Les organisations pour la défense des droits humains font état de violences systématiques pratiquées sur les enfants par les forces d’occupation israéliennes. Etat des lieux.
Un des aspects les plus choquants de la réaction israélienne à la première Intifada a été cet ordre de Yitzhak Rabin demandant aux soldats de briser les os de tous ceux qui jettent des pierres, comme le montre cette vidéo. Bien que Rabin a nié que ses soldats l’aient fait aux manifestants, il a admis avoir ordonné l’application extra-judiciaire de “contrainte, force et bastonnade” sur des civils. Depuis cette époque, que ce soit une politique officielle ou pas, ces pratiques – totalement illégales selon les lois internationales – se sont poursuivies sans s’atténuer. Mais ce qui a été récemment porté à la connaissance du public est que ces divers actes de violence illégaux continuent à être infligés non seulement aux adultes mais aussi à des enfants palestiniens, certains seulement âgés de 11 ans.
Les données des rapports d’organisations internationales de défense des droits humains, des Nations unies et du département d’État américain se confirment mutuellement pour mettre en lumière les dommages physiques et psychologiques que l’Etat d’Israël a fait subir à des enfants palestiniens: dans la grande majorité des cas en violation de toutes les lois internationales sur les droits humains, accords et conventions. Pour quiconque s’inquiète du bien-être des enfants, en particulier de ceux qui se retrouvent sans défense contre les actions d’un Etat puissant que les Etats Unis s’est engagé à soutenir et dont ses contribuables participent chaque année pour plus de 3 milliards de dollars, il est intéressant de considérer quelques-unes des découvertes de ces rapports.
Tout d’abord Human Right Watch (HRW) vient juste de publier un rapport sur les violences systématiques que les forces de sureté israéliennes font subir aux enfants palestiniens comme des étranglement, des coups et des interrogatoires « coercitifs »:
HRW s’est entretenu avec 4 garçons de différents quartiers de Jérusalem-Est âgés de 11, 12 et 15 ans et 2 enfants de Cisjordanie: une fillette de 14 ans et un garçon de 15 ans; ceux-ci avaient été arrêtés ou détenus par les forces israéliennes dans des incidents différents où ils avaient été accusés de jeter des pierres entre mars et décembre 2014. Les enfants ainsi que leurs parents ont fait le récit de violences subies pendant leurs arrestations et leurs interrogatoires leur causant douleurs, peur et une anxiété dont ils souffrent encore. HRW a pu voir des photos montrant des traces sur le corps de l’un des enfants concordant avec le compte-rendu que lui et ses parents leur avaient fait. De plus les récits des différents enfants étaient très similaires…
Rachid S., 11 ans, a raconté que des membres de la police des frontières lui ont jeté une grenade assourdissante (un explosif qualifié de non-létal qui produit une lumière aveuglante et un bruit intense qui provoquent une perte de l’équilibre) et lui ont pratiqué un étranglement quand ils l’ont arrêté pour jet de pierres en novembre dernier. Rachid a expliqué que les policiers lui ont mis un sac noir sur la tête, l’ont menacé de le battre et lui ont donné des coups de pieds dans le tibia quand ils l’amenaient en salle d’interrogatoire. Il a aussi ajouté qu’on lui a arraché son manteau et sa chemise au cours de son arrestation mais que la police l’a gardé dehors pendant une heure malgré le froid. Les militants d’HRW ont pu voir des photos de son interpellation par la police ainsi que des marques sur une jambe du garçon confirmant son récit.
Le rapport d’HRW continue en notant:
L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qu’Israël a ratifié en 1991, impose aux tribunaux de prendre en compte l’âge des enfants prévenus et “l’intérêt que présente leur rééducation”. La Convention internationale des droits de l’enfant, qu’Israël a aussi ratifiée en 1991, va plus loin, demandant aux Etats de veiller à ce que l’enfant ne soit pas “contraint (…) de s’avouer coupable”.
Néanmoins, encore et encore, dans ce témoignage on retrouve les forces de police israéliennes utilisant la violence pour arracher des confessions aux enfants.
