Lettre de l’AURDIP à l’IEP de Strasbourg concernant le partenariat avec l’Université Reichman de Tel-Aviv

L’AURDIP exprime son incompréhension face au rétablissement par l’IEP de Strasbourg de son partenariat avec l’Université Reichman de Tel-Aviv, en dépit de son soutien affiché à des politiques israéliennes impliquées dans de graves violations du droit international, y compris des actes de génocide. Elle rappelle les votes et avis antérieurs dénonçant ces violations, ainsi que les conclusions alarmantes d’organismes internationaux et ONG. L’AURDIP invite l’IEP à adopter une position respectueuse du droit international pour éviter d’être associé à ces crimes.

M. Jean-Philippe HEURTIN,
Directeur de l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg.

Monsieur le Directeur,

Le 25 juin 2024, votre conseil d’administration a voté la suspension du partenariat de l’Institut d’Études Politiques (IEP) de Strasbourg avec l’Université Reichman de Tel-Aviv.

Le 18 décembre 2024, votre conseil d’administration a voté le rétablissement de ce partenariat.

L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) a suivi avec intérêt ces deux votes et rappelle qu’elle est attachée au principe de l’autonomie des Universités et des établissements d’enseignement supérieur et à la liberté académique.

Toutefois, l’AURDIP s’étonne de la décision prise le 18 décembre 2024.

Le 25 juin 2024, le vote tirait les conséquences du positionnement particulier de l’Université Reichman de Tel-Aviv dans le système universitaire israélien, et en particulier : 

  • des positions publiques et assumées, de sa direction, de son vice-président Jonathan Davis et de son président Boaz Ganor, positions inconditionnellement favorables à l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, bien que celle-ci s’accompagne de nombreux crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et vraisemblablement d’actes de génocide. 
  • du soutien moral et matériel que cette Université apporte aux réservistes de l’armée israélienne qui servent dans les territoires palestiniens illégalement occupés.
  • des recherches développées par certains des instituts ou laboratoires de cette Université sur l’occupation de la bande de Gaza (et son siège), de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie (et de leur colonisation), sans en questionner ni la légalité internationale, ni les conséquences en termes de violations de droits humains.
  • de la proximité revendiquée de cette Université avec l’armée israélienne et ses académies militaires. 
  • du soutien aux discours gouvernementaux et à la défense de la politique étrangère et militaire israélienne sur les réseaux sociaux.
  • de la présence dans le corps professoral de l’Université des personnalités proches du pouvoir politique et militaire actuel (Shabtai Shavit, Lior Lotan, Miri Eisin, Mark Regev).
  • de la remise de titres de docteur honoris causa à Sheldon Adelson (personnalité ayant nié l’existence du peuple palestinien et soutenu la colonisation), Noa Tishby (personnalité ayant assimilé tout critique de la politique israélienne à de l’antisémitisme) et à Eyal Naveh (personnalité engagée dans son soutien à l’opération militaire israélienne à Gaza).

La décision lucide du conseil d’administration de l’IEP de Strasbourg s’inscrivait en outre dans le cadre de la mise en œuvre du droit international et en particulier de l’obligation de prévention du crime de génocide. En effet, le 26 janvier 2024, la Cour internationale de Justice (CIJ) a indiqué, dans le cadre de l’affaire Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), qu’il existe un risque plausible que des actes de génocide soient commis par les autorités israéliennes à l’encontre de la population palestinienne de la bande de Gaza. La CIJ a précisé à cette occasion qu’une obligation d’agir pour prévenir la commission de ce crime était impérative et s’imposait à l’égard de tous, comme elle l’a rappelé à nouveau les 28 mars 2024 et 24 mai 2024.

Malheureusement, en dépit des décisions de la CIJ et du vote du 25 juin 2024, l’Université Reichman de Tel-Aviv n’a pas modifié ses positions et ses choix académiques et institutionnels, tandis que les craintes exprimées par la CIJ se confirmaient.

