Le monde académique interpelle le CNRS – Anéantissement de l’enseignement supérieur et de la recherche à Gaza

Cette pétition est ouverte aux signatures des étudiants et étudiantes, enseignant.es-chercheur.es, chercheur.es, personnels administratifs (ITA et Biatss) de toutes les universités et laboratoires, affiliés ou non au CNRS

A l’attention de M. Antoine Petit
Président-directeur général du CNRS

Monsieur le Président,

Le 2 mars 2022, soit six jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le CNRS réagissait de manière claire et condamnait avec la plus grande fermeté l’invasion de l’Ukraine par la Russie.” Le CNRS notait qu’il n’était pas “acceptable qu’au 21e siècle, un tel conflit puisse voir le jour” et insistait sur le fait que : “La science n’a pas de frontières mais les valeurs que toutes les communautés scientifiques portent et partagent ne peuvent tolérer cette guerre”.Le CNRS joignait l’action à la parole: “Le CNRS suspend toutes nouvelles formes de collaborations scientifiques avec la Russie et annule tous les événements scientifiques à venir impliquant la Russie.

Plus de six mois après le commencement des bombardements de civils à Gaza, le constat de multiples violations du droit humanitaire international par des experts indépendants des Nations Unies (1), l’ordonnance émise par la Cour Internationale de Justice le 26 janvier 2024 attestant d’un “risque plausible de génocide” (2), l’absence de paroles et de prise en actes par le CNRS nous interpelle fortement, alors même que plus de civils ont été tués en six mois de bombardements et d’incursions militaires à Gaza qu’en deux ans en Ukraine. Le bilan humain du déchaînement de violence des derniers mois est au-delà de l’entendement : 37 676 civils tués à Gaza ou présumés morts sous les décombres  (dont 14300 enfants) , 700 en Israël, 460 en Cisjordanie, 40 au Liban.(3)

Depuis le 7 octobre, toutes les universités à Gaza ont été bombardées, partiellement ou intégralement détruites (4), près de 90 000 étudiants se trouvant ainsi privés d’éducation. Après avoir servi de base militaire à l’armée israélienne pendant près de 70 jours, l’université al-Israa a été entièrement détruite par une explosion programmée, qui a également détruit au passage un musée national affilié au ministère gazaoui de l’Archéologie hébergé dans l’établissement qui comprenait 3000 objets d’art (5). A la lumière de ces évènements, nous sommes  préoccupés par le fait que ces attaques et ces destructions n’ont pas empêché la signature d’accords de collaboration entre les universités israéliennes et des institutions européennes et françaises. Loin de sanctionner Israël, l’Europe a même offert de changer les dates de soumission de projets.

Maya Wind, anthropologue israélienne de l’Université de la Colombie-Britannique a pourtant démontré dans ses récents travaux (6) comment les universités israéliennes collaborent étroitement avec les industries d’armement tout en participant à la politique de colonisation et d’oppression des Palestiniens.

Alors que plusieurs universités européennes (notamment en Norvège (7) ou en Belgique (8)) ont suspendu ou rompu leurs partenariat avec des universités israéliennes, et d’autres, notamment en Italie (9), se sont officiellement engagées à ne pas participer à des programmes de recherche avec Israël, l’appréciation différenciée des drames et des massacres touchant autant les populations civiles que le secteur éducatif palestiniens par le CNRS en France nous interroge. En effet, cela pose une question fondamentale sur la capacité de nos pays et de nos institutions à adopter des positions internationales cohérentes en matière de collaborations scientifiques, autour de principes éthiques centrés sur le respect des droits fondamentaux humains et du droit international.

Nous restons donc en attente d’une réponse claire de la part du CNRS pour accompagner les universités et  institutions académiques françaises qui ont condamné ces massacres et appelé à un cessez-le-feu (10) , ainsi qu’à la rupture des partenariats avec les universités israéliennes impliquées dans des dynamiques militaires et de spoliation (11).

A cette fin, nous, étudiants et étudiantes, enseignant.es-chercheur.es, chercheur.es, personnels administratifs (ITA et Biatss) de toutes les universités et laboratoires, affiliés ou non au CNRS, demandons que ce dernier prenne acte rapidement de la situation et qu’il : 

– Exige un cessez-le-feu immédiat et permanent, et condamne les massacres et bombardements de civils, étudiants, personnels administratifs, professeurs à Gaza et en Cisjordanie.

