« Monsieur le Ministre, réexaminer les accords de coopération avec les universités israéliennes et les entreprises internationales à la lumière des récentes décisions de la CIJ, n’est pas une « prise de position de nature politique ». C’est une obligation légale, et même morale, qui s’impose à la France, et à toutes ses universités »
Professeur Ivar Ekeland
Président de l’AURDIP
au
Professeur Patrick HETZEL
Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherch
Monsieur le Ministre
Cher collègue
C’est avec un profond étonnement que l’AURDIP a pris connaissance de l’avis du Collège de Déontologie en date du 19 juin 2024, relatif au cadre de la coopération scientifique et technologique internationale des universités et au rôle et à la place de l’université dans l’organisation des débats publics. En effet, dans son titre 1.2, cet avis stipule «qu’une prise de position de nature politique, fondée sur des considérations telles que la situation de conflit au Proche-Orient, ne saurait justifier la remise en cause, à la seule initiative des établissements d’enseignement supérieur, de leurs relations de partenariat avec des universités ou institutions étrangères ainsi que, le cas échéant, avec des entreprises ayant des activités internationales »
Peut-être faudrait-il porter à la connaissance du Collège de Déontologie les ordonnances des 26 janvier, 28 mars et 24 mai 2024 de la Cour Internationale de Justice concernant l’application de la convention sur la prévention et la punition du crime de génocide dans la bande de Gaza, ainsi que l’avis du 19 juillet 2024 de la même Cour sur les conséquences légales des politiques et des pratiques menées par Israël dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est. En substance, la Cour constate qu’en privant les Palestiniens de certains droits, Israël est en train de violer les normes juridiques dites jus cogens, les plus fondamentales du droit international, celles qui ne souffrent aucune exception, et ordonne à tous les Etats de s’abstenir de participer à ces violations sous quelque forme que ce soit et de faire respecter le droit international. Parmi ces normes fondamentales violées par Israël, la Cour relève l’interdiction du génocide, l’interdiction de la ségrégation raciale et de l’apartheid, les obligations de la puissance occupante, et le droit à l’autodétermination des Palestiniens. L’obligation de ne pas soutenir Israël dans ces atteintes au droit international et de faire respecter celui-ci par toutes mesures adéquates, y compris des sanctions économiques et l’arrêt de la coopération, s’applique erga omnes, c’est-à-dire à tous, et notamment à la France.
Il est donc stupéfiant que le Collège de Déontologie rabaisse la remise en cause des relations de partenariat avec les universités israéliennes à la simple expression d’une « prise de position de nature politique », et se serve ensuite d’un principe de neutralité pour la condamner. Le problème qui se pose aux universités et aux institutions françaises n’est pas du tout d’exprimer ou non une opinion politique, il est de se conformer à une obligation légale, émanant de la plus haute autorité possible, et sous la forme la plus contraignante possible, s’imposant à tous les Etats sans aucune exception, et donc à tous leurs organes, dont les universités publiques. Nous vous rappelons que la primauté du droit international vis-à-vis de la loi nationale est garantie par notre constitution. C’est la même obligation que rencontrent nos partenaires européens, et je me permets de vous renvoyer à l’analyse détaillée qui a été faite à la demande de l’Université d’Anvers.
La coopération avec les universités israéliennes doit être remise en cause dans la mesure où celles-ci contribuent aux violations des normes internationales relevées par la Cour. Ce n’est pas le but de cette lettre de relever ces contributions, largement documentées par ailleurs, et nous nous bornerons à un exemple. L’Université d’Ariel est construite et fonctionne dans une colonie de peuplement en territoire palestinien occupé : coopérer avec elle est par définition soutenir un crime de guerre. Donc aucune université française, ni aucune institution, n’a le droit de le faire. Supprimer cette coopération n’est pas exprimer une opinion politique, c’est se conformer à une obligation légale. C’est aussi éviter aux enseignants et aux étudiants qui seraient impliqués dans de tels programmes de participer à un crime de guerre, avec toutes les conséquences juridiques et éthiques que cela pourrait impliquer.
Tombent également sous la juridiction de la Cour les relations de partenariat avec « les entreprises ayant des activités internationales », que les universités doivent donc réexaminer à la lumière des décisions de celle-ci. Cela concerne tout particulièrement les entreprises travaillant dans les domaines militaires ou sécuritaires, dont les productions pourraient être utilisées par l’armée israélienne dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza.
Monsieur le Ministre, réexaminer les accords de coopération avec les universités israéliennes et les entreprises internationales à la lumière des récentes décisions de la CIJ, n’est pas une « prise de position de nature politique ». C’est une obligation légale, et même morale, qui s’impose à la France, et à toutes ses universités
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération.
(signé) Ivar Ekeland
Président de l’AURDIP