Mardi 15 avril, une conférence sur la Palestine et l’histoire du sionisme avait lieu à l’ENS de Lyon. Elle a été fortement perturbée par une vingtaine de personnes extérieures. Les étudiants organisateurs dénoncent une « volonté de déclencher une bagarre », l’école a décidé de porter plainte.
Lyon (Rhône).– « C’est démoralisant », soupire Romane. Mardi 15 avril, cette étudiante à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon a organisé une conférence intitulée « Histoire de la Palestine et du projet sioniste du XIXe siècle à nos jours ». Alors qu’elle devait se dérouler dans l’amphithéâtre du prestigieux établissement entre 12 h 30 et 14 heures, elle a finalement été amputée de sa partie « débat avec le public ».
Devant plus de deux cents participant·es, un groupe de quinze à vingt personnes ont fortement intimidé les spectateurs et perturbé le discours de l’invité Pierre Stambul, militant juif antisioniste, porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP).
Romane était à la tribune. « À partir du moment où il s’est mis à parler, il n’y a plus eu une minute de silence. Il a été sans cesse coupé par des cris et des interpellations », raconte l’étudiante, membre du Collectif des associations engagées de l’ENS. Si cette action n’a pas été revendiquée, plusieurs témoins ont entendu certains perturbateurs se définir comme « sionistes » au cours des altercations.
La CGT de l’établissement a dénoncé, dans un communiqué envoyé dès le mardi soir, « un commando » aux « méthodes “trumpistes”, voire fascistes ». Elle souligne que « de multiples propos racistes et homophobes ont été tenus » par les perturbateurs tout au long de l’intervention. Le syndicat compte organiser une assemblée générale à ce propos.
Contactée, la direction de l’ENS de Lyon confirme qu’une « vingtaine de personnes, toutes extérieures à l’établissement, est venue avec le dessein d’empêcher le bon déroulement de l’exposé ». « Des insultes et des propos injurieux ont été proférés », dénonce-t-elle, avant d’annoncer son intention de porter plainte pour « trouble à l’ordre public, entrave à la liberté d’expression, et [de] faire un signalement au procureur de la République ».
Les étudiants organisateurs recueillent actuellement la parole de leurs camarades, dont certains sont choqués par les événements. Ils se réservent le droit de porter plainte. Un dispositif d’écoute a été proposé par l’établissement.
« Ils cherchaient à déclencher une bagarre »
« Alors que la conférence n’avait pas encore commencé, quelqu’un a pris la parole de manière musclée pour dénoncer le fait qu’un drapeau palestinien était affiché dans la salle », témoigne Camille Borne, secrétaire générale de la CGT ENS de Lyon, présente lors de la conférence.
Daniel, étudiant à l’ENS et également organisateur de la conférence, complète : « Lors de cette déclaration, il a aussi souligné le fait que des hommes en jupe étaient présents dans la salle… l’idée était de dire qu’ils ne pourraient pas vivre à Gaza. » « Ces propos racistes et homophobes ont tout de suite jeté un grand malaise », soutient Camille Borne.
La suite de la conférence se tient dans une atmosphère similaire. « Des agitateurs lançaient des youyous quand le mot “palestinien” était prononcé, pour couvrir la voix de Pierre Stambul. Pris à partie par des spectateurs, ils ont ensuite soutenu que le peuple palestinien n’existait pas. Certains ont appelé à aller casser la gueule de l’intervenant », raconte Daniel.
De son côté, Camille Borne reste effrayée par un homme vêtu d’une veste et de gants noirs. « Il tapait sur la table très fort. Je travaille ici depuis trente ans et je n’ai jamais vu ça », décrit-elle. Au moins une étudiante est sortie de la salle en pleurant.
Malgré le brouhaha, Pierre Stambul maintient le cap. « J’ai parlé pendant une heure, ils ont vociféré pendant une heure. Ils me disaient : “Et le Hamas ? Et les otages ? Et les terroristes ?” Leurs propos avaient pour seul but de me faire taire », dit-il. Il termine son exposé sous les applaudissements nourris du public.
Mais alors que l’heure consacrée au débat doit commencer, certains opposants à l’intervention viennent se placer face à l’orateur, proche de la tribune. « Je me suis interposée physiquement entre eux et Pierre Stambul et je me suis fait bousculer, raconte Romane. C’est là que j’ai clairement eu le sentiment qu’ils cherchaient à déclencher une bagarre. »
Finalement, la sécurité de l’ENS de Lyon demande aux organisateurs de mettre fin à la rencontre. Pierre Stambul est exfiltré. « Je suis resté quelque temps dans une salle avec la sécurité, puis je suis retourné à la gare », explique le septuagénaire.
« Mettre un peu le bazar »
Si aucune organisation n’a, à notre connaissance, dénoncé publiquement la tenue de cette conférence, Fabienne Levy, ancienne personnalité politique locale, l’a fait à titre individuel. À 65 ans, cette ex-conseillère régionale rattachée au Parti radical, aujourd’hui militante au sein de la commission éducation de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), a assisté à la conférence de Pierre Stambul à l’ENS le 15 avril.
« Il y avait des groupes de gens de mon âge, qui sont venus pour mettre un peu le bazar comme on peut le mettre quand on n’est pas d’accord », explique-t-elle auprès de Rue89 Lyon, contestant la version de la CGT. Elle ajoute : « J’étais venue poser des questions, mais je n’en ai pas eu l’occasion. Il n’y a pas eu de casse, il n’y a pas eu de violence physique. » Elle assure être venue spontanément à l’événement « en compagnie d’une amie ».
À la suite de la conférence, elle a publié un long message sur Facebook pour dénoncer un événement où, selon elle, des « contre-vérités historiques » ont été énoncées face à des « auditeurs prêts à tout gober au nom de la défense du plus faible ».
Elle conclut son message par ces mots : « Ça commence ainsi, puis ça finit par des décapitations d’enseignants, des attentats contre des journaux. » La publication, d’abord publique, a été passée en privé à la suite de commentaires jugés désobligeants par la rédactrice.
Guillaume Bernard (Rue89Lyon)