Où sionisme et ‘droite alternative’ se rejoignent

En août 2014, l’universitaire américano-palestinien Steven Salaita a été renvoyé d’un poste de titulaire à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign après que des associations pro-israéliennes se soient plaintes auprès de….

En août 2014, l’universitaire américano-palestinien Steven Salaita a été renvoyé d’un poste de titulaire à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign après que des associations pro-israéliennes se soient plaintes auprès de l’administration de l’université à propos de messages postés sur twitter par Salaita. Ces messages critiquaient vertement la campagne de bombardements d’Israël contre Gaza, qui a provoqué plus de 2.000 morts palestiniennes, dont plus de 500 enfants.

A l’époque, nous avions écrit sur deux conséquences du licenciement de Salaita sur l’enseignement supérieur : la première faisait état de la possible « Gazafication » de la contestation de l’occupation israélienne, comme argumenté par les nombreux étudiants et professeurs qui faisaient face au harcèlement et aux intimidations parce qu’ils critiquaient Israël. La seconde demandait plus explicitement si le renvoi de Salaita ouvrait la porte à une nouvelle liste noire d’universitaires qui osaient critiquer l’État, le racisme et l’impérialisme américain.

Trois ans plus tard, il est clair que la réponse à la deuxième question est oui : le renvoi de Salaita a été un tournant décisif qui a produit à la fois une série de stratégies et, de façon aussi importante, une assurance, parmi les forces réactionnaires américaines, dans le fait que des professeurs d’université aux Etats Unis , y compris des professeurs titulaires, pouvaient être harcelés, surveillés, salis et malmenés -même au chômage- pour oser se comporter en défenseurs publics de la justice sociale.

Nous pouvons appeler cette tendance la « Salaitification » de l’enseignement supérieur. Elle prend la forme particulière d’une nouvelle ‘droite alternative’ enhardie qui a pris goût à l’imitation des stratégies développées par les sionistes et les défenseurs d’Israël pour poursuivre des tentatives de destruction des carrières d’universitaires américains dissidents. A savoir :

– Immédiatement après la victoire de Trump, est apparue une nouvelle association d’étudiants de la droite dure qui s’est appelée Tournant Décisif USA. Tournant Décisif a créé une liste noire sur internet->https://www.thecut.com/2016/11/turning-point-usa-launches-professor-watchlist.html] appelée Liste de Surveillance des Professeurs (Professor Watchlist), choisissant des commentaires faits en classe ou sur les médias sociaux par des professeurs progressistes, dans l’intention d’encourager les gens à se plaindre de leurs déclarations politiques auprès des administrateurs de l’université. La stratégie de la liste de surveillance sortait directement, non seulement des stratégies de surveillance de l’ère McCarthy, mais aussi de la plus récente association [Mission Canari, organisation secrète clandestine qui publie le profil de professeurs et d’étudiants qui critiquent Israël. Comme la Liste de Surveillance des Professeurs, la Mission Canari est spécialisée dans l’extraction de citations ou de posts internet et dans l’encouragement des lecteurs à contacter les universités pour se plaindre. La Mission Canari a même encouragé les lecteurs de ses pages à prendre contact avec les employeurs de ces personnes listées pour essayer d’obtenir leur renvoi.

– Début 2017, le professeur associé de l’université de Drexel, George Ciccariello-Maher a été la cible d’une attaque de la droite et d’une campagne de lettres envoyées à son administration après qu’il ait posté des tweets disant qu’il voulait un « génocide blanc » pour les fêtes et qu’il « avait envie de vomir » après avoir vu quelqu’un dans un avion abandonner son siège de première classe pour un soldat en uniforme. Comme dans le cas de Salaita, les tweets de Ciccariello-Maher ont été pris sous les apparences que leur a données la droite : l’administration de l’université a immédiatement mené une enquête sous la pression des associations de droite. Ciccariello-Maher a finalement été blanchi, mais pas sans avoir subi la crainte d’un licenciement.

