Israël a mené une offensive particulièrement meurtrière dans la bande de Gaza, samedi 13 juillet. Un chef du mouvement islamiste a été éliminé. Au moins 90 personnes ont été tuées et 300 blessées, dans une zone désignée « humanitaire » par les autorités israéliennes.
Israël a mené une offensive particulièrement meurtrière dans la bande de Gaza, samedi 13 juillet. Un chef du mouvement islamiste a été éliminé. Au moins 90 personnes ont été tuées et 300 blessées, dans une zone désignée « humanitaire » par les autorités israéliennes.
Le Hamas nie sa mort. Israël ne peut la confirmer. Lundi 15 juillet au matin, Mohammed Deif demeure un fantôme. Pour la neuvième fois au moins en quatre décennies, l’Etat hébreu a visé, samedi, le chef de la branche armée du Hamas, dans une série de frappes d’une rare violence, menées sur la zone côtière sud de Gaza.
Au cœur de la région d’Al-Mawasi, définie par l’armée comme un refuge pour les déplacés gazaouis, ces frappes ont fait au moins 90 morts, pour moitié des femmes et des enfants, et 300 blessés, selon le ministère de la santé de Gaza, administré par le Hamas –, ce qui les classerait parmi les plus létales du conflit. Samedi, la défense civile palestinienne a aussi fait état d’une vingtaine de personnes tuées lors d’une frappe sur le camp de réfugiés d’Al-Chati, dans l’ouest de la ville de Gaza, touchant un lieu de prière.
Ce coût humain immense est passé cependant presque inaperçu en Israël, dans le dixième mois d’une guerre où l’armée a fait voler en éclats toute notion de proportionnalité en ce qui concerne les frappes. L’un des orchestrateurs de l’attaque du 7 octobre 2023 a été visé aux côtés du chef de la brigade de Khan Younès, Rafa Salama, dont l’armée a confirmé la mort, dimanche.
Khalil Al-Hayya, un haut responsable du Hamas, en exil, a affirmé à la chaîne Al-Jazira que Mohammed Deif était bien vivant, sans que le mouvement fournisse des preuves. L’armée israélienne dit avoir localisé les deux hommes à l’ouest de Khan Younès, dans un enclos muré, sous le couvert d’arbres, dans lequel, selon elle, les déplacés étaient tenus à l’écart par des gardes du Hamas.
« Cercle de feu »
Un si vaste espace relativement vide et clos est chose rare dans cette zone, où environ un million et demi de personnes se serrent, selon l’Organisation des Nations unies, dans d’immenses villages de tentes, poussiéreux, soumis à des conditions d’hygiène insalubres, à la faim et à la soif. L’attaque a eu lieu près d’une rare station de distribution d’eau potable et de nourriture.
Selon la radio de l’armée, Mohammed Deif s’était réfugié dans le sud de l’enclave dès avant l’entrée des troupes israéliennes, à la fin d’octobre 2023. Il est demeuré depuis lors entre Khan Younès, sa ville natale, et Rafah, pour l’essentiel sous terre, dans le vaste réseau de tunnels dont il avait supervisé la construction durant deux décennies. Il s’y est terré avec une partie des combattants, après la riposte d’Israël, attendue et d’une violence sans précédent, abandonnant deux millions de civils gazaouis à leur sort.
Jusqu’en avril, l’infanterie s’était déployée durant des mois à Khan Younès, se positionnant à quelques centaines de mètres du complexe où elle a tenté de frapper le chef de la branche armée du Hamas, samedi. Toujours selon la radio de l’armée, Mohammed Deif aurait continué, au fil du conflit, de superviser tant bien que mal les opérations des brigades du Hamas, ce qui expliquerait sa rencontre avec Rafa Salama, le 13 juillet. Ce n’est que récemment qu’il se serait autorisé à sortir à l’air libre. A Gaza, très rares sont ceux qui sauraient reconnaître son visage s’il se trouvait devant eux.
Des témoignages de Gazaouis et des vidéos amateurs tournées sur les lieux montrent que les frappes israéliennes se sont étendues au-delà de l’enclos, en plusieurs phases. Le quotidien israélien Yediot Aharonot affirme que l’armée a créé un « cercle de feu » autour du site, afin d’empêcher les secouristes d’atteindre les lieux et de sauver Mohammed Deif. Plusieurs vidéos ont montré l’une de ces frappes, menée à proximité de camions de pompiers et d’ambulances stationnées près d’un enclos arboré. « Un certain nombre de victimes se trouvent encore sous les décombres et dans les rues, et les ambulances et les équipes de la défense civile ne parviennent pas à les atteindre », déclarait alors le ministère de la santé.
