Les soldats ont appelé cet incendie criminel de masse de la ville de Gaza « leurs touches finales ».

Dans le sillage de l’annonce de Donald Trump jeudi [9 octobre], selon laquelle le Hamas et Israël avaient tous deux signé un accord pour l’arrêt des combats, l’armée israélienne a lancé une série d’incendies criminels, mettant le feu à l’infrastructure civile, et détruisant en particulier une usine cruciale de traitement des déchets dans la ville de Gaza. Après la publication [de cette information sur Dropsite], les Forces de défense d’Israël ont dit à Drop Site qu’elles étaient « informées de l’incident et qu’une enquête était en cours ».
La destruction des structures palestiniennes après le départ des soldats qui les avaient utilisées comme bases temporaires a été la marque de fabrique de l’approche d’Israël à Gaza depuis deux ans. En juillet, le reporter israélien Yuval Abraham a rassemblé des témoignages de soldats décrivant une myriade de méthodes incendiaires. « Dans toutes les maisons arabes où nous sommes entrées, il y. avait de l’huile d’olive […]. Nous avons jeté l’huile sur les canapés, sur tout ce qui était inflammable dans l’appartement, et ensuite nous y avons mis le feu ou nous avons jeté une grenade fumigène. C’était une pratique courante », a décrit l’un d’eux.
L’accord [de cessez-le-feu] est survenu après des mois d’efforts concertés pour rendre Gaza inhabitable en détruisant les résidences et l’infrastructure civile, culminant dans l’invasion terrestre de la ville de Gaza et l’arasement de plusieurs immeubles de grande hauteur de la ville. En septembre, la ministre du gouvernement israélien Gila Gamliel a dit sur la chaîne 7 News : « Nous avons complètement annihilé 75% de toute la Bande de Gaza. Il reste 25% et, comme vous savez aussi … nous nous emparons maintenant de la [ville de] Gaza — il n’y restera rien qui aurait le potentiel d’être vraiment habitable. »
L’étendue de l’incendie perpétré dans la ville de Gaza dans la nuit du 9 octobre et tôt le matin du 10 octobre — de jeudi soir à vendredi, juste après l’accord de cessez-le-feu, mais avant que le Cabinet d’Israël ne l’ait approuvé — a été plus vaste qu’à aucun autre moment repéré par Drop Site pendant l’attaque contre la Bande de Gaza. Les coupables ne se sont pas restreints à une seule unité, et l’incendie n’a pas été confiné à un quartier spécifique. Drop Site News a identifié des membres de l’armée israélienne venant de plusieurs brigades différentes, dont les brigades Golani, Givati, Nahal, et la brigade ultra-orthodoxe nouvellement formée Hashmonaim qui a posté des dizaines de photos et de vidéos de bâtiments engloutis dans les flammes, pendant leur retrait de la ville de Gaza vers la « ligne jaune » définie dans l’accord Trump, elle-même encore largement enfoncée dans le territoire de Gaza.
Dimanche, un soldat israélien de la brigade Kfir a posté une photo le montrant debout devant un ensemble de palettes de bois en train de brûler. « Vendredi, juste avant notre départ. Nourriture en train de brûler pour qu’elle n’atteigne pas les Gazaouis, que leurs noms soient effacés », dit la légende. Le post inclut aussi une chanson intitulé « L’Chaim! » (À la vôtre !), dont la vidéo musicale utilise des images de Gaza.

Les images postées sur les réseaux sociaux contrastent sombrement avec le message posté par Trump sur Truth Social : « Israël retirera ses troupes jusqu’à une ligne acceptée conjointement, première étape vers une paix forte, durable et éternelle. Toutes les parties seront traitées équitablement ! » L’incendie, après le départ de l’armée, de bâtiments pris et utilisés comme centres de commandement a été une politique israélienne constante à Gaza, au Liban et en Cisjordanie. L’étendue du carnage dans la nuit de jeudi a dépassé tous les incendies criminels individuels enregistrés auparavant.
Parmi les structures dont Drop Site a découvert qu’elles avaient été incendiées par les soldats lors de leur départ figure la station de traitement des eaux usées Sheikl Ajlin, une composante centrale du réseau d’assainissement de la ville de Gaza. Monther Shoblaq, directeur général du service des eaux des municipalités côtières (Coastal Municipalities Water Utility, CMWU) à Gaza, a dit que l’attaque est un coup dur qui pourrait pousser le système des eaux usées de la ville de Gaza « au point zéro ». Il a ajouté que l’usine est « l’une des plus anciennes de Gaza » et a averti que sa destruction repousserait de plusieurs années les efforts de reconstruction projetés. « Quoi, ils ont signé un cessez-le-feu », a dit Shoblaq. « Pourquoi y mettre le feu ? »

L’incendie de l’usine de traitement des eaux usées de la ville de Gaza : « [Un] dernier souvenir »
Dans des posts sur les réseaux sociaux, on peut voir un soldat, souriant, en train de poser devant l’usine de traitement en feu ; un autre a mis en légende d’une photo des flammes : « un [dernier] souvenir ». L’usine était exploitée par le Service des eaux des municipalités côtières (CMWU), une ONG palestinienne qui gère la majeure partie de l’infrastructure d’eau et d’assainissement à Gaza. Drop Site News a parlé avec le directeur du CMWU, Monther Shoblaq, qui a dit que l’incendie volontaire est cohérent avec un schéma clair, dans les attaques d’Israël contre le système d’eau de Gaza. (Drop Site News a fait une reportage antérieur sur la destruction du principal réservoir d’eau de Rafah en juillet 2024 et la conversion par l’armée israélienne de l’unique usine de dessalement d’eau de Gaza en une base militaire à l’automne 2024.)