– Pendant l’été 2017, le professeur associé de Sociologie à Trinity College, Johnny Eric Williams, a été mis en congé par son université après que la droite se soit plainte que Williams avait partagé une histoire appelée « Laissez Mourir ces Enfoirés » sur sa page internet et qu’il ait utilisé le hashtag « #letthemfuckingdie ». Les conservateurs ont prétendu que l’histoire, qui critiquait le racisme et la suprématie blanche, soutenait la violence contre les blancs. Comme dans le cas de Ciccariello-Maher, l’administration de Trinity s’est inclinée sous la pression, a mené une enquête, et a finalement défendu le droit de Williams à la liberté d’expression et à la liberté académique, pas avant d’avoir critiqué le contenu de son post. Bien que Williams n’ait pas été renvoyé, il a été obligé de prendre un congé d’un semestre.

– Professeure agrégée d’Etudes Afro-américaines de l’université de Princeton, Keeanga Yamahtta-Taylor a été traitée de « salope », « négresse », « garce », et autres qualificatifs répugnants assortis de menaces de mort après qu’elle ait prononcé un discours d’ouverture au Hampshire College -largement regardé sur Youtube- qui critiquait Donald Trump en tant de raciste et misogyne. Yamahtta-Taylor a été obligée d’annuler deux conférences sur la côte Ouest par crainte pour sa sécurité et celle de sa famille. Les professeurs de l’université de Princeton ont publiquement défendu Yamahtta-Taylor, mais l’administration de Princeton est restée les bras croisés.

Comme pour l’affaire Salaita, ces épisodes révèlent un schéma clair : les administrations des universitaires gardent le silence, ou participent activement à la persécution des universitaires en concession aux attaques politiques sexistes de la droite dure, souvent ouvertement raciste.

Les sionistes et les supporters d’Israël qui ont attaqué Salaita l’ont traité de raciste, de bigot et d’antisémite, alors qu’eux mêmes gardent le silence sur la mort des enfants palestiniens.

Nous voyons aussi des universités qui invoquent « la liberté d’expression » et « la liberté académique » avant tout pour les restreindre quand elles comportent des critiques du racisme, du sexisme et de l’impérialisme américain. Dans une démarche insidieuse, mais typiquement néolibérale, on utilise le langage de la justice sociale pour attaquer les principes de la justice sociale.

Nous voyons ici l’université néolibérale corporative dans sa pire infamie : s’alignant sur la politique de facto des Etats réactionnaires (dans le cas de Salaita, Israël et les Etats Unis, dans le dernier cas, précisément l’administration Trump).

La « Salaitification » de l’enseignement supérieur américain démontre la participation volontaire des administrations universitaires à la répression des voix universitaires opprimées raciales, genrées et sexuées au nom de ce que l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign a appelé « civilité » en renvoyant Salaita et de ce que les dissidents connaissaient à l’époque comme des mots codés pour la censure et la défense tacite des idées réactionnaires.

C’est le devoir des militants, des radicaux, des étudiants, des enseignants, des universitaires, des travailleurs et des citoyens de résister partout à l’effet Salaita. Des horreurs politiques insignes comme le bombardement israélien de 2014 sur Gaza, et le ciblage fanatique des musulmans, des latinos, des gens LGBTQ, des migrants par Trump peuvent encore être réalisées autrement par les forces de la droite alternative au nom de la « civilité ». C’est seulement quand les professeurs et les étudiants de l’université manifesteront partout leur solidarité avec leurs pairs dissidents que nous pourrons avoir partout un véritable défi face à la Salaitification et à la droite alternative et la fin de l’établissement, officiel et officieux, de listes noires et la cessation des vies et des carrières. A vrai dire, Steven Salaita a récemment annoncé qu’il quittait définitivement le monde universitaire, dans l’incapacité de trouver un poste permanent depuis qu’il a été renvoyé par l’UIUC.

Les étudiants et les professeurs qui cherchent à témoigner leur propre solidarité en répondant aux attaques de la droite alternative devraient rejoindre maintenant les associations universitaires comme les Etudiants pour la Justice en Palestine, adhérer à l’Association Américaine des Professeurs d’Université, ou s’associer au nouveau réseau national antifasciste des campus.

En modifiant légèrement les mots de Martin Niemöller, nous ne pouvons attendre qu’ils viennent pour nous.