Les universités de toute l’Amérique ont un choix : défendre leurs étudiants contre Trump ou être complices de ses crimes.
Samedi dernier [8 mars 2025], Mahmoud Khalil, un Palestinien, résident permanent légal aux États-Unis, et qui a été actif comme négociateur entre l’université Columbia et les étudiants protestant contre le génocide d’Israël en Palestine, a été enlevé par les agents des services de l’immigration et des douanes dans son logement à Columbia et devant sa femme enceinte. Il a été rapidement expédié dans un établissement de détention tristement célèbre en Louisiane. Le Président Trump a célébré la détention de Khalil, promettant que son arrestation était « la première de beaucoup d’autres à venir ». Lundi soir, un juge fédéral a temporairement bloqué toute tentative de déporter Khalil, mais son combat judiciaire est loin d’être terminé.
L’enlèvement de Khalil, dans sa cruauté et son illégalité, a horrifié les gens dans tout le pays. Soyons clairs : c’est ce à quoi le fascisme ressemble, et cela fait partie d’une campagne bien plus large.
Depuis son investiture, dans une prise de pouvoir éclair conçue pour choquer et effrayer, Trump a signé des dizaines de décrets, dont beaucoup attaquent les droits constitutionnels fondamentaux et des communautés déjà marginalisées. Maintenant, ses loyaux chiens d’attaque dans les services de l’immigration, au ministère de la Justice et dans d’autres agences sont en train de les mettre en œuvre — en insistant particulièrement sur la criminalisation du mouvement étudiant qui s’est accéléré sur les campus de toute l’Amérique après octobre 2023, quand des milliers d’étudiants et de membres du personnel se sont dressés contre le génocide commis par Israël (avec le soutien des États-Unis) en Palestine et les guerres au Liban, en Syrie et en Iran.
Dans un décret du 29 janvier, par exemple, Trump a demandé aux agences gouvernementales de cibler les étudiants et le personnel pro-palestiniens en vue de déportation et de poursuites, en enrôlant en partie les universités en tant que censeurs et mouchards. Le gouvernement a ensuite annoncé qu’il couperait 400 millions de subventions et de contrats fédéraux à Columbia qui aurait échoué dans sa mission de protection contre l’antisémitisme, menaçant d’autres universités de la même chose.
Ce sont des attaques directes contre les droits des étudiants à la libre expression de la critique contre les politiques israéliennes et américaines, et les universités qui optent pour un soutien significatif de leurs étudiants auraient une solide défense à opposer à ces violations de leurs droits. Mais à leur discrédit éternel, beaucoup d’universités ont jusqu’à présent déroulé le tapis rouge devant les tendances et les politiques fascistes que Trump et ses acolytes promeuvent fièrement, obéissant même avant son entrée en fonction.
Sous la pression des politiciens, des donateurs, des conseils d’administration et des groupes de lobbying pro-Israël, la plupart des universités ont répondu au mouvement étudiant contre le génocide d’Israël par un racisme anti-palestinien endémique, l’abandon des principes de libre expression, de liberté académique et de gouvernance partagée. Elles ont sacrifié leurs propres étudiants et leur personnel enseignant à la démagogie politique des auditions au Congrès dans la tradition maccarthyste, d’un maintien de l’ordre raciste et militarisé, et de procédures disciplinaires draconiennes. Hors des procédures normales, elles ont voté des codes d’expression de plus en plus-restrictifs et des politiques anti-manifestations.
Ces décisions n’ont pas mis fin au mouvement pour la Palestine. Elles n’ont pas non plus apaisé Trump et ses partisans au Congrès. Au lieu de cela, elles ont aidé à faire des étudiants les premières cibles de la répression fasciste du gouvernement. Il y a une raison, après tout, pour laquelle Mahmoud Khalil était sous le radar de Trump. Columbia en avait déjà fait un exemple, avec d’autres étudiants palestiniens et alliés, les frappant de procédures disciplinaires toujours plus draconiennes bien avant qu’il ne soit enlevé. Des groupes pro-Israël de droite, ainsi que les membres du conseil d’administration de Columbia, ont aussi publiquement exhorté les agents de Trump à le cibler, selon The Forward.
