Microsoft confronté àune agitation croissante à cause de son rôle dans la guerre d’Israël à Gaza : « Proche du point de bascule »

La crise se répand dans l’entreprise à cause de l’utilisation étendue par Israël de son IA et de ses services d’informatique dématérialisée dans la guerre à Gaza

La crise se répand dans l’entreprise à cause de l’utilisation étendue par Israël de son IA et de ses services d’informatique dématérialisée dans la guerre à Gaza

Pour la deuxième fois pendant le mois dernier, des employés de Microsoft ont interrompu des hauts responsables parlant à un événement qui célébrait le 50e anniversaire de la compagnie, le 4 avril, pour protester contre le rôle de l’entreprise dans le siège en cours d’Israël à Gaza.

Le responsable IA Mustafa Suleyman a été interrompu par deux employées, Ibtihal Aboussad et Vaniya Agrawal. Toutes les deux ont été renvoyées quelques jours plus tard. Le président de Microsoft, Brad Smith et l’ancien PDG Steve Ballmer se sont aussi fait huer dans le Grand Hall de Seattle le 20 mars par un ancien employé et un autre actuellement en poste.

L’événement de mars a été précédé par un rassemblement à l’extérieur qui incluait aussi des employés passés et actuels du géant de la tech. Les manifestants ont projeté sur le mur du Hall un affichage disant « Microsoft alimente un génocide » — une référence à l’utilisation étendue par Israël de l’IA de l’entreprise et de ses services d’informatique dématérialisée depuis le 7 octobre 2023, étant donné que « la demande insatiable des Forces de défense israéliennes pour les bombes s’assortit du besoin d’un accès plus grand à des services informatiques dématérialisés », a rapporté le Guardian.

Ce rassemblement et cette interruption étaient les dernières manifestations d’un nombre croissant d’entre elles, au cours desquelles des employés du siège de Microsoft à Redmond, dans l’État de Washington, ont pressé la compagnie de couper ses liens avec Israël, le mécontentement sur la question bouillant depuis plus d’un an sur les panneaux d’affichage, dans les emails et au cours d’échanges téléphoniques avec les membres de ce que l’entreprise appelle l’équipe des « conflits au travail ».

Prises dans leur ensemble, les manifestations suggèrent que d’autres suivront, et que des employés décideront de quitter complètement l’entreprise, selon ce que disent des employés actuels et passés qui ont parlé au Guardian. Microsoft n’a pas répondu aux demandes de commentaires.

Cette série d’événements fait écho à ceux d’autres compagnies de tech, dont Google, où les employés ont aussi protesté contre les liens de la compagnie avec Israël et ont été renvoyés. En février, Google a changé les directives de son IA, et en a enlevé ses engagements à ne pas utiliser l’intelligence artificielle pour la surveillance ou pour l’armement.

Agitation croissante à Redmond

Hossam Nasr, un ancien ingénieur logiciel chez Microsoft, a décrit la situation dans l’entreprise comme « très proche d’un point de bascule ». Il a indiqué des événements récents — une manifestation le 24 février lors de la première réunion en présentiel de la compagnie depuis le début de la pandémie et une veillée à l’heure du déjeuner le 24 octobre en hommage aux dizaines de milliers de Palestiniens qu’Israël a tués dans les dix-huit derniers mois —, comme exemples du mécontentement croissant.

La manifestation de février a été éphémère : lorsque le PDG de Microsoft, Satya Nadella, a commencé à parler de nouveaux produits, cinq employés sur une plate-forme surélevée ont exposé leurs tee-shirts, qui portaient des lettres formant les mots : «  Est-ce que notre code tue des enfants, Satya ? » Quelques minutes plus tard, plusieurs hommes les ont discrètement évacués de la pièce. Quant au rassemblement d’octobre, Nasr et Abdo Mohamed, chercheur spécialiste des données, ont aidé à organiser l’événement ; tous deux ont été renvoyés peu après.

Les renvois, avec une vague d’articles récents et approfondis sur le rôle de Microsoft dans le siège d’Israël sur Gaza, ont aidé à galvaniser les employés de l’entreprise qui sont préoccupés par le problème, selon Nasr, l’ancienne employée Aboussad, et deux employés actuels qui ont demandé à rester anonymes par peur de représailles.

