Dans une certaine université européenne, depuis une demi-année on attend l’arrivée de S.O., un jeune doctorant de la bande de Gaza. Il était censé commencer ses recherches là-bas le 1er….
Dans une certaine université européenne, depuis une demi-année on attend l’arrivée de S.O., un jeune doctorant de la bande de Gaza. Il était censé commencer ses recherches là-bas le 1er octobre 2020. S’il n’arrive pas avant le 1er avril, il perdra sa bourse et celle-ci sera attribuée à un étudiant d’un autre pays. Ne serait-ce pas dommage.
L’université et le Ministère des affaires étrangères du pays concerné savent très bien que les autorités israéliennes ont déclaré une guerre totale au jeune homme et l’ont empêché à plusieurs reprises de quitter Gaza pour un entretien à l’ambassade du pays à Tel-Aviv afin d’obtenir le visa requis. Mais que peut faire l’université, si ce n’est faire preuve de patience, qui sera à bout le 1er avril ? Et que peuvent faire les diplomates de ce pays, si ce n’est partager leur frustration avec les diplomates d’autres pays ?
En septembre 2020, j’ai écrit sur le cas de S.O., et j’écris à nouveau, car dimanche, le tribunal de district de Be’er Sheva, siégeant en tant que tribunal administratif, devait à nouveau discuter du sort de S.O., de son avenir et de sa nouvelle requête demandant qu’il soit autorisé à se rendre à l’ambassade en question. Le ministère public du district sud d’Israël a déjà demandé que la requête soit rejetée d’emblée – cette fois, en utilisant une excuse qu’il n’a pas encore utilisée dans le cas de S.O. (Un spoiler : l’audience du tribunal a été courte).
Je ne comprends pas exactement pourquoi S.O. préfère que je ne mentionne pas son nom, son domaine d’expertise ou l’université qui l’a accepté. Ce que je comprends, c’est que depuis août 2020, le bureau israélien de coordination et de liaison dans la bande de Gaza et l’organisation qui le supervise – le bureau du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, dirigé par le général de division Kamil Abu-Rukun – mènent une guerre bureaucratique contre les chances d’avancement universitaire de ce jeune homme.
L’été dernier, l’agent de liaison de Gaza et le bureau d’Abu-Rukun ont tous deux donné trois excuses pour rejeter la demande de permis de quitter la bande de Gaza pour son entretien : 1. Le siège de Gaza était en train d’être renforcé à cause du coronavirus ; 2. un entretien dans une ambassade étrangère dans le but de recevoir une bourse n’est pas inclus dans les critères humanitaires exceptionnels permettant de quitter la bande ; et 3. la demande a été soumise par la Gisha et le bureau d’Abu-Rukun. La demande a été soumise par Gisha – une organisation israélienne de défense des droits de l’Homme dont le but est de protéger la liberté de mouvement des Palestiniens – plutôt que par le canal habituel : le Comité des affaires civiles de l’Autorité palestinienne (qui ne fonctionnait pas à l’époque, Mahmoud Abbas ayant décidé de geler la coordination sécuritaire et civile avec Israël).
Deux juges du tribunal de Be’er Sheva, Gad Gideon et Ariel Vago, n’ont pas accepté les explications formalistes du procureur de la République et du coordinateur des activités gouvernementales, et ont estimé que le fait de quitter Gaza pour suivre des études supérieures avec une bourse d’études pouvait effectivement être considéré comme « un cas humanitaire exceptionnel ». Gideon a décidé le 9 septembre de l’année dernière que S.O. devait être autorisé à se rendre à l’entretien à l’ambassade. Le ministère public a alors fait quelque chose de très inhabituel : il s’est empressé de faire appel de la décision du tribunal de district devant les juges de la Cour suprême Neal Hendel, Anat Baron et Yosef Elron.
Les trois juges se sont rangés à l’avis de l’État et ont statué quelques jours plus tard qu’une bourse d’études pour des études doctorales ne constitue pas un cas humanitaire exceptionnel. Ils ont également déclaré que le rôle de la juridiction inférieure n’est pas de déterminer les critères à la place de ceux qui sont autorisés à le faire, mais plutôt d’examiner et de contrôler la mise en œuvre des critères. Ils ont également laissé entendre qu’accéder à la demande de S.O. constituerait un précédent pour les autres Gazaouis qui bénéficieraient de bourses pour étudier à l’étranger.
L’obstiné S.O. a de nouveau fixé une nouvelle date, en novembre, pour l’entretien à l’ambassade, et a de nouveau soumis une demande de permis de sortie de la bande. Le bureau de liaison local a refusé sa demande une fois de plus, avec les excuses habituelles : COVID-19 et le fait que la demande ne soit pas passée par le Comité des affaires civiles palestiniennes. Le mois de novembre est passé, la coordination sécuritaire et civile entre l’Autorité palestinienne et Israël a été renouvelée, et la deuxième demande de l’aspirant doctorant (via le canal palestinien officiel) a été à nouveau refusée – cette fois-ci avec pour seule excuse la pandémie.
Le 14 février, S.O. a soumis une autre demande pour se rendre à Tel Aviv, par la voie officielle. Lorsque l’arrivée du permis fut retardée, Gisha s’est renseigné et le bureau de liaison de Gaza a répondu que la demande était en cours de traitement. L’horloge a continué à tourner et Gisha a une nouvelle fois fait appel au nom de S.O. auprès du tribunal de district de Be’er Sheva.
Entre-temps, il s’est avéré que le Bureau de coordination des activités gouvernementales avait introduit un nouveau critère pour recevoir un permis de sortie de Gaza vers Israël, malgré le confinement pour le coronavirus : « un entretien dans une ambassade étrangère ». Je ne doute pas que ce changement ait beaucoup à voir avec l’activité juridique persistante de Gisha. Ostensiblement, ce développement bienvenu rend la demande inutile et S.O. aurait dû recevoir le permis espéré. Mais devinez quoi ? Les autorités prétendent maintenant que la demande n’a pas été reçue par le bureau de liaison israélien.
Jeudi dernier, l’avocat Yaron Fenesh, un responsable du bureau du procureur du district sud, a demandé au tribunal de rejeter d’emblée la demande pour des raisons de « non-respect des procédures. » Les auteurs de la demande, les avocates Osnat Cohen Lifshitz et Muna Haddad, ont exprimé leur stupéfaction dans leur réponse. Après tout, si la demande n’a pas été reçue, comment le département des enquêtes publiques du Bureau de liaison a-t-il pu répondre à Gisha que la demande était en cours de traitement ? Ou encore, pourquoi le Bureau de liaison n’a-t-il pas signalé pendant toutes ces semaines que la demande n’avait même pas été reçue ? Et comment se fait-il que le Comité palestinien des affaires civiles ait confirmé qu’il avait transmis la demande, dans les délais, à la partie israélienne ?
Gisha dit que c’est une pratique connue du Bureau de liaison : ne pas répondre aux demandes de permis de sortie puis prétendre qu’elles « ne sont pas arrivées. » C’est une affirmation facile car le bureau refuse d’envoyer une confirmation écrite au Comité des affaires civiles palestinien pour chaque demande soumise.
Dimanche, au tribunal, Fenesh lui-même a déclaré que la demande de permis était finalement arrivée – jeudi dernier. Par conséquent, S.O. peut recevoir son permis pour une interview à Tel Aviv, le 17 mars. La Gisha veillera à ce que cela se produise.