CMWU s’est réuni en mai, a indiqué Shoblaq, pour une évaluation interne des dommages causés au système d’eau de Gaza. Pendant la réunion, l’autorité a examiné l’imagerie satellite montrant que l’usine apparaissait partiellement intacte et a dessiné un plan stipulant que, une fois l’attaque stoppée, les équipes de la CMWU visiteraient Sheikh Ajlin et essaieraient de relancer les opérations du site pour fournir des services aux habitants de la ville de Gaza.
Sheikh Ajlin était l’unique établissement encore capable de fournir des services d’assainissement dans la ville de Gaza après que des attaques israéliennes antérieures ont détruit l’usine de traitement des eaux usées du centre de Gaza, à l’est de Bureji, afin d’établir une « zone tampon » autour du périmètre de Gaza. Des organismes des Nations Unies ont évalué cette zone tampon comme « une partie de l’attaque étendue et systématique dirigée contre la population civile de Gaza » et comme « un crime contre l’humanité ».
Shoblaq a dit à Drop Site que l’incendie de l’usine Sheikh Ajlin, à cinq kilomètres de la frontière, a dissipé toute idée que cibler l’infrastructure d’assainissement de Gaza pourrait avoir été guidée par des considérations de sécurité liées à son emplacement. « Si le prétexte pour faire sauter l’usine de Bureji était sa proximité avec la frontière, pourquoi mettre le feu à un établissement civil crucial pour l’eau qui n’est absolument pas du tout près de la frontière ? »
Pendant plus d’un an, les responsables israéliens de haut rang ont promu l’idée de rendre inopérantes les usines de traitement des eaux usées de Gaza. En mars 2024, l’actuel ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a critiqué le gouvernement pour avoir autorisé les autorités gazaouies à des réparations de l’usine de traitement des eaux usées du centre de Gaza. Plus tôt cette année, le membre du Cabinet Itamar Ben-Gvir, dans ses félicitations au gouvernement pour avoir imposé une coupure d’électricité à Gaza, a remarqué : « La seule chose restant à Gaza que l’Electricity Company [la Compagnie d’électricité] doit déconnecter maintenant est l’usine de traitement des eaux usées ». (The Electricity Company est la compagnie des services d’électricité d’Israël qui vend de l’électricité à Gaza, en complément de la production d’électricité intérieure de la Bande de Gaza, qui a été sévèrement restreinte par les bombardements israéliens et les restrictions sur l’entrée de combustibles.)
L’usine Sheikh Ajlin avait bénéficié d’un important investissement international de plus de 19 millions de dollars [c. 16, 5 millions d’euros] de l’Allemagne en 2012, et était aussi incluse dans un programme plus large de mise à jour de KfW (Banque allemande du développement) annoncé en 2019 dans le cadre d’un ensemble d’environ 5 millions de dollars [4, 3 millions d’euros] pour améliorer le réseau d’eau de Gaza.
Selon le plan de reconstruction de la CMWU en mai, une fois le cessez-le-feu en place, les eaux usées de la ville de Gaza devaient être acheminées à Sheikh Ajlin, pour y être traitées et ensuite déversées en toute sécurité dans la mer. « Mais d’après les images que vous m’avez montrées », a expliqué Shoblaq, « les biotours sont en flamme, ce qui est très mauvais. Si l’usine a été complètement incendiée, je ne peux pas évaluer l’étendue des dommages ; nos équipes doivent visiter et évaluer le site. Mais sans Sheikh Ajlin, des eaux usées brutes devront être vidées directement dans la mer. La réhabilitation pourrait prendre des années et causerait une contamination massive. On parle de Gaza sans traitement des eaux usées, de côtes couvertes de déchets, de risques pour la nappe phréatique, et d’eaux usées non traitées inondant les rues si les tuyaux et les pompes ne sont pas réparées après cette attaque. » Au moment où cet article est écrit, l’équipe de la CMWU a informé Drop Site qu’ils n’avaient toujours pas pu accéder à l’établissement en toute sécurité.
Depuis le 7 octobre, des eaux usées brutes ont été vidées dans la mer, conduisant à l’expansion de maladies liées à l’eau. Une évaluation récente de l’OCHA, le bureau coordonnant les opérations humanitaires des Nations Unies à Gaza, a découvert que plus de la moitié de la population de Gaza est « exposée à des eaux usées ou des matières fécales à moins de 10 mètres de leurs maisons, ce qui pose de sévères risques sanitaires », 57% des foyers rapportant qu’au moins un de leurs membres souffre de maladies de la peau.
Selon Shoblaq, la capacité de conception de l’usine Sheikh Ajlin, d’environ 75000 mètres cubes, aurait été déjà à peine suffisante pour les besoins de la ville de Gaza, en l’absence de tout soutien de l’usine de traitement des eaux usées du centre de Gaza. Sa destruction laisse potentiellement la ville sans aucun traitement centralisé des eaux usées en fonctionnement.
Une campagne massive d’incendies autour du marché Sheikh Radwan, dans la ville de Gaza
Drop Site News a pu géolocaliser beaucoup de photos postées par les soldats sur un groupe de bâtiments dans le quartier Sheikh Rawdan de Gaza. Les résidents ont reçu l’injonction de partir de Sheikh Radwan seulement le mois dernier, lorsque l’occupation terrestre s’est étendue dans la ville de Gaza. Quand les soldats se sont retirés de la zone, ils ont mis le feu à des bâtiments résidentiels de plusieurs étages, une cible fréquente de l’armée israélienne. L’INSS, un think tank de sécurité nationale avec beaucoup d’influence et des liens étroits avec l’échelon supérieur des Forces de défense d’Israël, a commenté en 2014 que la destruction de hauts immeubles s’avérait le moyen le plus efficace de « briser le moral des gens de Gaza ». En quelques jours, en septembre, l’armée israélienne avait abattu plusieurs hauts immeubles résidentiels, et plus de 50 bâtiments au total.
Les posts, mis en ligne par les soldats sur leurs comptes des réseaux sociaux, étaient accompagnés de légendes telles que « En laissant une marque », « un petit souvenir », « bye bye » et « bon débarras ».

