Nous renvoyons nos médailles des Olympiades de mathématiques en signe de protestation éthique

Les Olympiades internationales de mathématiques (International Mathematical Olympiad, IMO) ont suspendu la Russie en 2022 mais l’ont réadmise en 2025 au lieu de suspendre aussi Israël. Dans cet article, j’explique comment ce déclin moral de l’IMO s’est poursuivi de 2022 à 2025 et je souligne ses sérieuses conséquences négatives pour la communauté internationale des olympiades.

Par Melih Ucer

La solidarité avec des concurrents défavorisés procède sans aucun doute de l’esprit olympique. Cependant, des incidents de l’histoire olympique moderne montrent autant d’exemples négatifs que d’exemples positifs. Quand un régime oppresseur empêche les athlètes appartenant à une minorité de s’épanouir, quelle est la position éthique correcte de la communauté olympique vis-à-vis des oppresseurs ? Par exemple, le Comité olympique international (International Olympic Committee, IOC) a exclu à juste titre l’Afrique du Sud pendant l’apartheid, entre 1964 et 1988. Cependant, le même IOC avait permis aux Jeux de 1936 d’avoir lieu à Berlin, pendant la période nazie. Qu’en est-il si un pays agressif détruit un voisin, son infrastructure et ses institutions, empêchant ses sportifs de bénéficier d’une égalité des chances ? Par exemple, l’IOC a exclu à juste titre la Russie en 2022 à cause de l’invasion de l’Ukraine, mais il avait tenu les Jeux de 1980 à Moscou pendant l’invasion de l’Afghanistan, et il continue à inclure Israël malgré le génocide en cours à Gaza, l’occupation de la Cisjordanie et les attaques sans provocation réciproque contre d’autres pays voisins. Les Olympiades internationales de mathématiques (IMO) ont aussi suspendu la Russie en 2022 mais l’ont réadmise en 2025 au lieu de suspendre aussi Israël. Dans cet article, j’explique comment ce déclin moral de l’IMO s’est poursuivi de 2022 à 2025 et je souligne ses sérieuses conséquences négatives pour la communauté internationale des olympiades.

Les Olympiades de mathématiques sont un événement annuel prestigieux, qui a permis à la carrière de beaucoup de mathématiciens de classe internationale de démarrer et a instauré une « communauté des Olympiades » transculturelle, liée par l’appréciation des mathématiques comme langage unificateur. Pourtant, comme c’est le cas dans le monde sportif, certains jeunes esprits se voient privés de cette incroyable opportunité par des acteurs malfaisants. La communauté des olympiades éprouverait-elle de la sympathie pour la détresse de leurs membres défavorisés ? Il s’avère que la réponse a été « oui » en 2022, qu’elle est devenue « c’est selon le pays » en 2024 et qu’elle est finalement devenue « non » en 2025. Cette transformation honteuse de l’IMO a conduit plusieurs anciens médaillés, dont moi, à retourner leurs médailles en signe de protestation.

Pour rappeler comment l’histoire s’est déroulée, étape par étape, de 2022 à 2025, je me réfère à Ahmed Abbes qui a été le premier à retourner ses deux médailles de l’IMO le 22 juillet 2025. Dans sa lettre au Bureau de l’IMO et au comité d’éthique de l’IMO, Abbes a écrit :

 « En 2022, quand la Russie a envahi l’Ukraine, le Bureau de l’IMO a réagi en quelques semaines. Il a invoqué la clause de force majeure, a proposé une résolution et organisé un vote électronique. Le Jury a voté en faveur de la suspension de la participation de la Russie en tant qu’État, tout en permettant aux étudiants russes de concourir individuellement.

En 2024, quand des demandes similaires ont été faites à propos d’Israël, le même Bureau a refusé d’agir. Au lieu de cela, il a changé les règlements pour interdire « toute utilisation politique » de l’IMO. Ce changement a eu un effet glaçant. Des dirigeants de délégation ont rapporté une atmosphère de peur. Toute mention de Gaza a été découragée.

En avril 2025, plus de 700 mathématiciens — dont des médaillés Fields, des dirigeants d’équipes pour l’IMO et des participants — ont signé une pétition appelant à la suspension d’Israël en tant qu’État, en suivant le précédent de la Russie. La pétition dénonçait aussi les efforts du Bureau de l’IMO pour bloquer toute discussion.

En juin 2025, un projet de résolution a été soumis au Jury, soutenu par plus de 500 membres de la communauté mathématique. Il proposait d’appliquer les mêmes mesures que celles utilisées en 2022 : suspendre la participation d’Israël en tant qu’État, tout en maintenant le droit des étudiants israéliens à participer individuellement.

Confronté à un soutien écrasant de cette résolution, particulièrement de la part du Sud mondial, et dans l’incapacité de maintenir plus longtemps son double standard, le Bureau de l’IMO a introduit une contre-résolution de dernière minute lors des Olympiades de juillet 2025 en Australie. Elle déclarait que « des mesures contre des pays participants à l’IMO ne seront prises qu’en cas de violations des règlements de l’IMO » et que « toutes les suspensions en cours expirent à la fin de l’IMO 2025 ». Ce faisant, le Bureau affirmait de fait que les règlements internes de l’IMO ont préséance sur le droit international, y compris la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et la Convention sur la prévention et la punition du crime de génocide. Cette contre-résolution a été adoptée.

