Les habitants de Gaza affirment que la zone contrôlée par Israël, signalée par ladite Ligne jaune, change sans prévenir et se déplace vers l’ouest. ‘ « Nous ne sommes pas des combattants » dit une mère de famille qui s’abrite dans le centre de Gaza et se fait du souci à l’idée que ses enfants pourraient être pris sur la ligne de feu, « nous sommes des gens qui essaient de vivre ».
Lorsque Maha Oudah envoie ses enfants hors de l’abri où ils vivent près de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, elle leur dit où exactement ils doivent s’arrêter. Il n’y a pas de barrière, pas de trace peinte de frontière, aucun signal officiel indiquant le danger – rien qu’une précaution qu’elle répète chaque jour : « N’allez pas au-delà de ce point ».
Quelque part à proximité, elle le sait, se trouve la Ligne Jaune israélienne qui sépare Gaza contrôlée par Israël de la partie de la bande de Gaza contrôlée par les Palestiniens. Mais elle ne sait pas exactement où.
La ligne – qui est indiquée par des blocs jaunes – a été instaurée après le cessez-le feu d’octobre, quand Israël s’est retiré de la partie de la bande de Gaza qu’il contrôlait. Mais, dans la bande de Gaza, les Palestiniens parlent d’une extension constante de la zone contrôlée par Israël et de tirs à balles réelles pour arrêter ceux qui s’en approchent ou y entrent.
Au cours des dernières semaines, la Ligne Jaune a progressé plus avant dans des zones peuplées de Gaza, canalisant les civils dans une zone géographique resserrée. Les habitants et les agences humanitaires disent que la limite change de façon imprévisible , souvent du jour au lendemain, et parfois sans aucun avis public, faisant de quartiers naguère accessibles des espaces de mort. Pour les habitants, la ligne devient une frontière changeante entre la vie et la mort.
Dans l’est de la ville de Gaza, près du Shujaiyeh et de Al-Tuffah par exemple, les habitants disent que les rues qui étaient accessibles quelques jours plus tôt sont désormais considérées zones interdites. Des histoires semblables s’entendent à Bani Suheila et à Khan Younis au sud, à Beit Hanoun et à Jabalya au nord.
« Un jour la rue sera ouverte… le lendemain quelqu’un y est tué et tout le monde comprend que l’armée d’occupation est là » dit à Haaretz Khaled Farhat, un père de trois enfants, âgé de 35 ans qui est hébergé à Khan Younis. Farhat lui-même a perdu 23 membres de sa famille au cours de la guerre. Son frère aîné, Assad, a été tué par une frappe aérienne juste une semaine avant l’annonce du cessez-le feu.
Des infirmiers et témoins sur place ont rapporté de multiple incidents dans lesquels des civils – dont des enfants et au moins une femme – ont été tués après avoir pénétré dans des zones récemment absorbées dans la zone contrôlée par Israël qui s’est étendue sans en informer les habitants. Dans un cas très connu qui a eu lieu en décembre, deux garçons palestiniens, Fadi et Juma Abu Assi, âgés de 10 et 12 ans, ont été tués par un drone israélien dans le quartier de Bani Suheila près de Khan Younis alors qu’ils ramassaient du bois pour leur père blessé, selon des responsables médicaux de l’hôpital Nasser de Gaza.
L’armée israélienne a dit que les garçons étaient engagés dans des « activités suspectes » près de ses soldats et a prétendu qu’ils constituaient une menace. Les Palestiniens ont parlé des garçons comme de civils accomplissant un acte de survie. « C’étaient des enfants essayant d’aider leur famille, et eux (les soldats israéliens) pouvaient voir que c’étaient des enfants, mais leurs frontières ne distinguent pas un enfant d’une femme ou d’un vieil homme » dit Farhat.
Depuis le début de la guerre, la grande majorité des Gazaouis a été déplacée. Au début de 2025, l’ONU et des agences partenaires ont estimé que 90% de la population de Gaza, plus de 1,9 millions, ont été déplacés à l’intérieur au moins une fois et plusieurs fois pour beaucoup. Selon les rapports du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA), depuis la rupture du cessez-le feu de mars 2025, plus de 900 000 personnes ont été déplacées. Ces données illustrent à quel point les cycles de retour et de re-déplacement font maintenant partie du quotidien des habitants de Gaza.