Les conséquences de l’incendie massif ont été aussi documentées par des résidents locaux à leur retour dans la zone. Les maisons qui ont été brûlées avaient fait partie des rares restant debout, laissées intactes parce qu’elles étaient utilisées comme lieux de préparation militaires, selon un examen de l’imagerie satellite de la zone.

Les maisons dont les forces israéliennes s’étaient emparées n’ont pas toutes été brûlées. Des posts sur les réseaux sociaux indiquent que quelques unités les ont simplement abandonnées en les saccageant avant et en vandalisant leurs murs avec des graffiti. « Profitez-en bien, salauds », a écrit un soldat sur les réseaux sociaux aux Palestiniens retournant pour trouver leurs maisons mises à sac. « Nous reviendrons ici » a été peint au spray par un autre sur le mur d’une maison qui avait été occupée par les forces israéliennes à Gaza.

Les troupes israéliennes ont aussi partagé des photos des maisons brûlées accompagnées de légendes commentant l’incendie. Un soldat a baptisé l’incendie de plusieurs bâtiments de « touches finales ».
Les maisons des Palestiniens s’élevant dans les flammes sont aussi devenues le canevas sur lequel des soldats partageaient leurs opinions à propos de l’avenir de la présence israélienne à Gaza, quelques-uns exprimant leur soulagement de partir. « Salut et adieu à jamais à [ce qui a été] ma maison récemment. »
D’autres se sont promis de revenir, imitant même un commentaire d’hôtel sur Airbnb. « C’était un [séjour] bref, mais de haute qualité, nous reviendrons », a écrit un incendiaire israélien.

Alors que le cessez-le-feu prend effet, Gaza a déjà été rendu en grande partie inhabitable. Un colonel israélien s’est récemment vanté auprès des médias israéliens : « Nous ne laissons derrière nous que de la poussière. Il n’y a plus rien ici. » Pour des hauts-responsables comme Gamliel, qui a exprimé sa satisfaction devant le niveau de destruction à Gaza, le résultat est clair:
« Regardez l’hypocrisie de tous les pays européens. Ils continuent constamment : ‘famine, famine’ Eh bien ? Ouvrez vos portes ! Pourquoi était-ce une chose à faire quand il s’agissait de l’Ukraine, et aussi quand il s’agissait de la Syrie. Quand il s’agit des Palestiniens, ils veulent perpétuer ce conflit structuralement.
Maintenant, juste pour votre information : un million et sept cent mille personnes à l’intérieur de la Bande de Gaza sont définis comme des réfugiés par l’UNRWA. Autrement dit, ils sortent de là, ils ne reviennent pas ! Parce que, en tant que réfugiés, ce n’est pas un endroit où ils ont un droit d’appartenance fondamentale. »
Cet article a été mis à jour après sa première publication en anglais avec un commentaire d’Israël.
@NemoAnno et @fdov21 ont contribué à ce reportage par une géolocalisation open-source.
Sur les auteurs:
Younis Tirawi est un journaliste palestinien couvrant la politique et la sécurité dans les Territoires palestiniens occupés, partageant principalement des mises à jour sur X.
Yaniv Cogan est un écrivain basé à Tel Aviv. Il a récemment contribué au livre: DELUGE: Gaza and Israel from Crisis to Cataclysm, publié par OR Book. https://orbooks.com/catalog/deluge/