Le double massacre de la famille Batniji

L’artiste Taysir Batniji, originaire de Gaza, a publié deux postes sur sa page FB, hier et avant hier, sur deux massacres qui ont frappé sa famille à Gaza.

L’artiste Taysir Batniji, originaire de Gaza, a publié deux postes sur sa page FB, hier et avant hier, sur deux massacres qui ont frappé sa famille à Gaza.

Poste du 24 février

Quand nous étions petits, ma sœur Hanane et moi, ma mère nous envoyait porter le déjeuner à mon père dans sa boutique de tissus en face de la vieille bâtisse de la municipalité. Hanane avait trois ans de plus que moi. En chemin, je contemplais toujours les vitrines des magasins de chaque côté de la rue. J’étais fasciné. Un jour, j’ai tellement traîné que je me suis perdu. Ma sœur s’est mise à pleurer. Le déjeuner a eu le temps de refroidir avant qu’elle me retrouve et que nous reprenions notre chemin jusqu’à la boutique.

Les vitrines de Gaza arboraient toutes sortes de marchandises, tissus, parfums, montres, bijoux… Mais en ce temps-là, ce qui m’attirait le plus, c’étaient les enseignes des magasins, avec leurs noms joliment calligraphiés à la main en lettres arabes, et accompagnés de dessins réalistes de mariés, de montres, de bijoux, et parfois d’avions, quand il s’agissait d’une agence de voyages. Gaza – et surtout la rue Omar el-Mokhtar – fut le premier musée qu’il me fut donné de visiter. Je ne savais pas encore que ce qu’on appelle l’art existait, ni que peut-être j’avais quelque “talent”.

Tu es partie, ma sœur, tu m’as laissé perdu dans les rues de Gaza, qui ont disparu de la carte. Salue bien ma mère et dis à mon père que le déjeuner arrivera sans doute avec un peu de retard…

Sur cette photo, on voit ma sœur Hanane (signalée par un cœur), avec moi à sa gauche. À ma gauche à moi, mon frère Maysara, tué par un sniper israélien au début de la première Intifada, le vendredi 18 décembre 1987.

La photo date du début des années 1970. [Hanane a été tuée dans un bombardement israélien le 17 novembre avec son mari, ses enfants, ses petits-enfants et plusieurs des voisins qui s’étaient réfugiés chez elle.]

Tout à gauche de la photo, mon frère aîné, Fayez, avec sur ses genoux Ibrahim, mon frère cadet. Tout à droite, mon cousin Youssef. Derrière, ma sœur Sabah avec mon frère Fouad. Fayez est maintenant entre la vie et la mort : il a eu une crise cardiaque en apprenant la mort de Hanane.

Poste du 25 novembre

J’ai hésité à publier ce post. Je ne voulais pas annoncer autant de drames en si peu de jours ; même dans mes pires cauchemars, jamais je n’aurais imaginé que j’aurais à faire une chose pareille. Ce qui s’est passé, et continue à se passer, est atroce. Personne ne peut supporter un tel choc. Mais le monde doit voir les crimes de l’occupant, qui, non content d’avoir exterminé ma sœur avec toute sa famille, a bombardé il y a quelques jours notre maison familiale à Shija’iya. La maison où je suis né et où j’ai grandi, et où s’étaient abrités plus de cent personnes : mes cousins paternels, leurs familles, ainsi que de nombreux autres parents dont les habitations, à l’est de Shija’iya, ont été bombardées dès les premiers temps de la guerre. Une partie s’était réfugiée dans la maison où vivait autrefois ma mère, une autre dans la maison contiguë, celle de Fayez, mon frère aîné. La maison de ma mère est entièrement détruite, celle de mon frère l’est en partie. 22 de mes cousins et cousines paternels, de leurs femmes et de leurs enfants ont été tués, ainsi que le petit-fils de mon frère Fayez, âgé de sept ans. Que leurs âmes reposent toutes en paix. Gloire et éternité aux martyrs. Ci-dessous les photos et les noms de quelques-uns d’entre eux.

Même si cela est bien moins grave que de perdre des proches et des êtres chers, je précise que cette maison abritait aussi une grande partie des œuvres que j’ai créées quand j’étais étudiant aux Beaux-Arts de Naplouse et au début de ma carrière (à peu près dix ans de production), ainsi que beaucoup de livres, de documents, etc. Tout a été réduit en cendres.

Je vous en supplie, ne pleurez pas sur notre sort ! Ne me souhaitez ni force, ni courage, ni endurance – j’ai de l’endurance et je tiens bon. Mais parlez, diffusez la vérité, faites tout ce qui est en votre pouvoir pour sauver Gaza, ou ce qu’il en reste. Soutenez les gens de Gaza, leur force de vie et leur lutte pour la liberté.

Baker Hamed Batniji

Soumayya Mesbah Batniji

Abir Baker Batniji

Abdallah Chérif Baker Batniji

Sama Chérif Batniji

Watine Chérif Batniji

Montasser Hamed Baker Batniji

Raja Mesbah Batniji

Safa Omar Batniji

Samira Omar Hassan Batniji

Fatma Hassan Batniji

Fayez Bilal Fayez Batniji

Mansoura Elayyan Batniji

Sami Omar Batniji

Emad Kamel Batniji

Nous ne pardonnerons pas, nous n’oublierons pas.