Occupation des territoires palestiniens : la Cour internationale de justice appelle Israël à « mettre fin à sa présence dans les plus brefs délais »

La CIJ avait été saisie par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2022. Les juges ont déclaré « illicite » l’occupation israélienne et ont rappelé le « droit à l’autodétermination » sans condition des Palestiniens.

« Souveraineté », « autodétermination » : ces mots ont résonné, vendredi 19 juillet, dans la monumentale salle d’audience de la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye. Dans une décision claire et sans détour, ses juges ont déclaré « illicite » l’occupation israélienne du territoire palestinien et décidé qu’Israël a « l’obligation de mettre fin à sa présence (…) dans les plus brefs délais ». En sortant de l’audience, l’ambassadeur de la Palestine à l’ONU, Riyad Mansour, a salué « une décision historique ». Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a rapidement exhorté « la communauté internationale à exiger qu’Israël, en tant que puissance occupante, mette fin à l’occupation et se retire sans condition ».

La CIJ avait été saisie par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2022. Elle lui demandait de rendre un avis juridique sur la légalité, ou non, de l’occupation israélienne, et, dans la négative, d’en prononcer les conséquences. En février, plus de cinquante Etats et organisations étaient venus plaider à La Haye, où siège la Cour, mais pas Israël. L’Etat hébreu avait boudé les audiences, laissant à ses alliés les plus solides, Etats-Unis et Royaume-Uni, le soin de plaider en sa faveur. Washington avait demandé aux juges de rendre un avis général, appelant à la reprise de négociations de paix. Leur décision plonge au contraire au cœur du conflit israélo-palestinien.

Ce sont les « politiques » mises en œuvre par Israël qui rendent l’occupation illégale, expliquent les juges. En plus de 80 pages, ils démontrent que l’Etat hébreu annexe de larges parties du territoire palestinien, et par là viole « l’interdiction de l’acquisition de territoire résultant du recours à la menace ou à l’emploi de la force », ainsi que le droit à l’autodétermination des Palestiniens. « Les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne sauraient non plus l’emporter sur le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force », a lu à la Cour son président, Nawaf Salam.

La Cour revient sur cinquante-sept ans d’occupation. Le jugement détaille les pratiques de l’occupant, dont l’installation de colons juifs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est (750 000 aujourd’hui), le transfert forcé de population, les expulsions, les démolitions d’habitations, la confiscation de terres, les restrictions de circulation, le détournement des ressources naturelles « au profit de sa propre population, notamment des colons ». Israël a l’obligation « de respecter le droit du peuple palestinien à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles », ajoutent les juges.

Les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est « sont maintenues en violation du droit international ». La décision s’avère plus sévère et tranchée que celle sur le mur de séparation, rendue en 2004. La Cour avait estimé que cet ouvrage, bâti par Israël durant la seconde Intifada, à l’intérieur de la Cisjordanie, était contraire au droit international et devait être démantelé.

Réparer les dommages causés

Au détour de quelques paragraphes, les juges reprochent à Israël de ne pas se comporter comme un Etat digne de ce nom, notamment en ne punissant pas les colons qui violentent les Palestiniens, avec parfois le concours des forces d’occupation. La Cour ne parle pas explicitement d’apartheid, mais estime que le régime de restrictions généralisées imposé aux Palestiniens est basé sur une politique de « discrimination systémique ».

Avec ces mesures, et la proclamation de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu, Israël fait tout « pour rester en place et créer un effet irréversible », constatent les juges. Cela revient « à une annexion de vastes parties du territoire occupé ». En droit international, « l’occupation est une situation temporaire répondant à une nécessité militaire, et ne peut donner lieu à un transfert du titre de souveraineté à la puissance occupante ».