Le 20 septembre 2024, le Comité spécial des Nations Unies chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’Homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés a conclu dans un rapport (A/79/363) que les faits qui lui étaient soumis, au vu du très grand nombre de victimes civiles, notamment les méthodes de guerre employées par l’État d’Israël dans la bande de Gaza, y compris l’utilisation de la famine comme arme de guerre, présentent des éléments caractéristiques d’un génocide. Le 5 décembre 2024, une enquête complète d’Amnesty International a également conclu que l’État d’Israël commet, à travers sa politique debombardements incessants de zones densément peuplées, de destruction de structures hospitalières, de coupure permanente d’eau et d’électricité, d’entrave à la délivrance d’aide humanitaire, de multiples déplacements forcés de la population, ungénocide contre les Palestiniens dans la bande de Gaza. Le 12 décembre 2024, la Fédération internationale des droits de l’homme lançait un appel à la communauté internationale d’arrêter le génocide en cours. Le 19 décembre 2024, une enquête de Human Rights Watch parvenait aux mêmes conclusions qu’Amnesty International, notamment au sujet de l’accès délibérément restreint à l’eau des Palestiniens.

En outre, et comme vous le savez sans doute, le 19 juillet 2024, la CIJ a rendu un avis relatif aux Conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. La Cour a mis en évidence des violations systémiques du droit international humanitaire commises par l’État d’Israël, notamment liées à l’occupation, à la colonisation du Territoire palestinien occupé et à l’annexion de larges portions de ce Territoire. Elle a décrit des politiques et pratiques israéliennes vis-à-vis de la population palestinienne illégales au regard du droit international humanitaire (confiscations ou réquisitions de terres palestiniennes, exploitation des ressources naturelles palestiniennes, extension de la législation israélienne à la population palestinienne et de la législation israélienne civile au Territoire palestinien occupé, déplacement forcé de la population palestinienne, violence des colons et des militaires israéliens contre les Palestiniens, permis de résidence refusés aux Palestiniens de Jérusalem-Est, restrictions à la liberté de circulation, démolitions de biens immobiliers) et caractéristiques de mesures de ségrégation raciale. La Cour a indiqué que ces violations du droit international humanitaire doivent cesser dans les plus brefs délais et qu’il est du devoir de tous de « faire respecter » par l’État d’Israël le droit international humanitaire et faire cesser cette occupation illégale.

C’est donc avec une incompréhension certaine, alors que les signaux d’alerte concernant la commission de très graves violations du droit international par les autorités israéliennes se multipliaient et que l’Université Reichman maintient son positionnement institutionnel, que l’AURDIP a pris connaissance du sens du vote du conseil d’administration du 19 décembre 2024.

Il nous apparaît indispensable que l’IEP de Strasbourg, sa direction, ses enseignants et ses étudiants, ne puissent en aucun cas être associés de près ou de loin aux activités de cette Université israélienne qui assume sa proximité avec un régime soupçonné de participer à un génocide et de manière très probable à de massifs crimes contre l’humanité et crimes de guerre, comme le montre la délivrance de mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale le 21 novembre 2024 à l’encontre de Benyamin Netanyahou et Yaov Galant.

Ce qui est valable pour les Universités qui ne prennent aucune distance avec la commission de crimes internationaux au Myanmar, au Soudan ou en Ukraine l’est tout autant pour l’Université Reichman vis-à-vis des crimes internationaux commis par l’Etat d’Israël. 

Notre association se tient à votre disposition pour échanger avec vous et tous les membres de votre conseil d’administration en vue d’adopter une position plus conforme au droit international et pour éviter qu’il puisse être, dans le futur, reproché à l’IEP de Strasbourg d’avoir fermé les yeux sur une situation largement documentée, criminelle en droit international et profondément injuste 

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments distingués

Ivar Ekeland
Président de l’AURDIP
Ancien Président de l’Université Paris-Dauphine