Bébés amputés, enfants paralysés…
Scott Anderson, le directeur à Gaza de l’UNRWA, la principale agence d’aide des Nations unies dans l’enclave, qui s’est rendu dans la journée à l’hôpital Nasser de Khan Younès, a fait état de plus de 100 blessés sévères. « Nombre de patients ont été traités à même le sol, sans désinfectant », affirmait-il, dimanche, en décrivant « des bébés amputés de deux membres, des enfants paralysés, incapables de recevoir un traitement, et d’autres séparés de leurs parents ». « J’ai aussi vu des mères et des pères ne sachant pas si leur enfant était vivant, a-t-il ajouté. Des parents m’ont dit qu’ils étaient venus dans cette “prétendue zone humanitaire” dans l’espoir que leurs enfants y seraient en sécurité. »
L’armée israélienne a précisé ne pas disposer d’informations indiquant que des otages se trouvaient autour de Mohammed Deif, en guise de boucliers humains, au moment de l’attaque. Au cours de cette guerre, Israël a tué Marwan Issa, le second de Mohammed Deif, et trois chefs de brigade du Hamas, à Gaza. Il a aussi assassiné, à Beyrouth où il était exilé, Saleh Al-Arouri, lié au parrain iranien du mouvement islamiste, qui ouvrait au dialogue avec le Fatah au pouvoir en Cisjordanie, tout en y supervisant à distance la branche militaire du Hamas. Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a rappelé, samedi soir, avoir « établi une règle dès le début de la guerre : les meurtriers du Hamas sont des morts en sursis, du premier au dernier d’entre eux. Nous réglerons nos comptes avec eux ».
Sur cette liste de cibles demeure toujours le chef du mouvement à Gaza, Yahya Sinouar, aux côtés duquel Deif avait patiemment transformé ses brigades en un embryon d’armée, avec l’aide du Hezbollah libanais, améliorant les capacités de ses missiles, grâce aux transferts de technologie de l’Iran.
Quelles conséquences aurait la mort de Deif sur les négociations poussives qui reprenaient ces dernières semaines, en vue d’un cessez-le-feu et de la libération d’otages du Hamas ? Le mouvement palestinien se garde de toute réaction brusque. Dimanche, un membre de son bureau politique, Izzat Al-Risheq, a rejeté comme « faux et sans fondement » le contenu d’une dépêche d’agence, qui citait un officiel anonyme du Hamas, selon lequel le groupe avait décidé de mettre fin aux négociations.
Donné pour mort plusieurs fois
Dès samedi, Khalil Al-Hayya avait déploré qu’Israël cherche à pousser le mouvement islamiste à rompre ces pourparlers. Côté israélien, l’élimination des chefs du Hamas est un objectif consensuel au sein de l’état-major, du gouvernement et de l’opposition, jugé cohérent avec la poursuite en parallèle des négociations. Le chef du Mossad, David Barnea, est attendu au Qatar, dans les prochains jours, afin de les poursuivre.
« Deif » est né Mohammed Diab Al-Masri, en 1965, dans une famille pauvre du camp de réfugiés de la ville, tout comme Yahya Sinouar. Il a acquis son surnom (« invité » en arabe), à force de changer constamment d’hébergement. Il a déjà été donné pour mort plusieurs fois par Israël, a subi de graves blessures et disparu par deux fois pendant six et sept ans, à la suite de tentatives d’assassinat.
C’est lui qui avait annoncé, d’une voix claire et forte, le 7 octobre 2023, le début de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », qui a tué 1 200 civils et militaires dans le sud d’Israël. Ancien étudiant en biologie à l’université islamique de Gaza, il fait partie, avec Sinouar, des premiers militants armés de l’organisation, qui traquaient des collaborateurs palestiniens de l’armée israélienne à la fin des années 1980. Il avait été arrêté une première fois par Israël, en 1989, au début de la première Intifada.
De la génération qui a fondé les Brigades Ezzedine Al-Qassam (le groupe armé du Hamas), en 1990, il en demeurerait l’un des seuls vivants et libres, aujourd’hui. Il avait pris la tête du mouvement lors de la deuxième Intifada, après l’assassinat de Salah Chehadeh, en 2002. En ce temps lointain, la mort de quatorze civils aux côtés de ce dirigeant islamiste avait suscité une réprobation internationale, et un certain émoi en Israël. La justice espagnole avait ouvert une éphémère enquête pour crimes contre l’humanité contre le ministre de la défense israélien et six hauts gradés de l’armée.
- Photo : Un Palestinien, après un bombardement visant le camp de déplacés d’Al-Mawasi, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 juillet 2024. BASHAR TALEB / AFP