Aboussad a dit au Guardian qu’elle avait éprouvé des sentiments de plus en plus conflictuels ces derniers mois en tant qu’ingénieur logiciel travaillant en intelligence artificielle. Après plusieurs années dans l’entreprise, a-t-elle dit, des reportages récents « m’ont montré de plus en plus les liens profonds de Microsoft avec le gouvernement israélien ». Un rapport de l’Associated Press (AP) sur l’utilisation à Gaza de l’IA élaborée aux États-Unis, y compris celle de Microsoft, a été « le dernier coup, parce qu’il montrait que l’IA était utilisée pour cibler et assassiner des Palestiniens … J’ai commencé à penser, il n’y a aucun moyen de pouvoir rester à Microsoft en gardant les mains propres », a dit Aboussad.

L’ingénieure logiciel a dit qu’il lui était impossible de savoir si son propre travail était déployé à Gaza puisque la compagnie « anonymise » tous les contrats avec le gouvernement israélien. En même temps, a-t-elle dit : « Je ne suis pas sûre que mon salaire ne provienne pas de l’argent qui vient du gouvernement israélien. »

Quelques jours après avoir parlé au Guardian, Aboussad a été renvoyée. Une demi-douzaine de collègues environ lui ont dit qu’ils pensaient quitter la compagnie, a-t-elle dit.

De Viva Engage à IRL

Avant les manifestations récentes en présentiel, les employés de Microsoft avaient surtout donné leur avis en ligne à propos de l’attaque du Hamas et des représailles en cours d’Israël. Certains messages sur le forum interne Viva Engage de Microsoft sont devenus litigieux. Une employée a posté : «  Il n’y a pas de symétrie entre des gens qui éduquent leurs enfants dans des écoles pour assassiner des juifs et des gens qui sont juste en train de se défendre ». Plusieurs plaidoyers à la compassion pour des Palestiniens ont été accueillis par l’épithète brutale de « supporters terroristes ».

Des employés inquiets du sort des Palestiniens ou critiques d’Israël se sont aussi plaints de ce qu’ils voyaient comme un double standard depuis le 7 octobre. Ils allèguent que Microsoft censure leurs points de vue sur les forums internes mais ne traitent pas les supporters d’Israël de la même façon. Un employé qui a parlé avec le Guardian a partagé des copies d’écran de mails de membres de l’« Équipe globale des relations entre employés », dont le job est de gérer « les questions complexes et sensibles, de conduire des enquêtes et de gérer les conflits de travail », selon Microsoft. Un email détaille la plainte d’un employé à propos de l’utilisation de termes comme « nettoyage ethnique » sur Viva Engage, pour décrire les actions d’Israël à Gaza. Un autre message souligne le besoin de suivre les « valeurs de l’entreprise » comme « le respect et la gentillesse les uns envers les autres » quand on poste sur Israël et Gaza ou la Cisjordanie. Le 16 novembre 2023, Microsoft a empêché des employés de poster sur la liste « Toute la compagnie » du forum, qui diffuse à l’ensemble des 400 000 employés et fournisseurs de Microsoft.

La teneur du militantisme interne, en ligne, a changé pendant 2024, a dit Nasr. Dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, beaucoup d’employés qui s’inquiétaient des événements à Gaza se sont concentrés sur les déclarations publiques de Microsoft et ont fait circuler une pétition exhortant l’entreprise à appeler publiquement au cessez-le-feu. Mais leur attention s’est tournée graduellement vers les propres pratiques commerciales de la compagnie, a-t-il dit. Vers le milieu de l’année, Nasr et d’autres ont organisé « No Azure for Apartheid » [« Pas d’Azure pour l’apartheid »], une référence à la suite Azure d’informatique dématérialisée et de produits d’IA de Microsoft. Le groupe a réunit des signatures de collègues exhortant l’entreprise à annuler ses contrats d’informatique dématérialisée et d’IA avec l’armée israélienne et à révéler ses liens au gouvernement du pays.

