Les Palestiniens sont furieux qu’une entreprise égyptienne « se fasse des millions » en sortant des réfugiés de Gaza

Des rapports selon lesquels des Palestiniens doivent payer au moins 5000 dollars pour fuir Gaza ont conduit à accuser l’Égypte de profiter de leur détresse. « Le passage de la frontière à Rafah est-il devenu le deuxième canal de Suez? » demande un Gazaoui.

Une des histoires récurrentes sur la guerre Israël-Gaza concerne les coûts exorbitants exigés par les passeurs égyptiens pour faire traverser aux Palestiniens la frontière de Rafah vers le Sinaï.

Un rapport du mois dernier a affirmé qu’une compagnie égyptienne de voyages a généré près de 90 millions de dollars en quelques semaines en faisant payer à des personnes désespérées plus de 5000 dollars pour quitter la Bande de Gaza.

Sur les réseaux sociaux, les Gazaouis sont devenus de plus en plus critiques de cette pratique qui qui ne montre aucun signe de diminution pour ceux en mesure d’acquitter les frais élevés exigés pour quitter la guerre.

Un des premiers groupes de diffusion à faire état de cette pratique a été l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP, « Projet sur le crime organisé et la corruption ») – qui, en janvier, a mis en lumière la détresse de ceux cherchant à fuir Gaza et le bombarement israélien.

L’ OCCRP, un réseau mondial de journalistes d’investigation, a dit que ses reporters ont reçu des devis sur place pour garantir les sorties de Gaza. Une agence égyptienne demandait 7000 dollars pour les Palestiniens, 1200 dollars pour les Égyptiens et 3000 dollars pour des détenteurs d’autres passeports étrangers.

L’organisation a aussi parlé avec une citoyenne égyptienne, Rasha, 31 ans, qui était coincée à Gaza avec son mari palestinien et leurs trois enfants. Bien qu’elle détienne la citoyenneté égyptienne, Rahsa a dit qu’elle n’avait pas reçu de réponse du Caire concernant sa requête de rapatriement et qu’une compagnie égyptienne lui avait demandé 40000 dollars pour un passage par la frontière de Rafah — la seule dans l’enclave qui n’est pas controlée par Israël. « Impossible de nous le permettre », a-t-elle dit à l’OCCRP.

Trois mois plus tard, avec des conditions humanitaires à Gaza encore pires et alors que les organisations des droits humains avertissent qu’il y a là-bas une famine réelle, The Times de Londres a révélé comment une compagnie égyptienne privée aurait gagné 88 millions de dollars en facilitant l’évacuation des Palestiniens de Gaza.

The Times a rapporté que la compagnie, qui serait affiliée au gouvernement égyptien et dont le personnel serait composé d’anciens soldats égyptiens, est connue sous le nom de Hala Consulting and Tourism. Elle fait partie du groupe Al-Arjani de compagnies dont le propriétaire est Ibrahim Al-Arjani – un homme d’affaires important du Sinai baptisé le «  Roi du Passage », un titre qui reflète son influence significative sur la frontière à Rafah.

Selon le site web Arabi21, Hala a été établie en 2019 pour fournir des « services de voyage VIP » de Gaza à l’Égypte, à un prix allant de 350 dollars à 1200 dollars selon la saison. Ceux qui sont passés par ce service ont évité la longue attente pour l’approbation officielle et un exténuant voyage par étapes de trois jours à travers le Sinaï jusqu’au Caire. Typiquement, les personnes aisées de Gaza ont utilisé ce service pour faciliter leur voyage, et il a aussi été utilisé pour garantir que les étudiants gazaouis arrivent à temps quand ils étudient dans des universités égyptiennes.

Les services au point de passage se sont arrêtés après le 7 octobre quand la guerre a éclaté, mais ont repris en janvier avec des frais élevés, selon l’OCCRP.

