Les conditions de vie insalubres à Gaza, l’autre visage du cataclysme humanitaire : « Si nous ne mourons pas sous les bombes, nous mourrons d’une mort lente »

L’accumulation des déchets, la stagnation d’eaux usées ou la prolifération d’insectes rendent la situation sanitaire intenable dans l’enclave palestinienne, où beaucoup craignent l’apparition d’épidémies.

C’est une calamité de plus pour les civils de Gaza, dans l’enclave bombardée par Israël : la cohabitation forcée avec des montagnes de déchets en décomposition, qui attirent les rats, les insectes, et même les serpents, et avec les eaux usées qui souillent le sol. La puanteur rend l’air irrespirable.

« L’odeur des poubelles est partout à Deir Al-Balah », témoigne Hanine Ajjour, habitante de Gaza et responsable financière locale de l’ONG Norwegian Refugee Council, contrainte de fuir vers cette localité du centre de la bande de Gaza après l’invasion israélienne de Rafah, début mai. « Depuis notre arrivée, il y a tant de déplacés que certains dorment dans la rue. D’autres ont dû s’installer dans des tentes près de tas d’ordures, au bord de la mer, parce qu’il n’y avait pas d’autre terrain disponible; l’odeur y est insoutenable. Dans les camps de déplacés, les eaux usées débordent dans les allées, provenant des trous creusés dans le sol pour servir de latrines sous des tentes », décrit-elle, dans une réponse écrite sur la messagerie WhatsApp. Les autorités israéliennes interdisent toujours l’entrée de la presse internationale dans l’enclave.

A Khan Younès (sud) également, des déplacés fuyant Rafah n’ont pas eu d’autre choix que de s’installer à proximité d’un vaste dépotoir temporaire, ouvert en urgence durant la guerre. A l’odeur pestilentielle et aux mares de boue dans lesquelles il faut patauger s’ajoute la pollution générée par « le fait que les gens brûlent tout ce qu’ils ont sous la main, comme du plastique, pour cuisiner, car ils n’ont pas de gaz », déplore Hanine Ajjour.

Risque d’apparition du choléra

Ces conditions de vie délétères, subies par les Palestiniens de Gaza depuis des mois, menacent de s’aggraver alors que le thermomètre dépasse désormais les 30 degrés. La chaleur et la prolifération des insectes, couplées à la concentration de population, font craindre aux humanitaires une crise de santé publique sans précédent cet été. Ils alertent sur le risque d’apparition du choléra. Gale, diarrhées, infections respiratoires aiguës et hépatite A sont déjà présentes, conséquences de l’insalubrité et de l’absence d’accès à de l’eau propre.

Cette situation est un effet direct de la guerre : plus de la moitié des installations d’eau et de traitement des eaux usées ont été détruites ou endommagées par les frappes israéliennes, selon les Nations unies. Les cinq stations d’épuration de Gaza sont à l’arrêt. Les deux principales décharges, situées à la lisière orientale de l’enclave, sont inaccessibles : elles sont situées dans la zone tampon établie par l’armée israélienne.

Le carburant manque pour faire circuler les camions poubelles qui n’ont pas été endommagés. Des employés chargés de collecter les déchets ont été tués ou sont eux-mêmes déplacés. En juin, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) notait que les transferts d’ordures faisaient partie des missions refusées par les autorités israéliennes, qui conditionnent toute opération humanitaire à Gaza. Les décharges informelles se sont multipliées et plus de 300 000 tonnes de déchets solides sont actuellement accumulées dans la bande de Gaza, où la population est soumise aux déplacements à répétition.

Les quelques initiatives prises par les agences de l’ONU comme l’embauche d’employés pour collecter les ordures – ou les campagnes locales de nettoyage dans les allées des camps de déplacés ne peuvent pas endiguer la catastrophe. « La crise des déchets est une punition infligée aux Palestiniens, accuse Aed Yaghi, directeur de la branche gazaouie de l’ONG Palestinian Medical Relief Society. C’est le résultat de la destruction des infrastructures civiles menée par Israël afin de rendre Gaza invivable et de pousser les Gazaouis à partir. »

Aujourd’hui exilé au Caire, le médecin maintient un contact quotidien avec ses proches dans l’enclave. « Un ami m’a dit « Si nous ne mourons pas sous les bombardements, nous mourrons d’une mort lente. » Le jour, les Gazaouis sont assaillis par les mouches; la nuit par les moustiques. L’insalubrité provoque aujourd’hui des infections et des maladies de peau. Mais elle aura aussi des conséquences sur le plus long terme, sur le plan de la santé, en raison de la contamination des sources d’eau. »

Un avis que partage le Programme des Nations unies pour l’environnement : dans un rapport publié en juin sur l’impact environnemental de la guerre à Gaza, l’organisme estime que, avec l’effondrement des infrastructures d’eau et d’assainissement, c’est la « résilience » de l’enclave palestinienne qui est en jeu.

  • Photo : Des Palestiniens viennent remplir des bidons d’eau près de l’une des rares usines de dessalement en état de marche sans la bande de Gaza, à Deir Al-Balah,le jeudi 20 juin 2024. ABDEL KAREEM HANA / AP