En exerçant « sa souveraineté sur certaines parties du territoire palestinien occupé, notamment la Cisjordanie et Jérusalem-Est », Israël entrave le droit des Palestiniens à l’autodétermination. La Cour ajoute que « l’occupation ne saurait être utilisée de sorte à laisser indéfiniment la population occupée dans l’expectative et l’incertitude ». Elle « considère que l’existence du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ne saurait être soumise à conditions par la puissance occupante, étant donné qu’il s’agit d’un droit inaliénable ».

Les juges précisent aussi le statut de Gaza, qui, au cours des derniers mois, a été de nouveau débattu. D’un point de vue juridique, même si en 2005, Israël s’est retiré de la bande de Gaza, elle reste occupée, rappellent-ils, car l’Etat hébreu y conserve certaines prérogatives, dont la maîtrise des frontières et la perception des taxes à l’importation et à l’exportation, notamment. Cela est « encore plus vrai depuis le 7 octobre 2023 », écrivent les juges.

Pour conclure, les juges estiment qu’Israël a l’obligation de se retirer du territoire palestinien, d’« évacuer tous les colons », de restituer les biens détruits et de réparer les dommages causés. Cette dernière demande dépasse les scénarios catastrophes envisagés en Israël à la veille de la publication cet avis juridique. Qualifiant « l’opinion » des juges d’« absurde », le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a répliqué vendredi que « le peuple juif n’est pas un occupant sur sa propre terre, y compris dans notre capitale éternelle Jérusalem, ni en Judée-Samarie [la Cisjordanie occupée], notre patrie historique ».

Indignation en Israël

Avec lui, presque toute la classe politique s’est indignée de cette décision, estimant qu’elle affaiblit l’Etat hébreu, dans le dixième mois de la guerre qu’Israël mène à Gaza. Cette opération a causé la mort de près de 40 000 Palestiniens, fait 2 millions de déplacés et détruit l’enclave. Le chef de l’opposition, Yair Lapid, a déploré une décision « teintée d’antisémitisme ». Le président du Parlement est allé jusqu’à avancer que la Cour avait été « détournée par des islamistes ».

Ces hauts cris cachent mal l’absence totale d’arguments de fond du gouvernement israélien contre cet avis, à l’heure où le premier ministre, Benyamin Netanyahou, et ses alliés ultranationalistes assument une politique d’annexion pure et simple de la Cisjordanie occupée, et ne prétendent plus, en aucune manière, à un règlement négocié du conflit.

Le principal artisan de cette évolution, le ministre des finances et ministre de tutelle de la Cisjordanie au sein de la défense, Bezalel Smotrich, n’a pas hésité à proposer une « réponse à La Haye : la souveraineté [de l’Etat d’Israël sur les territoires] maintenant ! » Autrement dit, l’annexion de jure de la Cisjordanie.

Jeudi, le Parlement avait voté, par 68 voix contre 9, un texte affirmant son opposition à l’établissement d’un Etat palestinien, avec le soutien notamment de l’opposition centriste menée par le général Benny Gantz, qui ne souhaite pas risquer d’être accusé de « gauchisme ».

Même s’il fait autorité, l’avis juridique remis par les juges n’est pas contraignant. Ils invitent néanmoins l’Assemblée générale, qui saisi la Cour, et le Conseil de sécurité à définir les modalités de retrait d’Israël du territoire palestinien et de l’autodétermination des Palestiniens. Quant aux 193 membres de l’ONU, ils sont appelés à « ne pas prêter aide ou assistance » au régime d’occupation.

La décision de la CIJ pourrait influer sur le travail de la Cour pénale internationale (CPI). Le bureau du procureur est censé enquêter sur les crimes de la colonisation depuis février 2021. De nombreux juristes considèrent que ce dossier est, d’un point de vue juridique, l’un des plus faciles que la CIJ ait à traiter. Mais le procureur, Karim Khan, n’a toujours pas demandé de mandat d’arrêt en lien avec cette question. Les demandes visant M. Nétanyahou et son ministre de la défense, Yoav Gallant, qui ont été émises au mois de mai, portent sur la guerre à Gaza.