Des rapports sur le rôle de Microsoft à Gaza troublent les discussion des employés

Avec la nouvelle année, des documents obtenus par Dropsite, un organe indépendant d’informations, ont révélé « une ruée vers l’or » des compagnies de la tech qui cherchaient à fournir des services à l’armée israélienne » — dont Microsoft. Dropsite a partagé ces documents avec le Guardian, conduisant à un autre article, et avec +972 magazine, un organe de presse israélien. Un mois plus tard, le 18 février, l’ AP a publié son propre reportage. Cette série de reportages détaillés et approfondis a alimenté les inquiétudes qui couvaient chez certains employés de Microsoft. Le jour qui a suivi la publication de l’enquête de l’AP, selon des copies d’écran des messages sur Viva Engage, un employé a questionné la direction sur les articles, se demandant si « Microsoft a complètement abandonné … ses déclarations sur les droits humains ? ».

Le post remarque que les engagements sur les droits humains de Microsoft incluent « la défense du rôle positif de la technologie dans le monde entier » et « la réduction des risques de dommages ».

« Cependant, cette enquête de l’AP montre clairement que la technologie d’IA que nous fournissons facilite directement la destruction de Gaza », disait le post. Le matin suivant, le post était enlevé du chat.

Cette poignée d’articles a été « absolument décisive » pour les efforts d’organisation hors ligne, a dit Anna Hattle, qui a été dans l’entreprise pendant près de cinq ans. C’est d’autant plus vrai que « beaucoup de travailleurs de la tech existent dans une bulle, et que Microsoft veut maintenir cela. Un employé qui ne sait pas que son travail est utilisé pour des armes avec IA ne va rien faire à ce propos ». Au travail et dans des rassemblements, dit-elle, « des conversations individuelles avec [des collègues] aident à répandre l’information contenue grâce à la couverture [des médias].

Nasr a dit que « No Azure for Apartheid » a travaillé aussi avec le mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) pour ajouter Microsoft à sa liste de campagnes de boycott. BDS a annoncé cette campagne le 3 avril, mettant en évidence comment « l’armée israélienne repose lourdement sur Microsoft pour satisfaire ses besoins technologiques ».

En même temps, une employée de Microsoft a dit au Guardian qu’elle était « épuisée » par la lutte pour attirer l’attention sur ce qu’elle voit comme une trahison des valeurs affirmées par l’entreprise dans ses contrats avec Israël. Comme exemple, elle a cité un événement dans lequel le journaliste palestinien Ahmed Shihab-Eldin a été invité en novembre 2023 pour parler aux employés. Des employés israéliens ont rempli des rapports alléguant que les organisateurs étaient antisémites, et l’entreprise a annulé l’événement. Elle a aussi mentionné les va-et-vient sur Viva Engage, y compris une copie d’écran qui montrait un employé appelant les Palestiniens « Assassins. Terroristes. Monstres ».

D’autres employés sont déjà partis. Le 4 décembre, Angela Yu a envoyé un email à presque 30000 employés annonçant sa démission. « J’ai rejoint Microsoft en croyant que mon travail avancerait la technologie ‘pour le bien de l’humanité’ », a-t-elle écrit. Yu a souligné les reportages récents sur les liens de Microsoft avec Israël et a dit : « Cela blesse ma conscience de savoir que les produits sur lesquels vous et moi travaillons permettent à l’armée israélienne d’accélérer son projet de nettoyage ethnique ».

Yu a continué en exhortant quiconque la lit à signer la pétition « No Azure for Apartheid ». Elle a noté que l’entreprise avait laissé tomber des contrats commerciaux pour des raisons éthiques auparavant— par exemple en 1986, quand elle a coupé ses liens avec l’Afrique du Sud à cause de l’apartheid.

À l’époque, les ventes mondiales de Microsoft étaient autour de 100 millions de dollars, selon des informations contemporaines — soit moins que la valeur actuelle d’un contrat entre la compagnie de tech et le ministère de la Défense d’Israël. L’employée « épuisée » a dit que ces chiffres montrent la difficulté de manifester contre la présence de Microsoft en Israël. La compagnie est « une machine à faire de l’argent », a-t-elle dit. « Tout ce qui les intéresse c’est l’argent. IA et travail, travail, travail. »