Monsieur Vincent Hoffmann-Martinot, Directeur de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine a appris que l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po….
Monsieur Vincent Hoffmann-Martinot,
Directeur de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux,
L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine a appris que l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux avait conclu en novembre 2007 un accord de coopération avec l’Université Ben Gourion de Beer Sheva. Cette université, située en Israël dans le Néguev, compte près de 20.000 étudiants, répartis en 5 facultés, dont une faculté des sciences sociales qui compte un département « politique et gouvernement ». L’accord donne lieu depuis plusieurs années à quelques échanges d’étudiants de 1er cycle. Le partenariat noué entre les deux institutions a été renforcé par un nouvel accord conclu en mars 2015. Il correspond au souhait d’une partie de votre direction d’accroître le nombre d’étudiants concernés par ces mobilités avec l’Université Ben Gourion, et de proposer également ces mobilités aux étudiants de niveau master et doctorat. Le renforcement de la coopération internationale avec Israël a été défini officiellement comme une priorité par votre établissement.
Par ailleurs, notre association a également appris que l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux avait conclu en avril 2008 une convention avec la Fondation du Judaïsme Français agissant pour le compte de la Fondation Marie-José Vaisan portant sur la création d’une « Chaire Michel Vaisan », inaugurée en février 2009. Cette convention prévoit chaque année la réalisation et le financement par des bourses d’un séjour à Bordeaux d’un enseignant et/ou chercheur en poste dans une Université israélienne et de trois mobilités pour un séjour en Israël d’étudiants en formation à l’Institut d’Etudes Politiques – Sciences Po Bordeaux ou pour un séjour à Bordeaux de jeunes chercheurs en formation ou en poste dans une université israélienne. Cette convention a été renouvelée en 2014 pour une durée de cinq ans.
En pratique, la signature de cet accord est intervenue après la visite à Bordeaux en novembre 2007 du Recteur de l’Université Ben Gourion. La sélection des intervenants est organisée conjointement par l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux et l’Université Ben Gourion. La plupart des universitaires israéliens invités à Bordeaux proviennent de l’Université Ben Gourion. L’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux reconnait d’ailleurs que le financement privé reçu par la Fondation lui permet de faire vivre et de développer son partenariat avec l’Université Ben Gourion.
L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine tient à vous informer que l’Université Ben Gourion est une Université israélienne publique impliquée en tant qu’institution dans les violations du droit international résultant de la politique de l’État d’Israël vis-à-vis de la population civile palestinienne.
Tout d’abord, l’Université Ben Gourion entretient des liens organiques avec l’armée israélienne, dont les unités sont les auteurs directs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis contre les Palestiniens. Elle accorde des avantages sous la forme de bourses ou d’unités de valeur attribués automatiquement aux étudiants qui font leur service militaire ou qui sont réservistes. Lors de la sanglante opération Plomb durci de décembre 2008-janvier 2009 (opération à Gaza qui a fait 1.300 morts côté palestinien, dont les trois-quarts de civils), elle a attribué aux étudiants réservistes mobilisés une indemnité journalière spéciale destinée à les récompenser de leurs « efforts », somme versée en sus de la rémunération payée par l’armée. Durant l’opération Bordure protectrice de juillet-août 2014, (opération à Gaza qui a fait plus de 2.200 morts côté palestinien, dont les trois-quarts civils), les 2.000 étudiants de l’Université Ben Gourion qui ont effectué des périodes de réserve, se sont vus accorder des bourses de soutien. Elle se targue d’avoir proposé l’ouverture en son sein d’une école de formation du personnel médical de l’armée, école qui a finalement ouverte au sein de l’Université hébraïque mais dont elle revendique la paternité et a même candidaté lorsque l’appel d’offre a été lancé par le ministère de la défense. Elle attribue aux pilotes de l’armée de l’air israélienne une licence (Bachelor of Arts) de la matière de leur choix dans un délai d’un an, au lieu des trois normalement requis. L’ensemble de cette politique a permis en 2014 au ministère israélien de la défense de délivrer un certificat de récompense à l’Université Ben Gourion en raison de son soutien exemplaire aux soldats.
