence pour les affaires touchant à la gauche radicale et à la délégitimation dans la région de Kiryat Arba.

Daniel Kronberg de Jérusalem, militant du groupe Ta’ayush et éditeur en chef de l’Israel Journal of Mathematics [Journal de mathématiques d’Israël] de l’Université hébraïque, a dit à Haaretz qu’il a reçu début juillet un appel d’un homme disant qu’il travaillait pour le ministère de la Défense. L’homme a demandé à Kronberg de le rencontrer au commissariat de police de Moriah, dans la quartier Talpiot de Jérusalem.

Kronberg, comme d’autres militants de Ta’ayush, passe du temps chaque semaine à escorter des agriculteurs et des bergers palestiniens dans des zones de la Cisjordanie où les colons essaient de les empêcher d’atteindre leurs terres. Il a été attaqué plusieurs fois par des Israéliens qui venaient des colonies.

Deux de ces assaults ont impliqué une violence considérable —en février 2014 en Cisjordanie méridionale et en avril 2017 au village de Ouja dans la vallée du Jordan. Cette dernière attaque a blessé quatre militants, dont Kronberg. Selon ce que sait Ta’ayush, les assaillants n’ont jamais été inculpés.

Kronberg a rencontré l’agent du Shin Bet le 9 juillet. En réponse aux questions de Kronberg, Geva lui a dit qu’il n’était pas convoqué pour un interrogatoire. C’est seulement à ce moment là qu’il a dit que Kronberg n’était pas obligé de venir, ajoutant que s’il n’était pas venu, Geva aurait dû décider s’il devait faire « autre chose » — en l’occurrence, l’obliger à venir.

Geva a aussi déclaré qu’il n’était pas un interrogateur, mais plutôt la personne responsable pour les affaires concernant la gauche radicale et la « dalag ». C’est seulement plus tard que Kronberg a compris que ce terme était une abréviation pour « délégitimation ».

Avant la rencontre, qui a duré environ une demi-heure, les affaires de Kronberg avaient été fouillées et il a lui-même subi une fouille au corps. On lui a dit que c’était destiné à s’assurer qu’il n’avait pas d’appareil d’enregistrement.

Geva a fait des déclarations du type « Je vous connais » et « Je sais ce que vous faites », mais a aussi demandé à Kronberg ce qu’il avait comme moyens d’existence, s’il se considérait comme un membre de Ta’ayush, s’il avait entendu parler de Ta’ayush et pourquoi il faisait ce qu’il faisait. Kronberg n’a pas répondu à ces questions, ni à d’autres.

A un moment, Geva a dit : « Vous escortez les Palestiniens qui disent que leur terre a été prise ». Comme Kronberg ne répondait pas, Geva a commencé à spéculer sur ses motivations: «  Vous pensez que c’est la bonne chose à faire, vous pensez que ce que nous faisons est mal ».

Geva a demandé si Kronberg s’était jamais trouvé dans un commissariat de police. Kronberg lui a répondu : « Oui et vous savez que j’y étais », pour témoigner et porter plainte à l’occasion des attaques. Geva a confirmé qu’il était au courant, ce sur quoi Kronberg a répliqué : « Alors, pourquoi le demander ? »

Il a dit que la réponse de Geva était quelque chose comme « parce que cela me préoccupe » et que Geva a ajouté plusieurs variations sur ce thème avant de se rétracter finalement sur l’une d’entre elles, donnant à Kronberg l’impression que Geva lui-même sentait qu’il en avait trop fait avec sa feinte inquiétude.

Geva a déclaré à Kronberg, « Ce que vous faites est OK, mais cela ne doit pas devenir des actions illégitimes », ajoutant «  vous y avez échappé de peu — c’est-à-dire qu’il y a eu des cas limites ». Quand Kroneberg lui a demandé lesquels, Geva a répliqué : « violer une zone militaire fermée ».

En 2013, l’Association pour les droits civils en Israël a déposé une requête auprès de la Haute Cour contre la convocation par le Shin Bet de militants sociaux et politiques pour des « entretiens d’avertissement » qui n’étaient pas des enquêtes.

En février 2017, la Cour a statué que l’agence est autorisée à avoir de tels entretiens, mais a imposé certaines restrictions. Celles-ci incluent de dire à l’avance à la personne que se présenter est facultatif, de lui dire qu’il n’est pas soupçonné d’un crime et que rien de ce qu’il dit ne peut être utilisé dans un tribunal.

Le Shin Bet a refusé de répondre à la question de Haaretz qui voulait savoir pourquoi on n’avait pas dit à Kroneberg qu’il n’était pas obligé de se présenter. Il a aussi refusé d’expliquer pourquoi Geva s’était présenté au départ comme un employé du ministère de la Défense.

Ce n’est pas la première fois que les agents du Shin Bet se sont présentés comme responsables « pour la gauche radicale et la délégitimation ». Mais durant les auditions sur la requête de l’Association pour les droits civils en Israël, un avocat du gouvernement a insisté sur le fait que l’agence ne convoque pas des militants seulement à propos de « délégitimation » puisque ce n’est pas une des justifications listées dans la Loi sur le Shin Bet.

Le Shin Bet a refusé de répondre aux questions de Haaretz qui voulait savoir si ses objectifs avaient été modifiés et s’il agissait maintenant en conjonction avec le ministère des Affaires stratégiques, qui est en charge de mener la campagne contre la délégitimation  et les boycotts.

« Mr. Kronberg a été convoqué pour être interrogé par un agent du service de sécurité du Shin Bet pour remplir l’objectif du Shin Bet, selon les pouvoirs de l’agence accordés par la loi », a dit l’agence.

Selon l’Association pour les droits civils en Israël, convoquer des militants pour des entretiens d’avertissement « est une pratique inacceptable qui ne devrait pas exister et qui n’a aucune place dans un pays démocratique. Nous entendons avec une grande inquiétude que l’agent du Shin Bet s’est défini comme ‘responsable à propos de la délégitimation’. Il est interdit au Shin Bet de fonctionner comme une police de la pensée et de saper la liberté d’expression ».