Dans une lettre adressée aux présidences d’université, Ivar Ekeland, vice-président de l’AURDIP, appelle les établissements français à rejoindre leurs homologues belges dans la demande de suspension de l’accord de coopération entre l’Union européenne et Israël. Cet accord, qui permet à Israël de participer à des programmes de recherche comme Horizon Europe, repose pourtant sur le respect des droits humains – une condition aujourd’hui bafouée au vu de la situation à Gaza.
Alors que la Cour Internationale de Justice juge plausible qu’un génocide soit en cours, et que les organisations humanitaires dénoncent des crimes de masse, l’inaction européenne devient moralement intenable. Les universités françaises, longtemps silencieuses sur le drame de Gaza, sont invitées à prendre enfin position. Il est temps que la communauté universitaire, si promptement mobilisée pour l’Ukraine, se montre à la hauteur des principes qu’elle affirme défendre.
Mesdames et Messieurs les Président·e·s,
Chères collègues, chers collègues,
Depuis bientôt deux ans, Israël mène une campagne militaire dévastatrice contre la bande de Gaza, un des territoires les plus densément peuplés du monde. Il est inutile ici de rappeler ce que tout le monde sait et qui s’étale quotidiennement dans les médias : les morts se comptent par dizaines de milliers, en majorité des femmes et des enfants, le territoire est systématiquement dévasté en vue de le rendre inhabitable, la population, réfugiée sous des tentes, est ballottée d’un site à l’autre au gré de l’armée d’occupation. En ce moment même, l’armée israélienne tire sur les pères ou mères de famille qui viennent aux centres de distribution, qualifiés de « death traps » par les organisations humanitaires, et interdit l’entrée de lait infantile alors que les mères affamées n’ont plus de lait. Tout ceci alors que dès janvier 2024 la Cour Internationale de Justice alertait sur le fait qu’il était plausible qu’un génocide soit en cours à Gaza et enjoignait à Israël de préserver les populations civiles et leurs moyens d’existence, et aux puissances signataires de la Convention Internationale sur la Prévention du Génocide, dont la France, de ne pas lui prêter main-forte. Depuis, la situation s’est aggravée, et les organisations humanitaires les plus respectées, Human Rights Watch ou Amnesty International, ainsi que les plus grands experts en la matière, comme l’Institut Lemkin ou le professeur Omer Bartov, considèrent qu’un génocide est en cours à Gaza.
Pourtant, Israël reste associé à l’Union Européenne par un accord dont l’article 2 prévoit que « le respect des droits humains et des principes démocratiques … constitue un élément essentiel de cet accord ». Celui-ci donne à Israël accès aux programmes européens, notamment les programmes de recherche, comme Horizon Europe, qui réitèrent cette exigence : l’article 14 du formulaire de candidature stipule que « le projet doit être exécuté en conformité avec les standards éthiques les plus élevés » et que « les bénéficiaires doivent s’engager à respecter et à faire respecter les valeurs fondamentales de l’UE, comme le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, la primauté de la loi et des droits humains, y compris les droits des minorités ». Au regard de ce qui se passe à Gaza, dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie et de Jerusalem-Est, en proie à une colonisation débridée, meurtrière, et illégale, comme l’a rappelé la CIJ, et en Israël même, où la minorité palestinienne vit une discrimination qualifiée d’apartheid par de nombreuses ONG israéliennes et internationales, il est inconcevable que l’UE n’ait pas encore fait jouer la clause de sauvegarde prévue à l’article 79 et suspendu l’accord de coopération.
Les recteurs des universités belges ont écrit à la Commission Européenne et aux Etats Membres pour leur demander de suspendre cet accord de coopération. Nous vous invitons à vous joindre à eux. Trop longtemps les universités françaises, si disertes quand il s’agissait de l’Ukraine, sont restées silencieuses devant le martyre de Gaza : pas un mot pour les femmes et les enfants victimes des bombardements israéliens, ni pour les collègues assassinés chez eux par des missiles de précision. Mais l’indignation de l’opinion publique secoue les gouvernements, et il y a désormais une chance que l’Europe fasse son devoir et suspende l’accord de coopération avec Israël, contraignant ainsi cet état à laisser entrer l’aide humanitaire à Gaza, et sauvant des millions de vies humaines. Une campagne est en cours à cet effet, et votre université s’honorerait en y prenant part.
Nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur et cher·e collègue, l’expression de nos sentiments distingués
pour l’AURDIP
Ivar Ekeland
Vice-Président, chargé des relations internationales
Ancien Président de l’Université Paris-Dauphine