The Times, entre-temps, a rapporté que des témoignages obtenus par la chaîne de télévision britannique Sky News et par la BBC en février ont confirmé les allégations selon lesquelles des voyageurs payaient des frais de 5000 euros pour sortir de Gaza. Le journal a contacté Hala pour un commentaire mais n’a reçu aucune réponse.

Dans une enquête séparée publiée la semaine dernière, le site web Middle East Eye a analysé les listes quotidiennes, publiées par la compagnie Hala, des noms de clients qui ont utilisé la liste VIP de la compagnie, révélant les revenus importants générés en avril.

Ce mois-ci, environ 58 millions de dollars ont été amassés grâce au passage de 10136 adultes et 2910 enfants par le passage de Rafah en utilisant la liste VIP de la compagnie, a rapporté le site web. Ceci reflète un revenu quotidien moyen de 2 millions de dollars — presque le double des gains estimés de la compagnie en mars.

Les profits les plus élevés enregistrés pour un seul jour ont été obtenus le dernier jour d’avril, où Hala aurait gagné au moins 2, 3 millions de dollars de la part de personnes fuyant Gaza.

Les rapports du journal n’ont pas manqué d’être remarqués sur les réseaux sociaux gazaouis. Citant les gros titres, l’écrivain palestinien Yahya Basheer           a twitté à ses 4 000 followers sur X : « Le passage-frontière de Rafah est-il devenu le deuxième canal de Suez ? Pourquoi les Palestiniens doivent-ils supporter des coûts excessifs alors que les Israéliens entrent librement en Égypte ?  »

Il a poursuivi : «  Devons-nous ignorer les individus sans nombre qui font la queue depuis l’aube devant la compagnie Hala ? Est-ce que je peux fermer les yeux sur mes amis ? Qu’en est-il des jeunes qui ont payé des sommes exorbitantes pour quitter Gaza ? Devrais-je discréditer tous les rapports sur cette question, qui révélent les profits stupéfiants qui sont faits ? »

Un avocat égyptien, Hasan, a contesté les déclarations qui minimisaient les frais que les Gazoauis étaient forcés de payer pour passer la frontière vers l’Égypte.

Un autre utilisateur d’ X, Farag, a exprimé sa frustration non seulement envers la compagnie Hala, mais aussi envers les citoyens égyptiens, affirmant que les réfugiés palestiniens cherchant refuge en Égypte ont payé des sommes substantielles équivalentes à des coûts d’hébergement pour les dix ans à venir.

L’analyste politique égyptien Maged Mandour, écrivant sur le site web d’Al Quds, a remarqué que la moindre influence de l’Égypte sur Gaza peut être attribuée à la crise économique du pays, à une élite militaire focalisée sur l’auto-préservation et à un réseau de copinage qui poursuit ses propres intérêts financiers.

Les élites du régime « utilisent la guerre à Gaza pour s’enrichir aux dépens de Palestiniens désespérés », a-t-il fait remarquer. Et à propos des accusations contre le propriétaire de Hala, Al-Arjani, il a écrit que la pratique de demander des frais exorbitants « n’est pas seulement inhumaine, mais qu’elle est aussi dommageable pour la crédibilité intérieure du régime » du président Abdel-Fattah al-Sissi.

Plusieurs Palestiniens ont accusé Hala de complicité, d’autres ont dit qu’ils espéraient qu’Al-Arjani fasse l’expérience de charges financières ou de problèmes de santé similaires.

Après le rapport du Times, Arabi21 a parlé à des Palestiniens de Gaza sur leur situation désespérée. «  Le temps est un facteur crucial », a dit l’un d’eux, Karim. «  C’est comme choisir entre le moindre de deux maux : est-ce que je donne la priorité aux adultes, aux enfants ou aux blessés ? »

Il a aussi commenté les spéculations selon laquelle le gouvernement égyptien utilise Hala pour faire face à ses propres difficultés financières. « Si l’intention était vraiment d’aider la population de Gaza, pourquoi imposer de tels frais élevés [pour sortir de Rafah] ? Pourquoi ne pas simplement ouvrir le passage ? »