Columbia savait Khalil menacé ; un jour seulement avant son enlèvement, Khalil lui-même avait dit à l’université qu’il craignait que « les services de l’immigration et des douanes, ou un individu dangereux, ne puissent venir chez lui ».
Mais il n’y a pas que Columbia pour lâcher si complètement ses étudiants. Mon organisation, Palestine Legal, a reçu une avalanche de plus de 3500 demandes de soutien juridique depuis octobre 2023, beaucoup d’entre elles venant d’étudiants confrontés à la censure d’événements, à d’absurdes accusations et à des sanctions pour des manifestations typiques du militantisme étudiant.
Parmi des centaines d’exemples, le président de Pomona College a suspendu nos clients sans preuve ni procédure légale parce qu’ils auraient occupé un bâtiment. La police et les administrateurs de George Mason ont soumis les étudiants à des raids de leur logement menés par le FBI à cause de graffiti peints à l’aérosol. La police de l’université de Chicago a éjecté un étudiant des logements sur le campus après l’avoir arrêté à une manifestation. Des administrateurs de l’université de New York ont suspendu des étudiants qui se trouvaient simplement dans la bibliothèque pendant un sit-in pacifique. Des universités ont puni des enseignants de façon similaire, par des investigations, des suspensions, et des licenciements. Les récits sont sans fin et éprouvants.
Alors que Trump met en œuvre des répressions toujours plus sévères contre les défenseurs de la Palestine et contre l’enseignement supérieur tel que nous le connaissons aux États-Unis, les universités doivent voir que capituler devant ses menaces ne les arrache pas à la ligne de mire du gouvernement. (Columbia a appris cette leçon plus de 400 millions de fois). Elles ne font que renoncer à une arène primordiale pour l’enquête critique, le débat et la résistance à ceux dont l’agenda principal est de les écraser. La question est : changeront-elles d’orientation et lutteront-elles pour les droits et les libertés des étudiants et du personnel enseignant qui les rendent dynamiques, qui font d’elle des endroits diversifiés pour imaginer et construire un avenir juste et viable ?
Pour faire cela, les universités doivent procéder à quelques changements fondamentaux.
D’abord, les universités doivent reconnaître la manière dont le racisme anti-palestinien nous menace tous et toutes. Une manifestation du racisme anti-palestinien est le déni par les universités et l’ignorance de ce qui a été clair à la majorité de leurs étudiants et de leur. personnel — et de la communité internationale —depuis plus d’un an : à savoir qu’Israël commet, même avec un fragile cessez-le-feu en place, un génocide contre les Palestiniens de Gaza et de toute la Palestine. Les administrateurs devraient se soucier bien plus du massacre de masse des Palestiniens que du contrôle de manifestations et de slogans à cause de plaintes de personnes qui ne pensent pas que les Palestiniens méritent la liberté dans leur patrie.
La rhétorique maintenant répandue qui qualifie les manifestants contre le génocide comme Khalil de « supporters du Hamas » et présente de manière infamante les défenseurs de la justice en Palestine comme des supporters du terrorisme et des antisémites est aussi un example du racisme anti-palestinien qui contribue à donner à Trump un prétexte pour ses actions. Telles sont les lois et les politiques votées par les législateurs et les institutions pour supprimer les Palestiniens et les supporters de la liberté palestinienne. Tout cela nous rapproche d’une société non-démocratique et fasciste dans laquelle aucun de nous n’aura le pouvoir d’aborder les questions les plus importantes à notre survie et à notre bien-être.
En outre, la censure par les universités de tout ce qui touche à la Palestine n’est que la mince arête d’un angle, ouvrant la voie à un démantèlement des principes centraux de la liberté constitutionnelle et académique, principes conçus pour empêcher le gouvernement et les intérêts particuliers de dicter ce qui peut et ne peut pas être dit et enseigné. Instituer des politiques qui créent un étranglement idéologique et intellectuel à propos de la Palestine — ce qui obtient plus de soutien bi-partisan [à la fois des Démocrates et des Républicains] que toute autre question — fournit un schéma directeur pour faire de même en ce qui concerne les discours, les recherches et les enseignements sur la race, le genre, le climat et d’autres questions critiques que Trump et ses alliés sont déjà en train de cibler.
De fait, l’attaque contre le plaidoyer et les activités universitaires pour la Palestine est complémentaire des croisades de la droite — de l’enseignement primaire et secondaire à l’enseignement supérieur — contre les études ethniques, queer ou sur les Noirs.