Lorsque le cessez-le feu a été annoncé, nombre de familles sont retournées dans leur maison , espérant que le pire était passé. Mais, avec le déplacement constant de la Ligne Jaune vers l’ouest du fait de l’extension de la zone contrôlée par Israël, nombreux sont ceux qui sont confrontés à un nouveau déplacement. Quelques familles retournées chez elles disent se réveiller le matin pour trouver des barrières de béton ou des véhicules militaires devant leur porte ; d’autres entendent des tirs ou des bombardements assez proches pour ébranler les murs. Elles savent que la barrière se rapproche et peut finalement inclure leur maison.
Na’el ak-Shiakh, un travailleur humanitaire de Deir al-Balah, dont la famille est dans une autre partie de la bande de Gaza, a dit récemment qu’ils lui ont dit avoir entendu des tirs et bombardements toute la nuit. « Quelques jours plus tard, la Ligne Jaune était visible depuis leur maison ». Ak-Shiakh, qui est le principal soutien de sa famille, a ajouté : « Je n’ai pas les moyens de louer un (nouvel) appartement pour ma famille, c’est pourquoi je ne peux les imaginer être déplacés encore une fois ».
Même avant la guerre, Gaza était l’un des territoires les plus densément peuplés au monde. Selon les données des Nations Unies d’avant la guerre Israël-Gaza, environ 2,3 millions de gens vivaient sur une bande de terre d’à peine 365 km carrés, soit une densité de population de plus de 6 000 personnes au km carré – plus élevé que n’importe quel pays au monde en dehors des villes-États et des centres urbains.
Avec le déplacement de masse dû à la guerre, la majorité de la population s’est concentrée dans des zones centrales, vivant dans des écoles, des bâtiments inachevés et des camps de fortune. Dans certains abris de l’agence UNRWA pour les réfugiés, des classes entières logent maintenant de multiples familles. Des tentes sont montées dans des couloirs et des cours. L’intimité est inexistante.

Selon l’UNRWA, l’espace vital moyen de nombreux sites de déplacement n’est que de 0,5 mètre carré par personne, bien inférieur à la norme humanitaire Sphère qui est de 3,5 mètres carrés par personne. Ce surpeuplement extrême a conduit à des conséquences imprévisibles sur la santé publique. L’organisation Mondiale de la Santé et les partenaires santé de l’ONU ont documenté de fréquentes épidémies d’infections respiratoires aiguës, de maladies diarrhéiques et de troubles cutanés, en particulier parmi, les enfants qui constituent près de la moitié de la population de Gaza.
L’accès à l’eau potable à Gaza est dramatiquement situé sous les niveaux d’urgence et les services sanitaires se sont grandement effondrés à cause de la pénurie de carburant. Les stations d’épuration ont fermé et les ordures s’accumulent dans les rues.
« Chaque fois que nous évacuons, nous recommençons à zéro ».
Pour de nombreuses familles, s’approcher de la Ligne Jaune n‘est pas un signe de désobéissance, c’est une nécessité. Les gens disent qu’ils sont forcés de se rapprocher pour se procurer de la nourriture, ramasser du bois de chauffage, sauvegarder des biens ou chercher de meilleurs abris, tout simplement parce que ces ressources sont tellement rares dans les zones centrales surpeuplées. « Nous ne sommes pas des combattants » dit Oudah, la mère de famille réfugiée près de Nuseirat. « Nous sommes des gens normaux essayant de vivre ».
Elle se prépare à déménager de nouveau, après avoir entendu des tirs tout proches. « Nous avons tout perdu et chaque fois que nous changeons de lieu, nous recommençons à zéro ».
Pour Oudah, la vie est devenue une série de calculs mesurés en mètres : à quelle distance les enfants peuvent-ils marcher ; où les tentes peuvent-elles être plantées, quelles rues demeurent accessibles. « Nous pensions que le déplacement était temporaire » dit-elle. Maintenant ce n’est plus le cas.
Tandis que la Ligne Jaune continue de bouger, l’espace déjà limité de Gaza continue à rétrécir. Ce qui reste est un territoire peuplé d’une humanité compressée, où la violence et le surpeuplement sont devenus les dispositifs de la vie au quotidien. « Gaza était déjà surpeuplée auparavant » conclut Oudah. « Maintenant on dirait que les murs se referment ».
Haaretz s’est adressé aux FDI pour un commentaire au sujet de la réclamation des Palestiniens sur l’absence de marquage clair de la Ligne Jaune. Les FDI n’ont pas donné de réponse.
