Cofondateur du mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), Omar Barghouti dénonce la répression israélienne et dénie toute accusation d’antisémitisme. Il déplore la criminalisation de BDS par Paris et montre que cette campagne, qui ne cesse de progresser, est crainte par Tel-Aviv.
Entretien réalisé par Pierre Barbancey publié dans l’Humanité du 16 janvier 2016
Qu’est-ce que le mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) ?
OMAR BARGHOUTI C’est un mouvement non violent lancé en 2005 par la société civile palestinienne et qui cherche à contribuer au combat du peuple palestinien pour ses droits. Il vise à forcer le régime israélien d’occupation et de colonisation à se conformer au droit international comme cela avait été fait en son temps contre le régime d’apartheid d’Afrique du Sud. Plus spécifiquement, le mouvement BDS cherche à en finir avec l’occupation des territoires palestiniens et arabes depuis 1967, ce qui inclut le démantèlement des colonies et du mur, mais aussi avec son système de discrimination raciale qui touche les citoyens palestiniens et qui s’avère un système d’apartheid, selon la définition de l’ONU. BDS veut également le retour des Palestiniens dans leur maison d’origine d’où ils ont été expulsés à l’occasion d’un nettoyage ethnique. Ces trois droits basiques correspondent aux trois principales composantes du peuple palestinien : ceux de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, incluant Jérusalem (soit 38 % du peuple palestinien, selon les chi[res de 2014), les Palestiniens citoyens d’Israël (12 %) et ceux qui sont en exil (50 %). Plus des deux tiers des Palestiniens sont des réfugiés ou des personnes déplacées dans leur pays même.
Certains disent que le boycott relève de l’antisémitisme.
Le mouvement BDS se réclame de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est non sectaire et rejette toutes les formes de racisme, y compris l’islamophobie, l’antisémitisme et les dizaines de lois israéliennes racistes. Le soutien des juifs à la campagne BDS a grossi exponentiellement ces deux dernières années. Un sondage réalisé en 2014 pour le compte de l’organisation américaine J-Call et concernant les juifs américains a montré que 46 % des hommes juifs américains non orthodoxes âgés de moins de 40 ans soutenaient un boycott total d’Israël pour en finir avec l’occupation. De même, le soutien à l’organisation Voix juive pour la paix, qui est un partenaire stratégique pour le BDS aux États-Unis, a nettement augmenté ces deux dernières années. Le mouvement BDS n’a jamais visé les juifs ou les Israéliens en tant que juifs. BDS vise Israël et les entités complices de ce régime d’oppression, non pas sur la base d’une identité réelle ou clamée, qu’elle soit religieuse, ethnique ou autre, mais sur le fait que ce régime dénie aux Palestiniens les droits stipulés par les lois internationales de l’ONU. BDS vise la complicité, pas l’identité. Il appelle à des droits égaux pour tout humain, quelle que soit son identité. Un aspect souvent négligé du texte fondateur du BDS est son appel direct à conscientiser les Israéliens pour « soutenir le mouvement dans l’intérêt de la justice et d’une paix réelle ».
En fait, les partenaires juifs israéliens au sein du mouvement BDS jouent un rôle significatif en dénonçant le régime israélien d’oppression et en préconisant son isolement. Israël, et sa machine de propagande bien huilée, accuse immédiatement tout supporter de BDS d’être antisémite. C’est une forme d’intimidation pour faire taire toute contestation. C’est une tactique particulièrement utilisée contre les Européens et les Américains qui soutiennent le boycott, les rendant coupables de l’Holocauste. Tactique qui permet à Israël, depuis des décennies, de forcer au silence face à l’oppression que subissent les Palestiniens. Mais cette accusation d’antisémitisme ne marche pas avec les Palestiniens, victimes du sionisme et des projets coloniaux, qui n’ont joué aucun rôle dans l’Holocauste et ne devraient pas en payer les conséquences.
La campagne BDS porte-t-elle ses fruits ?
Israël, lui-même, a reconnu que notre campagne avait un impact « stratégique » sur son régime d’oppression. Il suit d’aller sur notre site Internet (bdsmovement.net) pour voir comment, depuis le début de l’année 2016, notre mouvement et son impact ont progressé.
Justement, comment Israël tente-t-il de contrecarrer le mouvement BDS ?
Après avoir échoué pendant des années à stopper ou même seulement à ralentir notre mouvement, Israël a lancé, en février 2014, une campagne de répression sans précédent en utilisant l’espionnage, en votant des lois et en développant toujours plus sa propagande. La croisade maccarthyste, lancée contre le BDS, dépend en grande partie de sa capacité à mobiliser des politiciens corrompus et des élus aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni, au Canada, en Australie pour faire de la surenchère afin de tuer légalement ou politiquement la solidarité avec la lutte des Palestiniens pour l’autodétermination à travers la campagne BDS.
Le juriste et journaliste américain bien connu Glenn Greenwald a décrit des mesures draconiennes prises par les gouvernements occidentaux contre le BDS comme « le plus important danger pour la liberté d’expression en Occident ». Mais cette exceptionnelle guerre antidémocratique menée contre le BDS s’est retournée contre Israël. Les gouvernements suédois, irlandais et néerlandais ont publiquement défendu le droit d’apporter leur soutien aux Palestiniens par la campagne BDS, comme l’ont fait des organisations éminentes comme Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ou encore l’Union américaine pour les libertés civiles.
Plus de 23 000 personnes ont signé l’appel du BDS à l’ONU à propos de #RightToBoycott. Et même le Los Angeles Times a publié un éditorial titré « Le boycott d’Israël est une forme protégée de la liberté d’expression » ! Plus de 350 organisations de la société civile, de partis politiques et de syndicats en Europe soutiennent totalement le droit d’appeler au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre Israël. Plus de 30 députés européens ont appelé la haute représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, à prendre des mesures pour assurer la liberté d’expression concernant le mouvement BDS pour la justice et l’égalité, et ont reconnu Omar Barghouti comme un défenseur des droits de l’homme. Des personnalités juives du monde entier ont dénoncé les tentatives d’Israël pour faire disparaître le mouvement BDS et de le dépeindre comme antisémite. Malheureusement, plusieurs gouvernements européens sont devenus les partenaires de la répression antidémocratique d’Israël. La France est aujourd’hui, à l’Ouest, la capitale de la répression antipalestinienne. La société civile palestinienne a d’ailleurs dénoncé les mesures de répression adoptées par le gouvernement et le système judiciaire français contre les militants des droits de l’homme qui soutiennent la lutte du peuple palestinien.