L’éminente professeure Judith Butler fait partie des membres du personnel et étudiants examinés « sur des allégations d’incidents antisémites »

L’Université de Californie à Berkeley [University of California at Berkeley, UC Berkeley] a donné à l’administration de Trump les noms de 160 étudiants et membres du personnel dans le cadre d’une enquête sur « des allégations d’incidents antisémites », une mesure qu’une universitaires visée assimile à « une pratique de l’ère McCarthy ».
L’UC Berkeley, une institution publique de premier plan, a envoyé la semaine dernière une lettre aux membres du campus concernés, révélant que des avocats de l’université avaient inclus leurs noms dans des rapports au Bureau des droits civils du Département de l’Éducation (OCR). Le Département de l’Éducation a ciblé des établissements d’enseignement supérieur dans tout le pays dans le cadre de la répression aggressive de Donald Trump contre l’activisme pro-palestinien, les étudiants internationaux et la liberté académique.
Judith Butler, une éminente philosophe féministe et théoricienne des études queer, a reçu cette lettre de David Robinson, conseiller principal du campus de UC Berkeley, qui disait qu’OCR enquêtait sur des « allégations de harcèlement et de discrimination antisémite » et « exigeait que soient produits des documents exhaustifs ».
Butler, universitaire juive qui a été critique d’Israël, a dit vendredi [12 septembre] avoir interrogé Robinson sur ces dénonciations et n’avoir reçu de sa part aucune information sur des allégations spécifiques.
« Nous avons le droit de connaître les accusations contre nous, de savoir qui a lancé les accusations et de les examiner et de nous défendre », a-t-iel dit. « Mais rien de cela ne s’est produit, ce qui est pourquoi nous trouvons cela kafkaïen … C’est une énorme violation de confiance. »
UC Berkeley, a noté Butler, a été une base du mouvement pour la libre expression dans les années 1960. « Nous avons été un endroit où des questions publiques controversées pouvaient être débattues librement. Nous avons des opinions différentes sur Israël-Palestine. Nous avons besoin de les entendre même quand elles nous dérangent. C’est cet esprit du lieu que j’ai défendu et affirmé pendant 30 ans. Cela me brise donc le cœur et c’est honteux. »
Des responsables d’UC Berkeley ont confirmé vendredi que 160 personnes, membres du personnel enseignant et administratif et étudiants, avaient reçu des lettres les avertissant des dénonciations et ont dit que la décision d’envoyer l’information à l’administration Trump a été prise par le Conseil général à l’échelle de l’Université de Californie dans son ensemble.
Le Département de l’Éducation des États-Unis n’a pas dans l’immédiat répondu aux questions.
Butler a dit avoir appris que la liste des noms incluait des étudiants internationaux, des enseignants et des membres de l’université à temps partiel.
« Les conséquences de cet acquiescement pourraient être vraiment terribles pour les vies de beaucoup de personnes, dont la plupart sont plus vulnérables que je ne le suis », a dit Butler, qui est en partie retraitée, mais conserve quelques obligations continues sur le campus en tant que Distinguished professor au niveau post-licence. « Ils peuvent souffrir de beaucoup de choses, particulièrement les étudiants internationaux, en particulier de déportation, d’expulsion, de la perte d’un travail, de harcèlement, de surveillance ».
Butler a déclaré qu’on lui avait dit que les procédures normales de l’université pour gérer les plaintes avaient été suspendues, ce qui a apparemment dépouillé le personnel enseignant de son droit à répondre aux allégations ou à obtenir des informations de base sur les investigations. « Cela veut dire que les allégations envoyées à l’administration, même anonymes, ont été simplement transmises sans évaluation … Nous ne savons pas si nous mêmes avons été accusés d’antisémitisme ou si notre nom est simplement associé à une allégation. »
Le Conseil d’UC Berkeley a refusé de partager avec Butler les contenus des documents envoyés à l’administration Trump, a-t-iel dit. Les documents étant maintenant entre les mains du gouvernement fédéral, ces dénonciations ont levé des inquiétudes sur les violations du droit, garanti par le 6e amendement [de la Constitution des États-Unis], qu’a chaque personne de connaître les accusations formulées contre elle, a-t-iel ajouté.
Un porte-parole d’UC Berkeley a refusé de commenter les affirmations de Butler, renvoyant au Bureau du président.
« Comme toutes les universités publiques, l’Université de Californie est soumise à la supervision de l’État et des agences fédérales », a dit la porte-parole de l’Université de Californie pour la présidence, Rachel Zaentz. « Nos campus reçoivent régulièrement des demandes de documents en relation avec des audits du gouvernement, des examens de conformité, ou des investigations. L’Université de Californie s’engage à protéger la vie privée de ses étudiants, de son personnel enseignant ou administratif dans la plus grande mesure possible, tout en remplissant ses obligations légales. »
Butler a demandé pourquoi l’université ne résistait pas aux enquêtes du gouvernement, citant d’autres présidents d’institutions, qui ont déclaré qu’ils ne capituleraient pas devant certaines requêtes fédérales, afin de maintenir la liberté académique.
« C’est choquant … Est-ce que vous avez envisagé de ne pas obéir à cette demande ? » a dit Butler.
UC Berkeley, comme d’autres campus dans tous les États-Unis, a accueilli un campement pro-palestinien, qui a été démantelé quand les administrateurs ont accepté d’examiner les investissements de l’université dans les compagnies d’armement. L’administration Trump a aussi ciblé vigoureusement Harvard, Columbia et d’autres universités importantes avec des coupes de leurs subventions fédérales et des demandes pour de lourds règlements.
Butler a dit que les étudiants et le personnel enseignant s’organisaient pour protester contre les dénonciations, disant qu’il y avait de inquiétudes largement répandues sur les violations de la législation sur l’emploi, les intrusions contre la liberté académique et la suppression du débat politique.
Dans une lettre à Robinson, Butler a dit que transmettre les noms de membres de la communauté au gouvernement était « une pratique bien connue de l’ère McCarthy ».
« Nous ne devrions pas être naïfs. Est-ce que ceux et celles d’entre nous qui ont été nommés seront maintenant inscrits sur une liste gouvernementale ? Nos voyages seront-ils restreints ? Nos communications par email seront-elles surveillées ? »
« C’est le moment de résister à l’injustice qui menace maintenant d’être normalisée par ceux et celles qui capitulent, parfois à l’avance, devant de brutales tactiques d’extorsion, aux dépens des normes de base qui régissent la gouvernance partagée, l’autonomie institutionnelle, les procédures établies et l’examen équitable », a-t-iel continué. « Permettre que les universités soient commandées par des agents politiques de cette manière sape les idéaux de base de l’université ainsi que [ses] liens importants à l’avenir de la pensée critique, de la dissension et de la démocratie. »
Janet Gilmore, une porte-parole d’UC Berkeley, a dit dans un email que « de nombreux documents » ont été fournis au gouvernement fédéral « dans les derniers mois », y compris des noms d’individus, et que cela suivait les directives du sénat académique que d’informer les personnes quand des informations les concernant sont données au gouvernement fédéral.
« Nous nous engageons à être transparents et à soutenir notre communauté sur le campus tout en nous conformant aux investigations fédérales », a-t-elle dit.