Nous sommes des Israéliens qui étudions le fascisme. Cette semaine, notre pays a fait un pas terrifiant vers l’abîme

Une nouvelle proposition de loi visant à réprimer la dissidence politique dans les universités est tout droit sortie du manuel illibéral.

D’innombrables mots ont été écrits ces derniers mois sur la rapide transformation d’Israël en État antilibéral. Et cette semaine, le pays a fait un grand pas vers un fascisme à part entière.

Le Syndicat National des Étudiants Israéliens a proposé mardi une nouvelle loi qui exigerait de licencier tous les universitaires qui expriment une opinion divergente, y compris les professeurs titulaires. « Les institutions universitaires seront obligées de licencier immédiatement un conférencier, un professeur ou un chercheur qui s’exprime ou agit d’une façon qui comporte le déni de l’existence d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, une incitation au racisme, à la violence ou au terrorisme et/ou un soutien à une lutte armée ou à un acte de terrorisme contre Israël », dit le projet de loi.

Les institutions qui ne respectent pas ces décisions perdraient leur financement public.

Avec ne serait-ce que la proposition de cette loi – qui jouit paraît-il du soutien de la majorité de la Knesset – Israël se dirige vers le fascisme à une vitesse vertigineuse. Nous devrions savoir ; nous sommes des historiens des régimes autoritaires, nous spécialisant, respectivement, dans l’Italie de Mussolini et l’Iran d’après 1979. Expliquer la répression de l’État est notre pain quotidien.

Et nous sommes Israéliens. Nous avons grandi ici, avons étudié dans les universités israéliennes, et parlons quotidiennement à nos familles qui vivent encore ici. Quand nous avertissons qu’Israël est sur une pente glissante vers l’autoritarisme, nous ne sommes pas des Juifs ayant la haine de soi et qui appellent à la destruction du seul État juif, comme le prétendent souvent les experts de droite. Nous nous exprimons parce que nous voyons qu’Israël s’avance vers un abîme, et cela nous préoccupe.

Si elle est votée, cette loi donnera une légitimité et une force supplémentaire à la persécution déjà rampante des éducateurs qui ont osé critiquer la guerre ou le gouvernement.

Le professeur de lycée Meir Baruchin a été licencié, arrêté et emprisonné pour avoir pleuré sur Facebook les enfants palestiniens morts. La professeure arabe israélienne à l’Université Hébraïque Nadera Shalhoub-Kevorkian a été arrêtée et interrogée après avoir évoqué les horreurs à Gaza – ainsi que celles du 7 octobre – dans un podcast.

Regev Nathansohn, du Collège Sapir, a été mis en congé sans solde pour avoir signé une lettre – que nous avions initiée – appelant le Président des États-Unis Joe Biden à mettre fin à la livraison d’armes américaines à Israël. La professeure Anat Matar a été dénoncée publiquement par l’Université de Tel Aviv, où elle travaille ; Sabreen Msarwi a perdu son poste de professeure d’Arabe au collège après avoir commémoré la Nakba ; la liste est longue.

L’une des marques de fabrique du fascisme, c’est qu’il ne peut tolérer aucune opposition. Il qualifie les dissidents d’ennemis et les persécute. C’est exactement ce que fait la loi proposée. En utilisant des termes élastiques comme « incitation », « racisme » et « violence », la loi rendrait théoriquement possible de licencier des universitaires qui remettraient en question la guerre d’Israël contre Gaza, sans parler du fait de la qualifier de génocide ou de soutenir un embargo sur les armes.

Triste ironie, l’académie israélienne elle même a joué un rôle dans la détérioration des normes et du discours public. Certaines universités, comme l’Université Hébraïque et l’Université Ben Gourion, ont commencé en 2020 à accorder des crédits universitaires à des étudiants qui travaillaient bénévolement avec l’organisation Im Tirtzu, qui harcèle les universitaires de gauche depuis deux décennies, et qu’un tribunal israélien a décrite comme ayant des caractéristiques fascistes. D’autres universités ont consacré des ressources à la promotion de la hasbara, propagande officielle d’Israël : L’Université Reichman à Herzliya mène un programme, Act IL, qui forme les étudiants à devenir des guerriers en ligne pour protéger l’État contre les critiques.