Dans un effort pour protéger Israël d’avoir à rendre des comptes pour ses crimes, le Bureau en a donc été réduit à lever les sanctions contre la Russie et à blanchir de fait les crimes de Poutine en Ukraine. »

Comme le montrent les explications d’Abbes, l’IMO a témoigné d’une position claire en 2022 quand des attaques russes indiscriminées sur des cibles civiles en Ukraine ont mis en danger certains membres de la communauté des Olympiades. Mais l’IMO n’a pas témoigné de la même position en 2024, même après la destruction par Israël du système entier d’éducation à Gaza, après l’assassinat de plus de 10000 enfants et le blocage de la participation à l’IMO de l’équipe palestinienne. Pendant ce temps, la Russie est restée suspendue à cause de ses crimes en Ukraine, crimes dépassés depuis par les crimes d’Israël en Palestine. Finalement, en 2025, l’IMO a décidé de réadmettre la Russie, en opérant un complet revirement par rapport à sa position humanitaire antérieure. Qu’est-ce que cela signifie ? Je l’ai expliqué dans ma lettre au Bureau de l’IMO et au Comité d’éthique de l’IMO le 23 juillet 2025, quand j’ai retourné mes quatre médailles, à la suite d’Ahmed Abbes qui l’avait fait le jour précédent. Dans cette lettre, j’ai écrit :

« En juillet 2024, j’ai envoyé un e-mail au Bureau de l’IMO, protestant contre leurs tortueux efforts pour protéger Israël d’avoir à rendre des comptes et — en particulier — à cause de leur double traitement, par rapport au cas de la Russie, qu’ils avaient auparavant suspendue en temps opportun pour son invasion de l’Ukraine. Dans mon email, je donnais de nombreux exemples de ce double standard et je demandais à plusieurs reprises, d’une manière rhétorique, « si l’Ukraine était plus égale que la Palestine ». Le Bureau de l’IMO a aisément ignoré ma petite action individuelle.

Mais en mai et en juin 2025, des centaines de mathématiciens et de membres de la communauté de l’IMO ont signé deux lettres adressées au Bureau de l’IMO et au jury, dans lesquelles ils demandaient qu’Israël rende des comptes, dans les mêmes conditions que la Russie. L’IMO ne pouvait plus ignorer cet appel massif et ne pouvait plus longtemps maintenir son traitement différent des violations des droits humains en Ukraine et en Palestine. En conséquence, l’IMO a trouvé la solution la plus cynique pour égaler la vie d’un Ukrainien à celle d’un Palestinien : à savoir, diminuer la valeur de la vie ukrainienne au lieu d’augmenter la valeur de la vie palestinienne. Je ne vois aucune autre explication à leur décision de réadmettre la Russie au lieu de suspendre Israël. » 

La faillite morale de l’IMO est donc évidente, mais ce qui la rend encore pire est leurs prétendues justifications. Pour citer la lettre d’Abbes : le président du Bureau de l’IMO, Gregor Dolinar, a confirmé plus tard que des considérations financières jouaient un rôle : « Les sponsors ne veulent pas avoir à faire à des organisations motivées politiquement », a-t-il dit au Guardian. Dolinar affirme être apolitique, mais il n’y a pas d’acte plus politique que de choisir de protéger un État contre la nécessité de rendre des comptes pour un génocide. En réduisant au silence le débat, en manipulant les règles pour bloquer toute réponse et en garantissant qu’Israël serait traité différemment de la Russie, il s’est engagé dans la pire sorte de politique — la politique du déni et de la complicité. Ce faisant, il a profondément trahi les principes que l’IMO prétend défendre.

Dans ma lettre, j’ai abordé cette prétendue justification en ces termes : « Pire cependant, c’est sous le déguisement d’une position ‘non politique’, qui est bonne pour les ‘affaires’. Je vois ces mots comme des euphémismes pour vendre nos valeurs à des criminels ».

C’est cette transformation honteuse entre 2022 et 2025 qui a conduit Ahmed Abbes, moi, Valerio Melani et Redi Haderi à retourner nos médailles de l’IMO en signe de protestation éthique. Abbes a écrit qu’il ne souhaite pas être associé à une institution qui reste silencieuse devant le calvaire des candidats des Olympiades à Gaza, simplement parce qu’ils sont palestiniens. J’ai ensuite écrit que je ne veux pas être associé à l’IMO jusqu’à ce que les Olympiades restaurent les valeurs clés d’une collaboration pacifique entre nations dans la maîtrise des mathématiques. Melani a écrit ensuite qu’ils ne veut pas être associé avec les actes politiques clairs et forts de l’IMO, déguisés en un souhait de « rester en dehors de la politique ». Finalement, Haderi a écrit que le sens de dégoût que lui a inspiré cette lamentable décision récente a supplanté la fierté que sa médaille lui avait donnée tout ce temps, au point qu’il ne veut plus être associé avec l’IMO.

Je suis sûr que beaucoup de collègues suivront notre action ferme de protestation éthique. Son administration a mis l’IMO en difficulté : soit ils corrigeront la situation, soit la communauté exercera une pression suffisante pour qu’elle soit corrigée.

Melih Ucer