L’avocat général, M. Gerald Hogan, a présenté le 13 juin 2019 ses conclusions dans l’affaire (C-363/18) soumise à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par une question préjudicielle….
L’avocat général, M. Gerald Hogan, a présenté le 13 juin 2019 ses conclusions dans l’affaire (C-363/18) soumise à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par une question préjudicielle posée le 30 mai 2018 par le Conseil d’Etat français portant sur la conformité au droit européen du dispositif règlementaire exigeant l’étiquetage des produits des colonies israéliennes. L’avocat général estime que ce dispositif est conforme au droit européen et son avis sera sans doute suivi dans les prochains mois par la CJUE. Les partisans du respect du droit international en Israël et en Palestine salueront le sens des conclusions présentées mais doivent-ils pour autant se réjouir ? Ce n’est pas sûr.
D’une part, la question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat était sans doute inutile. Il est clair que le dispositif français (Avis du ministre de l’économie et des finances du 24 novembre 2016) est bien conforme au droit européen (Règlement (UE) n°1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires et Communication de la Commission européenne du 12 novembre 2015) et permet de mettre en place un étiquetage spécifique des produits des colonies israéliennes. Le Conseil d’Etat pouvait sans doute le dire lui-même, sans poser une telle question de la CJUE (Voir en ce sens, Revue de droit rural, 2018, com. 208, « La CJUE chargée de mettre la bonne étiquette sur les produits issus des colonies israéliennes », G. Poissonnier et F. Dubuisson). La saisine du Conseil d’Etat par les deux requérants (une association pro-israélienne et une société spécialisée dans l’exploitation de vignobles situés dans les colonies de Cisjordanie) visait clairement à retarder l’application de la législation et sur ce plan, leur objectif a été atteint puisque depuis l’arrêt du Conseil d’Etat, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a annoncé qu’elle suspendait ses contrôles visant à s’assurer du respect de la réglementation. C’est sans doute une des premières fois qu’une telle administration suspend d’elle-même à titre conservatoire l’application d’un dispositif réglementaire dans l’attente d’une décision de justice définitive, alors que la procédure engagée n’a aucun caractère suspensif. Mais sans doute le ministère de l’économie et des finances, autorité de tutelle de la DGCCRF, a-t-il jugé utile de ménager une nouvelle fois les autorités israéliennes qui crient au scandale contre cette législation qu’ils estiment « antisémite ».
D’autre part, et sans doute plus fondamentalement, la législation relative à l’étiquetage des produits des colonies est une demi-mesure, très en retrait avec ce qu’exige le droit international. La Cour internationale de Justice (CIJ) a clairement dit, dans son avis du 9 juillet 2004, que la construction du mur de séparation et la colonisation israélienne sont contraires au droit international et que les Etats et les organisations internationales ne doivent pas « prêter aide et assistance » à Israël dans la poursuite de ces initiatives illégales. N’apporter aucune « aide et assistance » à la colonisation suppose de ne pas encourager les activités économiques qui se développent au sein des colonies. Or, en autorisant l’importation sur le territoire européen de produits fabriqués dans les colonies, l’UE et ses Etats membres contribuent au maintien et au développement des activités économiques dans les colonies et ainsi à la viabilité de ces entités illégales. L’étiquetage des produits des colonies ne répond pas à l’obligation de « ne pas prêter aide et assistance ». (Voir « Produits des colonies israéliennes : étiqueter ou interdire », La Croix, 24 juin 2015). L’interdiction de l’importation sur le territoire européen des produits des colonies, réclamée par de nombreuses associations, est la seule mesure susceptible de s’inscrire pleinement dans le respect du droit international (Voir la campagne « Made in illegality » ou la pétition en ligne d’Amnesty international). C’est d’ailleurs ce que l’UE a décidé pour les produits de Crimée, après l’annexion de ce territoire par la Russie.