Les universités doivent valoriser les vies et les voix de leurs étudiants et de leurs enseignants palestiniens et associés, les impliquer comme membres critiques de la communauté, et résister aux pressions politiques pour s’en débarrasser ou les réduire au silence, alors qu’ils pleurent un génocide vu en direct et manifestent contre lui. Pour ce faire, elles doivent respecter la libre expression et les principes d’anti-discrimination pour tous et toutes (comme le Département de l’Éducation en a instruit l’université George Washington dans la résolution sur une plainte de discrimination anti-palestinienne l’an dernier). Elles doivent le faire non seulement parce que la loi l’exige, mais aussi pour empêcher que la censure ne provoque un glissement de terrain qui détruirait l’université.
Deuxièmement, les universités doivent rejeter l’idée que les demandes étudiantes pour la survie, la liberté et l’auto-détermination palestiniennes constituent d’une façon ou d’une autre un soutien au terrorisme. Elles doivent rejeter la fausse binarité promue par les groupes alignés avec Israël qui postulent que la liberté et la sécurité pour les juifs ne sont possibles que dans un État israélien d’apartheid, aux dépens de la liberté et de la sécurité pour les Palestiniens. L’assimilation largement rejetée du judaïsme, une identité religieuse et ethnique, avec le sionisme, une idéologie politique qui a requis en pratique l’assassinat de masse, la dépossession, l’occupation et l’oppression des Palestiniens pour créer Israël comme un « État juif » en Palestine historique s’appuie sur cette fausse binarité[1].
Cette assimilation du soutien à Israël ou au sionisme avec le judaïsme, et par extension de l’anti-sionisme avec l’antisémitisme, est centrale dans la définition discréditée de l’antisémitisme proposée par l’IHRA, en faveur de laquelle des groupes pro-Israël font pression pour la législation et les politiques universitaires, et que Trump vient de répéter dans son décret. Mais cette définition, qui catégorise comme antisémite le fait d’appeler Israël « une entreprise raciste », ne protège pas les étudiants pro-Israël de discrimination antisémite ou de harcèlement. Il les protège d’une opposition idéologique, de toute perturbation de la croyance inculquée qu’Israël et ses actions sont nécessaires pour la sécurité des juifs.
Les universités ne doivent pas légitimer l’idée que la perturbation idéologique est la même chose que la discrimination. Trump et les promoteurs, adeptes de la suprématie blanche, des attaques contre l’enseignement de ce qu’on appelle la théorie critique de la race (critical race theory, CRT) et des mesures pour la diversité, l’équité et l’inclusion (diversity, equity, and inclusion, DEI) se servent d’un argument double. Ils affirment que les étudiants blancs sont lésés par l’enseignement de « concepts conflictuels » comme l’esclavage, parce qu’il fait qu’ils se sentent coupables des actions de leurs ancêtres blancs, et que c’est anti-blanc d’enseigner que le racisme est systémique. Tant l’IHRA que les efforts anti-CRT/DEI ne visent pas seulement à empêcher les éducateurs et les institutions de reconnaître et d’enseigner les racines racistes et leurs impacts sur les idéologies et les États. Ils utilisent de manière perverse les principes d’anti-discrimination pour punir ceux qui le font.
Pour soutenir la liberté et la sécurité pour tous, y compris les Palestiniens, les universités doivent s’opposer — dans les tribunaux et par toutes les autres voies de résistance — aux directives du gouvernement Trump et aux lois qui restreignent la libre expression et la liberté académique pour protéger les groupes dominants de la dissension idéologique, qu’ils déguisent en « discrimination ». Cela signifie qu’elles doivent résister aux pressions des directives de l’administration Trump et des groupes de lobby pro-Israël sur les législateurs et les universités, en vue de leur faire adopter les définitions de l’IHRA ou apparentées, un mécanisme destiné à réduire au silence les narratifs palestiniens, exactement comme elles doivent contester les directives qui interdisent l’enseignement des études sur la race, le genre et les ethnies, ou la promotion de la diversité en éducation.