Un des groupes les plus actifs contre ces pratiques est la section palestinienne de Défense internationale des enfants (DCI) note en particulier:
Les enfants palestiniens détenus par les forces israéliennes en Cisjordanie ont subi un ensemble de mauvais traitement semblable destiné à les contraindre à des confessions.
Certains ont subi des périodes de confinement solitaire, une des expériences les plus difficiles – une pratique habituellement réservée aux adultes, et encore, uniquement après qu’ils aient été jugés; les recherches de DCI-Palestine en 2014 ont montré que le temps moyen qu’un enfant pouvait subir en isolation à des fins d’interrogatoire était de 15 jours jusqu’à, dans un cas, une durée de 26 jours.
Entre 2012 et 2014, les autorités israéliennes ont maintenu 54 enfants en isolement afin de les interroger, avant même de les condamner pour quoi que ce soit.
Les données compilées par DCI-Palestine à partir de 107 déclarations sous serment d’enfants âgés entre 12 et 17 ans détenus en 2014 ont montré qu’ils ont eu à se débrouiller tout seul car, contrairement aux petits israéliens, ceux-ci n’ont aucun droit à la présence d’un parent pendant les interrogatoires; dans 93% des cas les enfants ont été privés de toute aide juridique et rarement informés de leurs droits, en particulier de celui de ne pas s’auto-accuser.
De son côté le gouvernement américain a aussi mené sa propre enquête rendue publique dans un document.
Il s’agit d’un rapport annuel sur l’exercice des droits humains en Israël et dans les Territoires occupés palestiniens. Celui-ci relève un certain nombre de problèmes relatifs aux mauvais traitements des enfants emprisonnés et au déni des droits pour un procès juste dans les tribunaux militaires israéliens. Il signale aussi des délits graves commis sur des enfants comme des meurtres ou des mutilations ainsi que les bombardements d’écoles à Gaza. Ce rapport a été rendu public par le secrétaire d’État des États-Unis John Kerry au cours d’une conférence de presse à Washington.
La semaine dernière 19 membres du congrès ont envoyé une lettre à John Kerry lui demandant avec véhémence de traiter en priorité la question des enfants palestiniens détenus dans les prisons militaires israéliennes. Ce courrier, dont l’initiative revient à Betty McCollum (représentante démocrate du Minesota au congrès US) dénonce le “principe israélien de la détention d’enfants en prison militaire (qui) est une anomalie dans le monde” ainsi que le fait que l’UNICEF a trouvé que des gamins étaient maltraités “de façon généralisée, systématique et institutionnalisée” pendant toute la durée du processus de détention.
Ces législateurs demandaient au département d’Etat de mettre la priorité sur les droits humains des enfants palestiniens et de “traiter la question du traitement des enfants palestiniens par le système israélien de détention militaire décrite dans le rapport annuel”.
Le rapport de l’UNICEF que nous venons de mentionner s’intitule “Enfants en détention militaire israélienne”. DCI-Palestine en énonce ainsi les principaux points :
L’UNICEF note que bien que les autorités israéliennes ont, depuis mars 2013, délivré de nouveaux ordres militaires et pris des mesures afin de renforcer les procédures standard de la police et de l’armée relatives à la détention d’enfants palestiniens, les preuves rassemblées depuis, par un groupe de travail dirigé par l’UNICEF montrent la persistance des mauvais traitements infligés aux enfants.
Le rapport contient une mise à jour des recommandations du rapport 2013 de l’UNICEF.
Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme de responsabilisation de DCI-Palestine, conclut de ce rapport: “en dépit d’un dialogue suivi avec l’UNICEF depuis près de 2 ans, les autorités israéliennes ont constamment échoué à établir des changements concrets afin de stopper la violence et les mauvais traitements contre les enfants incarcérés”.
“Israël est la seule nation au monde qui poursuit automatiquement et systématiquement des enfants devant un tribunal militaire sans aucune des garanties de base pour un procès juste”, ajoute Brad Parker, avocat et conseiller juridique international auprès de DCI-Palestine, “il y a cette idée dans la communauté internationale que les tribunaux militaires israéliens sont ‘en mauvais état’ et peuvent être améliorés; cette erreur est basée sur la présomption qu’ils existent dans le but et dans l’intérêt de rendre la justice. Le système des cours martiales n’est pas une ‘administration de la justice’ mais doit être correctement défini comme un outil de prolongation de l’occupation qui a pour fonction de légitimer le contrôle de la population palestinienne, enfants compris. L’usage généralisé et systématique des mauvais traitements et de la torture sur les gamins palestiniens permet d’améliorer la maitrise objective de l’occupation”.
