L’UE évoque des « indications » qu’Israël viole ses obligations vis-à-vis des droits humains dans sa conduite à Gaza

Un document qui a fuité marque un moment important dans les relations de l’UE avec cet allié, sans aller jusqu’à appeler à des sanctions immédiates

L’UE a dit qu’il « y a des indications » qu’Israël viole ses obligations vis-à-vis des droits humains dans sa conduite à Gaza, mais sans aller jusqu’à appeler à des sanctions immédiates.

« Il y a des indications qu’Israël violerait ses obligations en matière de droits humains selon l’article 2 de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël », affirme un document du service de politique étrangère de l’UE qui a fuité et a été vu par le [journal britannique] Guardian.

Rédigé dans le langage typiquement prudent de Bruxelles, le document représente néanmoins un moment important dans les relations de l’Europe avec un allié de longue date.

Le document très confidentiel, qui sera présenté lundi par la cheffe de la politique étrangère de l’UE, Kaja Kallas, aux ministres européens des Affaires étrangères, cite des évaluations de la Cour internationale de justice, du bureau du Haut Commissaire pour les droits humains et de nombreux autres organes de l’UE, tout en disant qu’il ne représente pas un « jugement de valeur » d’aucun responsable de l’UE.

La conclusion a été considérée comme acquise d’avance depuis qu’un examen de l’accord UE-Israël a été mis à l’ordre du jour le mois dernier par 17 États membres, menés par les Pays-Bas, un allié traditionnel d’Israël.

Des responsables de l’UE ont été chargés de voir si les relations domestiques et internationales d’Israël étaient basés sur « le respect des droits humains et les principes démocratiques » avec, en toile de fond, des tirs meurtriers quasi-quotidiens contre des civils palestiniens à la recherche de nourriture.

L’examen a été déclenché par le blocus de la Bande de Gaza par Israël, au milieu de l’horreur étendue d’un bombardement continu qui a dévasté le territoire et tué plus de 55 600 personnes – pour la plupart des civils – depuis le 7 octobre 2023, selon le ministère de la Santé de Gaza.

La discussion de l’UE est compliquée par les frappes aériennes d’Israël sur l’Iran, qui pourraient freiner certains gouvernements et les empêcher de mettre la pression sur Israël.

Peu après qu’Israël a commencé à faire la guerre contre l’Iran, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, « a réitéré qu’Israël a le droit de se défendre ». Elle a auparavant fait l’objet de critiques pour ne pas s’être exprimée sur les conséquences humanitaires pour les Palestiniens de l’attaque d’Israël.

L’accord d’association UE-Israël, signé en 1995, sous-tend une relation commerciale de 68 milliards d’euros entre 27 pays européens et le pays du Moyen-Orient. L’UE est le plus grand marché d’Israël et compte pour environ un tiers de son commerce. Israël est aussi membre du programme de subvention de la recherche de l’UE, Horizon, et a obtenu des financements de 831 millions d’euros depuis le début du programme en cours, en 2021.

Le document a émergé après que plus de 100 groupes militants ont exhorté cette semaine la commission à suspendre l’accord d’association.

« Un examen faible ou non concluant sur le respect par Israël de l’article 2, et/ou l’absence de suspension, au moins partielle, de l’accord d’association par la commission et le conseil, détruirait en définitive ce qui reste de la crédibilité de l’UE [et] enhardirait encore les autorités israéliennes à continuer leurs crimes atroces », dit la déclaration, signée par 113 groupes de la société civile dont Amnesty International et Human Rights Watch.

Eve Geddie, la directrice du bureau d’Amnesty International à l’UE, a dit que la décision de lancer cet examen était arrivée « trop tardivement, d’une manière tragique et dévastatrice », et que même si c’était encore important, les forces israéliennes s’étaient « de plus en plus enhardies » au fur et à mesure que le temps passait.

Séparément, huit États membres ont écrit à Kallas en la pressant d’étudier la possibilité d’une rupture du commerce des biens et des services venant des territoires palestiniens occupés.

La lettre, à l’initiative de la Belgique, affirme que l’UE a l’obligation de répondre à un avis de la Cour internationale de justice de juillet dernier ordonnant à Israël de mettre fin à son occupation des territoires palestiniens aussitôt que possible. Dans ce jugement historique — bien que non contraignant —, la Cour a dit que les autres États étaient sous l’obligation de ne pas reconnaître l’occupation comme légale.

« Nous n’avons vu aucune proposition sur la façon d’interrompre de manière effective le commerce de biens et de services avec les colonies illégales », dit la lettre, appelant l’UE à mettre en place un calendrier pour atteindre « le respect total » de l’avis consultatif pour son premier anniversaire environ.

La politique de l’UE sur Israël a été entravée par les difficultés à obtenir l’unanimité parmi les 27 États membres aux opinions crûment différentes, des pays qui ont reconnu la Palestine, comme l’Espagne et l’Irlande, à des alliés indéfectibles du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, comme la Hongrie et la République tchèque.

Le vent a tourné le mois dernier quand les Pays-Bas, un grand allié d’Israël, ont lancé un appel à réexaminer l’accord d’association UE-Israël, après les plus vastes manifestations dans les rues hollandaises sur une question de politique étrangère depuis des décennies.

Le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Casper Veldkamp, ancien ambassadeur en Israël, a argué que le blocus par Israël de la Bande de Gaza était une violation du droit international et donc de l’accord d’association. Un nombre étonnamment élevé de pays ont approuvé, bien que la question ne soit pas soumise au vote.

L’UE est loin d’être unie sur ce qu’il faut faire ensuite. Une suspension complète de l’accord, qui exige l’unanimité, est perçue comme impossible, étant donné la certitude d’un veto de la Hongrie, de la République tchèque ou de l’Allemagne.

L’UE a seulement besoin d’une majorité pondérée pour suspendre les avantages commerciaux ou la participation d’Israël au programme Horizon, mais même ces résultats sont très incertains.

Hildegard Bentele, une parlementaire allemande de centre-droit qui préside la délégation des relations à Israël du Parlement européen, a critiqué ces tentatives pour remettre en cause l’accord. « Cela n’aura aucune influence sur le gouvernement israélien. J’en suis tout à fait certaine. Cela nous mettra dans une position de moindre influence », a-t-elle dit dans une interview plus tôt ce mois-ci.

Le prédécesseur de Kallas, Josep Borrell, cependant, a critiqué la fuite de l’Europe devant ses responsabilités morales envers Gaza. Dans un discours d’une franchise caractéristique, il a argué que l’UE devrait utiliser l’accord d’association comme un levier pour exiger que le droit humanitaire soit respecté.

Dans une autre illustration des noeuds de la politique étrangère de l’UE, la Hongrie bloque les sanctions de l’UE contre les colons israéliens violents.

Plus tôt cette semaine, Kallas a exprimé sa frustration devant les critiques qui ont accusé l’UE de silence et d’inaction, en mentionnant la nécessité d’arriver à un consensus. « Les sanctions exigent l’unanimité. Et encore une fois, je représente 27 [pays]. »

Elle a argué que présenter des sanctions qui échoueraient inévitablement était sans intérêt : « Je me sens moi-même mieux d’avoir fait quelque chose, mais en fait je sais que cela ne passera pas — et ensuite cela montrera seulement que nous n’avons pas une position commune. »