Troisièmement, les universités doivent contester les tactiques maccarthystes des groupes de droite ou pro-Israël, qui utilisent la crainte des « rouges » et l’étiquette politisée d’antisémitisme pour justifier la purge de personnes opposées non seulement aux politiques d’Israël mais aussi au soutien des États-Unis pour ces politiques. Une crainte des « rouges » analogue caractérise l’attaque de la droite contre l’enseignement supérieur en général. Comme leurs précurseurs maccarthystes, les auditions au Congrès et les attaques menées par les alliés de Trump — et le manuel « Projet Esther » de Heritage Foundation pour la nouvelle administration —diabolisent les soutiens de la liberté palestinienne comme « anti-Américains », communistes et non-patriotes. Pour contourner les droits d’expression et de réunion des militants pro-Palestine, droits protégés par le Premier Amendement [de la Constitution des États-Unis], le Projet Esther propose de criminaliser leur militantisme en utilisant les lois relatives au contre-terrorisme, au discours de haine, au crime organisé et à l’immigration, en particulier en déportant les militants étudiants non-citoyens des États-Unis. Les décrets de Trump ont donné aux agences fédérales les moyens de s’engager dans un tel ciblage.
Pour comprendre quels sont les enjeux, il suffit de se demander : si les étudiants et les universitaires ont l’interdiction de questionner les actes ouvertement criminels d’un gouvernement étranger, qu’en est-il de leur capacité à mettre en question les actions de leur propre gouvernement — juste quand ce droit a le plus besoin d’être exercé et protégé ?
Plutôt que de faire le travail des censeurs pour eux, les universités doivent être fermes dans leur rejet d’une « Exception Palestine » aux lois sur l’expression et l’anti-discrimination, qui ne sont qu’un cheval de Troie pour élever le niveau d’autoritarisme. Au contraire, les universités doivent vigoureusement et sans biais protéger la libre expression et la liberté académique, en particulier en cessant la persécution de leurs propres étudiants pour leurs prises de paroles critiques d’Israël. Et elles doivent refuser la coopération avec les services d’immigration et d’autres agences gouvernementales ou avec les investigations du Congrès, qui comptent intimider les universités et les réduire à un silence obéissant.
Finalement, les universités doivent considérer leurs rôles historiques et présents dans des systèmes oppressifs et destructeurs, dont ceux de complicité dans le génocide d’Israël à Gaza et l’oppression en cours des Palestiniens. Pendant des décennies, des soulèvements étudiants—comme les mouvements contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour la justice climatique, Black Lives Matter [Les Vies noires comptent] et maintenant la Palestine—ont demandé que les institutions auxquelles ils paient des frais de scolarité et de logements de plus en plus obscènes révèlent leurs larges participations financières à l’armée, aux énergies fossiles, aux prisons, à la police, et à d’autres industries complices de l’oppression, de la mort et de la destruction, et qu’elles s’en désinvestissent. Les universités ont entendu ces appels auparavant et doivent aussi les entendre maintenant, défiant les menaces de les punir de désinvestissement via des lois fédérales inapplicables et anticonstitutionnelles.
Au bout du compte, nous ne pouvons protéger la démocratie qu’en l’exerçant, et non en servant de miroir à des tendances autoritaires. Donc pour faire tout cela et résister à l’agenda réactionnaire plus large de Trump, il faut rejeter la corporatisation et la centralisation croissantes qui ont rendu les universités politiquement et financièrement vulnérables à la coercition. Embrasser les pratiques démocratiques de gouvernance partagée les mettrait en position de résister aux attaques sans précédent et de protéger les droits des enseignants et des étudiants.
Comme dans les périodes passées de soulèvement à l’intérieur des États-Unis ou à l’échelle mondiale, les étudiants sont les indicateurs de changements politiques indéniables. Les universités devraient adopter un rôle de facilitateurs de ces changements plutôt que d’être les auteurs de leur propre ruine, en tant que servantes de l’agenda de Trump. Si elles ne le font pas, nous n’aurons qu’elles à blâmer pour leur complicité dans la persécution politique de Mahmoud Khalil et des nombreux autres ciblés pour leur dissidence politique.
[1] N. Trad. : Le mot « ethnie » dans son acception courante actuelle désigne simplement un ensemble de personnes partageant une histoire, un mode de vie ou d’autres caractères culturels. Rappelons aussi qu’il a existé et existe encore différentes formes de sionisme.