En plus du traumatisme physique que l’occupation a infligé aux enfants palestiniens il y a un grand nombre de preuves, recueillies par les groupes de défense des droits humains et les Nations unies, d’effets psychologiques à long terme largement répandus.
Une étude montre que les enfants palestiniens souffrent de différentes maladies bénignes dues à leur situation difficile, avec en particulier 10% d’entre eux qui souffrent de malnutrition (de modérée à sévère). Leur santé mentale est aussi victime de divers troubles: 33% des enfants souffrent de désordres aigus liés à un stress post-traumatique (ainsi que 49% à des niveaux modérés et 15,6% plus faiblement). Dans les zones où la situation est plus tendues ce sont 55% des enfants qui sont victimes de stress post-traumatique aigu (35% modérés et 9% faibles).
Dans un article paru il y a un an sur le site Al Jazeera America, le Dr Jess Ghannam, Professeur de psychiatrie clinique et de sciences de la santé à l’Université de Californie de San Francisco explique:
Les enfants de Gaza sont exposés au cours de leur vie à plus de violence que n’importe quel peuple, n’importe quel enfant, n’importe où dans le monde. Si vous considérez aujourd’hui ceux qui ont 10 ans, ils ont déjà vécu l’opération “Plomb durci” en 2008-2009, l’invasion de 2012 et maintenant les destructions de 2014. Tout cela en addition au blocus qui emprisonne tout Gaza. Les statistiques montrent que même avant “Plomb durci”, 80% des enfants gazaouis ont été témoin d’une quelconque forme de violence contre eux, un ami ou un membre de la famille. Maintenant nous avons peut-être atteint un point où 99% des gamins de Gaza ont été exposés à une situation violente où ils ont vu des membres de leur famille être tué, assassiné ou être brûlé vivant. Il n’existe nul endroit au monde où un enfant soit exposé de façon chronique, quotidiennement, à un tel niveau d’exposition traumatique.
On peut réparer un os cassé mais quand il s’agit de reconstruire l’intégrité psychologique d’un tel individu, il y a là quelque chose que les Occidentaux et les Israéliens ne comprennent pas. Ils produisent des dommages psychologiques chez ces enfants que ceux-ci vont trainer pendant tout le reste de leur vie.
Et il ne faut pas oublier la quantité disproportionnée de morts d’enfants palestiniens. Selon les Nations unies, l’été dernier a été le plus sanglant de l’histoire du conflit depuis 1967: Israël a tué plus de civils palestinien en 2014 que pendant n’importe quelle année depuis que l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ont commencé.
L’OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, a publié que 551 des 2 251 palestiniens tués l’été dernier étaient des enfants. De son côté, l’Alliance des enfants du Moyen Orient a écrit:
Le Middle East Monitor publie les statistiques officielles du ministère de l’Information à Ramallah qui révèlent que 1 518 enfants palestiniens ont été tués par les forces d’occupation depuis le déclenchement de la seconde Intifada en septembre 2000 jusqu’en avril 2013,
Ces chiffres indiquent qu’un enfant palestinien a été tué tous les 3 jours par Israël pendant près de 13 ans.
Le ministère a ajouté que le nombre d’enfants blessés par les Israéliens depuis le début de la 2e Intifada vient d’atteindre 6 000.
Enfin, notant un accroissement sans précédent d’enfants arrêtés par les forces israéliennes en 2012, le rapport de l’OCHA pointait que 9 000 mineurs avaient été appréhendés depuis la fin septembre 2000: près de la moitié de la population palestinienne a moins de 18 ans, près de 250 mineurs sont maintenus en prison par Israël, 46 d’entre eux ont moins de 16 ans.