Ensuite, il est établi que certains départements de l’Université Ben Gourion apportent, par leurs travaux scientifiques, une caution ou une aide à la politique israélienne d’occupation et de colonisation de la Palestine. Géologues, hydrologues, urbanistes et géographes se sont rendus complices de cette politique, en fournissant le cadre scientifique et idéologique organisant la répartition totalement inéquitable des ressources en eau, en terres et en ressources naturelles imposée aux Palestiniens en Cisjordanie. L’opposition interne – au sein du corps professoral ou du personnel administratif de l’Université Ben Gourion – à une telle implication est quasi-inexistante, tout comme l’est celle à la politique israélienne de répression visant les Universités palestiniennes, ses professeurs et ses étudiants. Lorsqu’une telle opposition a pu se manifester, l’Université Ben Gourion n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger les rares universitaires contestataires comme Neve Gordon, ce qui en dit long sur l’absence de véritable liberté académique dès lors que l’histoire, la politique et l’image d’Israël sont en jeu.
Enfin, sur son campus, l’Université Ben Gourion a pris et prend toujours toute une série de mesures administratives et sécuritaires pour empêcher toute contestation ou activité politique, syndicale et associative critiquant le sionisme et la politique de l’État d’Israël vis-à-vis des Palestiniens. Les étudiants Arabes israéliens sont les premières victimes de ces mesures qui portent directement atteinte à leurs libertés académiques et politiques. De telles violations sont en cohérence avec la politique éducative de l’État d’Israël vis-à-vis des Arabes israéliens, qui, bien que représentant environ 20% de la population de l’État d’Israël, ne constituent qu’une infime minorité des effectifs des Universités israéliennes, dont celle de Ben Gourion.
L’ensemble de ces raisons a poussé l’Université de Johannesburg en Afrique du Sud, après des vérifications et un dialogue avec les responsables israéliens, à décider en 2011 de cesser tout lien avec l’Université Ben Gourion.
Au vu de ces éléments, l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine regrette la conclusion d’accords avec l’Université Ben Gourion et avec la Fondation du Judaïsme Français agissant pour le compte de la Fondation Marie-José Vaisan. Elle la regrette d’autant que l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux est un établissement public d’enseignement supérieur, placé sous la tutelle du ministre de l’enseignement supérieur et bénéficiant d’un financement en grande partie public. De ce fait, il est tenu de respecter un certain nombre d’obligations que nous nous permettons de vous rappeler.
Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de Justice de La Haye a rendu, à la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies, un Avis sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. Cet Avis déclare illégaux au regard du droit international tant le mur de séparation que les colonies de peuplement israélien construits en territoire palestinien occupé. La Cour indique, en outre, qu’il appartient à l’État d’Israël de démanteler le mur de séparation et les colonies de peuplement.
Cet Avis indique également (§154 à §160) qu’il est de la responsabilité de chaque État membre de la communauté internationale mais également des organisations internationales de faire respecter le droit international par l’État d’Israël. La Cour précise bien qu’il s’agit d’un devoir qui pèse sur chaque État membre de la communauté internationale et non seulement une faculté. Cette obligation implique d’exercer toutes les formes nécessaires de pression et de sanctions, dans le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, contre l’État d’Israël pour qu’il se conforme à l’Avis de la Cour. A l’heure où la colonisation israélienne en Cisjordanie et la construction du mur de séparation se poursuivent, nous regrettons qu’un établissement public comme l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux ne respecte pas cette obligation, notamment dans sa politique éducative, scientifique et de recherche. Il est évident que la collaboration avec les institutions publiques israéliennes, comme celle engagée avec l’Université Ben Gourion, constitue plutôt un encouragement qu’une pression ou une sanction.
En outre, nous nous permettons de vous alerter sur le risque juridique pénal que vous encourez vous-même et que vous faites encourir à vos collaborateurs et professeurs chargés de mettre en œuvre cette coopération universitaire ainsi que bien-sûr à vos élèves concernés par cette coopération.