– Publie et expose tous les accords de collaboration avec les institutions israéliennes, qu’il s’agisse d’entreprises ou d’institutions universitaires et de recherche, impliquées dans l’industrie de guerre et d’armement ainsi que dans les dispositifs participant à l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens occupés de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. 

– Annonce la suspension de tous les nouveaux accords de collaboration scientifique avec Israël et annule tous les événements scientifiques à venir impliquant des institutions israéliennes comme il avait fait pour la Russie en 2022. 

– S’abstienne de prendre part aux programmes de recherche déjà existants impliquant Israël (tel le programme Hubert Curien Maïmonide 2025 qui est co-financé par des ministères français et israéliens (12)), et ce, jusqu’à ce qu’Israël se conforme à ses obligations du point de vue du droit international, y compris la Convention de Genève, et du droit humanitaire.

– Développe des accords de coopération avec les universités palestiniennes, en vue de soutenir la reconstruction du tissu académique des territoires sous occupation, et de préserver la pluralité d’une recherche indépendante.

Alors que la lettre du 31 janvier qui vous avait été adressée par Ivar Ekeland, Président de l’AURDIP, n’a reçu aucune réponse à ce jour, nous attendons une prise de position claire avant le 15 mai prochain, jour de commémoration de la Nakba (catastrophe) palestinienne. 

En tant que plus grand centre de recherche d’Europe, le CNRS se doit de montrer l’exemple et de pousser ses partenaires, de l’IRD à l’INRAE, (mais également le MNHN et l’INSERM (…)), et toutes les universités, à s’engager de manière claire et ferme pour la fin des massacres et la préservation des principes qui forment le socle de notre humanité commune.

La liste des signataires et le formulaire de signature sont disponibles ici

(1) https://news.un.org/fr/story/2024/02/1143472.

(2) https://www.icj-cij.org/fr/node/203447

(3) Chiffres euromonitor du 23 février : Statistics on the Israeli attack on the Gaza Strip (07 October – 23 February 2024) (euromedmonitor.org)

Massacres du 7 octobre en Israël par le Hamas et des civils : un bilan quasi définitif – The Times of Israël (timesofisrael.com)

West Bank sees biggest Israeli settler rampage since Gaza war began – Los Angeles Times (latimes.com)

Au Liban, au moins quatorze blessés lors de raids visant, selon Israël, des « dépôts d’armes » du Hezbollah (lemonde.fr)

(4)https://www.lemonde.fr/en/international/article/2024/03/07/all-12-universities-in-gaza-have-been-the-target-of-israeli-attacks-it-s-a-war-against-education_6592965_4.html

(5)https://www.lorientlejour.com/article/1365045/sen-prenant-aux-infrastructures-civiles-israel-fait-sauter-la-derniere-universite-de-gaza.html.

(6) Wind, M. (2024) Towers of Ivory and Steel, How Israeli Universities deny palestinian freedom. Verso Books

(7) https://ansatt.oslomet.no/en/siste-nytt/-/nyhet/oslomet-setter-utvekslingsavtale-pa-pause Avslutter samarbeid med universiteter i Israel – Universitetet i Sørøst-Norge (usn.no) L’UiB met fin à son accord avec l’Académie israélienne des beaux-arts (kunstavisen.no)

(8)https://www.uantwerpen.be/en/research-groups/law-and-development/news-and-events/bar-ilan/

(9) https://www.lastampa.it/torino/2024/03/19/news/guerra_israele_protesta_studenti_universita-14157931/

(10) Voir notamment les motions votées par les universités Lumière Lyon-2, Paris-Nanterre, ENS Lyon, Université de Lille. https://aurdip.org/motion-votee-par-luniversite-lumiere-lyon-2-concernant-la-guerre-a-gaza/

https://nanterre.mrap.fr/IMG/pdf/motions_ca_universite_paris-nanterre_11_de_cembre_2023.pdf

https://www.ens-lyon.fr/sites/default/files/2024-03/Motion%20sur%20la%20situation%20dans%20les%20territoires%20palestiniens_0.pdf

https://fsu.univ-lille.fr/IMG/pdf/motion_-_ca_8_fevrier_2024-2.pdf

(11) Voir notamment les communiqués de la SEMOMM, et de l’Association Française de Sociologie

(12) France : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) ; Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) et Israël :  Ministère israélien de la Science et de la Technologie (MOST)