Lettre d’un Prisonnier Politique Palestinien en Louisiane, 18 mars 2025

Mon nom est Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention de Louisiane où je me réveille par des matins froids et passe de longues journées à porter témoignage d’injustices silencieuses en cours contre de nombreuses personnes exclues de la protection du droit.

Dictée par Téléphone depuis un Centre de Détention ICE

Mon nom est Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention de Louisiane où je me réveille par des matins froids et passe de longues journées à porter témoignage d’injustices silencieuses en cours contre de nombreuses personnes exclues de la protection du droit.

Qui a droit aux droits ? Ce ne sont certainement pas les humains entassés ici dans les cellules. Ce n’est pas le Sénégalais que j’ai rencontré et qui a été privé de sa liberté pour un an, dans une situation juridique incertaine et séparé de sa famille par un océan. Ce n’est pas le détenu de 21 ans que j’ai rencontré, qui a mis le pied dans ce pays à l’âge de neuf ans, pour être ensuite expulsé sans la moindre audience.

La justice échappe aux contours des installations de cette nation concernant l’immigration.

Le 8 mars, j’ai été emmené par des agents du DHS (département de la sécurité intérieure) qui ont refusé de présenter un mandat et qui nous ont accostés, ma femme et moi, alors que nous revenions d’un dîner. Les images de cette nuit là ont depuis été rendues publiques. Avant de savoir ce qui se passait, des agents m’ont menotté et poussé de force dans une voiture banalisée. A ce moment là, mon seul souci était la sécurité de Noor. Je ne savais absolument pas s’ils allaient l’emmener elle aussi, puisque les agents avaient menacé de l’arrêter parce qu’elle ne voulait pas me quitter. Le DHS ne m’a rien dit pendant des heures – je ne connaissais pas la raison de mon arrestation ni si je devais craindre une expulsion immédiate. Au 26 Federal Plaza, j’ai dormi sur le sol froid. Au petit matin, des agents m’ont transporté dans un autre établissement à Elizabeth, dans le New Jersey. Là, j’ai dormi par terre et, malgré ma demande, on a refusé de me donner une couverture.

 Mon arrestation était une conséquence directe de l’exercice de mon droit à la liberté d’expression alors que je militais pour une Palestine libre et la fin du génocide à Gaza, qui a repris de plus belle lundi soir. Avec le cessez-le-feu de janvier maintenant rompu, les parents de Gaza bercent à nouveau des linceuls de trop petits, et les familles sont obligées de supporter le poids de la famine et des déplacements contre les bombes. C’est notre impératif moral de persister dans la lutte pour leur liberté complète.

Je suis né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie dans une famille qui a été déplacée de sa terre depuis la Nakba de 1948. J’ai passé ma jeunesse à proximité et pourtant à distance de ma patrie. Mais être palestinien, c’est une expérience qui transcende les frontières. Je vois dans ce que je vis des similitudes avec l’utilisation par Israël de la détention administrative – emprisonnement sans procès ni charge – pour dépouiller les Palestiniens de leurs droits. Je pense à notre ami Omar Khatib, qui a été incarcéré par Israël sans charge ni procès alors qu’il rentrait chez lui après un voyage. Je pense au directeur d’un hôpital de Gaza et pédiatre, le Dr. Hussam Abu Safiya, qui a été emmené en captivité le 27 décembre par l’armée israélienne et est retenu aujourd’hui dans un camp de torture israélien. Pour les Palestiniens, l’emprisonnement sans procédure établie est monnaie courante.

J’ai toujours pensé que mon devoir, c’est non seulement de me libérer de l’oppresseur, mais aussi de libérer mes oppresseurs de leur haine et de leur peur. Ma détention injuste est un signe du racisme anti-palestinien dont et Biden et Trump ont fait la démonstration au cours des 16 derniers mois où les États-Unis ont continué de livrer à Israël des armes pour tuer les Palestiniens et d’empêcher une intervention internationale. Depuis des décennies, le racisme anti-palestinien a motivé les efforts pour étendre les lois et les pratiques utilisées pour réprimer violemment les Palestiniens, les Arabes américains et autres communautés. C’est précisément la raison pour laquelle je suis ciblé.

Tandis que j’attends les décisions juridiques qui mettent en jeu l‘avenir de ma femme avec l’enfant, ceux qui ont permis qu’on me vise restent confortablement à l’Université de Columbia. Les présidents Shafik, Armstrong, et le Doyen Yarhi-Milo ont préparé le terrain pour que le gouvernement des États-Unis me prenne pour cible en punissant arbitrairement les étudiants pro-palestiniens et en laissant des campagnes d’endoctrinement viral – fondées sur le racisme et la désinformation – se dérouler sans contrôle.

Columbia m’a ciblé pour mon militantisme, créant un nouveau bureau disciplinaire autoritaire pour contourner la procédure normale et réduire au silence les étudiants qui critiquent Israël. Columbia s’est soumise à la pression fédérale en divulguant les dossiers des étudiants au Congrès et en se soumettant aux dernières menaces de l’administration Trump. Mon arrestation, l’expulsion ou la suspension d’au moins 22 étudiants de Columbia – certains privés de leurs titres de licence juste avant la remise de leur diplôme – et l’expulsion du président du SWC (Syndicat des travailleurs étudiants) Grant Miner la veille de la négociation des contrats, en sont des exemples clairs.

A tout le moins, ma détention témoigne de la force du mouvement étudiant pour faire bouger l’opinion publique vers la libération des Palestiniens. Les étudiants sont depuis longtemps à la tête du changement – en menant la charge contre la Guerre du Vietnam, en se tenant aux premières lignes du mouvement pour les droits civiques, en conduisant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Et aujourd’hui aussi, même si l’opinion publique n’a pas encore tout bien saisi, ce sont les étudiants qui nous entraînent vers la vérité et la justice.

L’administration Trump me cible dans le cadre d’une stratégie plus large de répression de la contestation. Les détenteurs de visa, les porteurs de carte verte et également des citoyens seront visés pour leurs opinions politiques. Dans les semaines à venir, étudiants, défenseurs et responsables élus doivent s’unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement nos voix, mais les libertés civiques fondamentales de tous.

Ayant parfaitement conscience que ce moment transcende mes circonstances individuelles, j’espère néanmoins être libre pour assister à la naissance de mon premier enfant.