En effet, la plupart des universités israéliennes, dont l’Université Ben Gourion, contribuent de manière active et délibérée à la politique d’occupation et de colonisation conduite par les pouvoirs publics israéliens en Cisjordanie. Cette politique constitue un crime de guerre tant en droit international (art. 49§6 de la IVème Convention de Genève ; art. 85§4 (a) du Protocole I additionnel ; art. 8, 2.b.viii, du Statut de la Cour pénale internationale) qu’en droit français (art. 461-26 du code pénal). Par conséquent, toute aide ou assistance, même par la simple fourniture de moyens, à cette politique constitue un acte de complicité de crime de guerre, punissable de la réclusion criminelle à perpétuité. L’adhésion récente de la Palestine au Statut de Rome de la Cour pénale internationale et la prochaine saisine du bureau du procureur de la Cour des crimes israéliens de colonisation démontrent que ces éléments ne sont pas seulement théoriques.
Notre association souhaite également vous rappeler l’adoption le 19 juillet 2013 des « lignes directrices relatives à l’éligibilité des entités israéliennes établies dans les territoires occupés par Israël depuis juin 1967 et des activités qu’elles y déploient aux subventions, prix et instruments financiers financés par l’UE à partir de 2014 » (2013/C 205/05 ; JOUE du 19.7.2013 C 205/9 à C 205/11). En résumé, ces lignes directrices de l’Union européenne (UE), entrées en vigueur le 1er janvier 2014, interdisent les subventions, bourses et instruments financés par l’UE à toute entité israélienne établie dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis juin 1967, y compris Jérusalem-Est, mais également à toute activité israélienne qui y a lieu. Compte tenu de l’intensification de la colonisation (plus de 600.000 colons en 2015) et dans la mesure où l’État israélien et les personnes publiques israéliennes apportent un soutien massif à l’établissement, au maintien et à l’extension des colonies, les universités israéliennes ainsi que leurs activités sont toutes potentiellement concernées par ces interdictions posées par les lignes directrices de l’Union européenne.
Dans ce contexte, il n’est pas envisageable pour l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux d’engager ou d’approfondir une coopération avec une université israélienne sans un examen ou un réexamen profond de ses modalités. Il est de votre devoir de vous assurer que tout partenariat conclu et toutes les actions de coopération conduites (qu’elles aient ou non une implication financière) s’inscrivent dans le respect des lignes directrices de l’Union européenne. Ce respect implique que le partenaire israélien concerné n’ait aucun établissement ni aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne située en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Si tel était le cas, une rupture de l’accord de coopération s’imposerait immédiatement, tout accord de nature règlementaire devant, conformément à la hiérarchie des normes juridiques, être conforme au droit européen.
S’il est établi que le partenaire israélien concerné n’a aucun établissement ni aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne, le respect des lignes directrices nécessite néanmoins la renégociation de l’accord de coopération avec l’inclusion d’une clause territoriale, précisant que ce partenaire israélien s’engage à n’ouvrir aucun établissement et à ne conduire aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne. L’accord de coopération doit également prévoir qu’un suivi du respect de la clause territoriale est effectué par les parties et qu’il appartient au partenaire israélien chaque année de prouver qu’il n’a ouvert aucun établissement et n’a conduit aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne. Le refus de l’insertion d’une telle clause territoriale impose la rupture de l’accord de coopération existant et la non-conclusion d’un nouvel accord.
Ces éléments devraient naturellement conduire l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux à cesser toute collaboration avec l’Université Ben Gourion, dont on peut raisonnablement penser qu’elle contribue à violer le droit international humanitaire en sa qualité de complice des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par l’armée et les pouvoirs publics israéliens. Nous en appelons donc à votre obligation de respecter le droit international et vous invitons à cesser toute forme de soutien ou de collaboration à cette institution.
A défaut, nous vous remercions par avance de bien vouloir nous indiquer les mesures concrètes qui sont prises et les garanties substantielles que vous avez obtenues de la part de l’Université Ben Gourion pour éviter que vous-même, vos collaborateurs ainsi que vos élèves ne soient exposés au risque pénal exposé ci-dessus et que les lignes directrices européennes soient respectées.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération
Ivar Ekeland
Président de l’AURDIP
Ancien Président de l’Université Paris-Dauphine
Ancien Président du Conseil Scientifique de l’École Normale Supérieure