Mais ces institutions ont également été absolument essentielles à la transformation d’Israël en un État dans lequel une diversité de perspectives ont, historiquement, pu se développer, comme celle de feu Yeshayahu Leibowitz, qui a contribué au vocabulaire intellectuel avec lequel la plupart des chercheurs analysent aujourd’hui l’occupation. Des penseurs critiques, palestiniens et juifs, continuent de travailler dans les universités israéliennes, les plus importants d’entre eux membres de l’organisation Académie pour l’Égalité, dont le credo même est de faire progresser l’égalité et la justice.

Cibler l’enseignement supérieur est une tactique éprouvée pour les régimes illibéraux et autoritaires. L’Italie fasciste a assassiné et emprisonné des universitaires qui ont osé s’opposer à Mussolini. Après la révolution de 1979, l’Iran a fermé des universités pendant des années. Et l’Allemagne nazie, en plus de persécuter les universitaires juifs, a brutalement persécuté des écrivains et des artistes qui ne se conformaient pas à l’idéologie nazie.

Des millions de Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie occupée vivent sans démocratie depuis des années. Mais en tant que système politique fonctionnel, elle a conféré un mince vernis d’égalité et de liberté à la vie en Israël proprement dit. Maintenant, cette façade est en train de s’écrouler.

L’étau se resserre autour des ennemis supposés du gouvernement, avec des répercussions qui ciblent de pans toujours plus larges de la société. Les citoyens palestiniens d’Israël continuent de faire face au pire, tel le médecin-chef qui a été licencié de son poste à l’hôpital pour avoir posté la Shahada – la profession de foi islamique – ou le propriétaire d’un salon de beauté situé en Galilée qui a été arrêté, menotté et les yeux bandés après avoir posté un mème pleurant les récentes morts violentes de civils à Rafah.

Mais la portée de cette violence s’accroît, attirant aussi maintenant des manifestants anti-guerre, qui font face à des niveaux de brutalité policière sans précédent. Même les familles des otages, dont beaucoup appellent à un cessez-le-feu immédiat et à un accord d’échanges qui permettrait à leurs êtres chers de revenir, ont quelquefois été traités de collaborateurs contre Israël.

Alors que les attaques sur Gaza continuent de choquer le monde, et alors que colons et soldats terrorisent les Palestiniens de Cisjordanie en toute impunité, ne nous y trompons pas : Israël se retourne aussi contre ses propres citoyens. Ces événements sont connectés. Nos études nous ont appris que, dans des États illibéraux, l’oppression d’un groupe s’engrène facilement dans la persécution d’un autre, jusqu’à ce que personne ne soit sauf, rappelant le célèbre poème de l’époque de l’Holocauste de Martin Niemoller, « D’abord Ils sont Venus ».

Une société n’a pas besoin de ressembler à l’Italie des années 1930 ou de l’Allemagne des années 1940 pour être fasciste. Elle n’a pas besoin de Chemises Noires brandissant des gourdins, de masses dressant leur main dans un salut nazi. Le fascisme est un système de nationalisme extrême qui légitime la violence et écrase toute dissidence. C’est ce qu’Israël est en train de devenir.

Shira Klein est professeure associée et titulaire de la chaire d’histoire à l’Université Chapman. Finaliste du Prix national du Livre Juif, elle se concentre à la fois sur la communauté juive italienne moderne et sur la désinformation à l’ère digitale.

Lior B. Sternfeld est professeur associé d’Histoire et d’Études Juives à l’Université de l’État de Pennsylvanie. Ses recherches se concentrent sur l’Iran moderne et les communautés juives du Moyen Orient.

  • Des militants pro-palestiniens portent des pancartes au cours d’un rassemblement pour commémorer le Jour de la Nakba le 15 mai à l’Université de Tel Aviv. Photo d’Amir Levy/Getty Images