Remember These Children a suivi le nombre d’enfants tués en Israël-Palestine depuis septembre 2000: pendant cette période 133 enfants israéliens ont été tués, un nombre à comparer aux 2 026 enfants palestiniens.
Un rapport de 2013 de la Convention internationale des droits de l’enfant déclare:
Le comité réitère sa préoccupation sur le fait que des enfants des 2 côtés du conflit continuent à être blessés ou tués, ceux vivant en Territoire palestinien occupé étant surreprésentés. Le comité est sérieusement inquiet que des centaines d’enfants palestiniens ont été tués et des milliers blessés pendant la période de notre enquête en conséquence des opérations militaires de l’Etat-partie, en particulier à Gaza où les frappes aériennes et navales sur des zones très densément peuplées, avec une présence significative d’enfants vont à l’encontre du principe de proportionnalité et de la différentiation. Le comité est profondément préoccupé par:
- a) des enfants palestiniens abattus par des militaires de l’Etat-partie près de la frontière de Gaza alors qu’ils récupéraient des matériaux destinés à aider leurs familles à reconstruire leur maison, 30 cas semblables nous ont été rapportés pendant la période de notre enquête;
- b) l’augmentation du nombre d’enfants des Territoires occupés attaqués par des colons en Cisjordanie, 4 d’entre eux ayant été tués depuis 2008 et des centaines blessés pendant la période de notre enquête. Le comité note avec inquiétude que dans la plupart des cas les forces militaires israéliennes, non seulement n’interviennent pas pour éviter les violences et protéger les enfants mais vont même jusqu’à soutenir ceux qui en sont la source. De plus, le comité note avec crainte que, dans la plupart des cas, les responsables ne sont pas traduits en justice et bénéficient d’une totale impunité pour leurs crimes;
- c) l’impact dévastateur sur le droit à la vie, a la subsistance et au développement des enfants vivant dans les Territoires occupés, de la construction du mur de séparation et du blocus de Gaza imposé depuis 2007 et qui a été considéré par la Croix rouge comme une punition collective imposée en violation indiscutable des obligations d’Israël vis-à-vis des lois humanitaires internationales.
Chacune de ces morts est odieuse, qu’il n’y ait aucune méprise à ce sujet. La question est comment pouvons-nous aborder les délits les plus systémiques et les plus profonds, en particulier les brutalités faites aux enfants arrêtés et emprisonnés par les forces militaires israéliennes, l’usage disproportionné de la force envers une population civile tout en, au même moment, travailler à une fin juste du conflit ?
Mis à part l’horreur que l’on peut ressentir à l’écoute de tels rapports, pourquoi devrions-nous, nous aux Etats-Unis nous sentir particulièrement concernés ? Comme le note Sarah Leah Whitson, Directrice de Human Right Watch pour le Proche Orient: “Les mauvais traitements que les forces israéliennes font subir aux enfants palestiniens vont à l’encontre de leurs exigences sur le respect du droit des enfants… En tant que plus grand donateur de matériel militaire, les Etats-Unis devraient faire de fortes pressions pour que cessent ces pratiques et faire entreprendre des réformes”. Il est impératif que nous devrions reconnaitre comment les Etats-Unis ont diplomatiquement protégé Israël de ses responsabilités. On peut espérer qu’avec ses propres enquêtes qui confirment la plupart ce qu’ont rapporté les associations de défense des droits humains ainsi que les Nations Unies sur le traitement des enfants palestiniens entre les mains des forces israéliennes, le gouvernement américain va finalement utiliser son pouvoir pour faire pression sur Israël pour des changements concrets dans ses actes et son comportement vis-à-vis de ces enfants.
Il y a quelques temps un important érudit afro-américain avait été invité à donner une conférence en Israël. Le sujet en était les marques de torture sur le corps de l’esclave noir. Entendant parler de cet ordre de briser les os, il a annulé son voyage, demandant aux organisateurs comment il pourrait faire son exposé sans parler des corps mutilés des Palestiniens. Nous devrions penser à cet acte de solidarité alors que nous voyons grandir ce mouvement non violent de non coopération avec les institutions de l’Etat d’Israël qui prend la forme de boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël. Nous le devons par égard à ceux qui sont le plus sans défense.