Cependant, on aurait sans doute tort de ne pas lire avec attention les conclusions de l’avocat général, M Gérald Hogan. Elles ont le mérite de la clarté et rappelle, sans trahir le sens des mots, les différents textes, résolutions, avis, qui condamnent la colonisation israélienne des territoires palestiniens au regard de son illégalité en droit international (Pt 53 à 58). Elles contiennent enfin deux paragraphes qui expliquent parfaitement le sens de l’appel au boycott des produits issus d’Etats qui violent le droit international. L’avocat général considère qu’« il est tout à fait évident que, dans un environnement moderne, certains achats ne sont plus basés uniquement sur des considérations telles que le prix ou l’identité d’une marque particulière. Pour de nombreux consommateurs, ces achats peuvent également être influencés par des critères tels que des considérations environnementales, sociales, politiques et culturelles ou éthiques » (Pt 39). Or, selon lui, les considérations « éthiques » doivent être comprises dans un sens large qui ne se limite pas à la manière dont les produits alimentaires sont élaborés (Pt 50). Il précise : « de même que de nombreux consommateurs étaient opposés à l’achat de produits sud-africains à l’époque de l’apartheid avant 1994, les consommateurs d’aujourd’hui peuvent, pour des motifs similaires, s’opposer à l’achat de produits en provenance d’un pays donné, par exemple par ce que ce n’est pas une démocratie ou parce qu’il applique des mesures politiques ou sociales particulières que ce consommateur estime répréhensibles, voir révoltantes. Dans le contexte de la politique israélienne à l’égard des territoires occupés et des colonies de peuplement, il est possible que certains consommateurs s’opposent à l’achat de produits provenant de ces territoires, précisément parce que l’occupation et les colonies de peuplement constituent clairement une violation du droit international. La Cour n’a bien entendu pas pour tâche d’approuver ou de désapprouver un tel choix de consommateur : il suffit plutôt d’indiquer qu’une violation du droit international constitue le type de considération éthique que le législateur de l’Union a reconnue comme légitime dans le contexte de l’exigence d’informations sur le pays d’origine » (Pt 51).
On ne peut bien-sûr que partager cette analyse, qui tient compte tant de la riche histoire des mouvements de boycott de produits pour des considérations politiques (Irlande, Angleterre, Etats-Unis, Inde, Afrique du Sud, Birmanie, Voir « Une histoire populaire du boycott », O. Estèves, L’Harmattan, 2006) que dans la montée en puissance actuelle de la consommation éthique (Voir Le Monde du 2 mai 2019, « Le boycott, un art de la résistance passive à travers les siècles », C. Vincent). L’appel au boycott des produits israéliens dans le cadre de la campagne BDS s’inscrit parfaitement dans cette logique.
Enfin, l’avocat général s’autorise un développement qui ne peut que réconforter ceux qui croient que le droit international n’a pas qu’un sens abstrait ou symbolique. Selon lui, « l’adhésion à des exigences du droit international est considérée par beaucoup – et pas seulement par un groupe restreint d’experts spécialisés dans le domaine du droit international et de la diplomatie – comme jouant un rôle vital dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales et un présage de justice dans un monde autrement injuste. C’est peut-être particulièrement vrai dans le contexte des citoyens de l’Union qui ont été témoins, durant toute leur vie pour certains, de l’effet destructeur de la force brute à une époque où certains pays avaient fini par croire que le droit international n’était qu’une simple promesse vide de sens aux opprimés et aux êtres vulnérables du monde et qu’il pouvait être ignoré en toute impunité » (Pt 52).
La Cour européenne des droits de l’homme, qui va se prononcer dans les prochains mois sur la condamnation par la justice pénale française de militants associatifs ayant appelé devant un supermarché, au nom du respect du droit international, à ne pas acheter des produits israéliens, pourrait utilement puiser dans ces mots inspirants de l’avocat général de la CJUE.
Par Ghislain Poissonnier, magistrat.