Le « dialogue » ne suffit pas pour aborder la question Israël-Palestine : une organisation académique de premier plan approuve un boycott des institutions israéliennes et le soutien au BDS

L’Association américaine d’anthropologie s’est saisie du BDS en tant que question des droits de l’homme.

Vendredi dernier, l’Association américaine d’anthropologie (AAA), avec ses plus de 10 000 membres, est devenue la plus importante organisation académique des États-Unis à approuver le boycott des institutions israéliennes et à proclamer le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), lors d’une assemblée annuelle. La résolution sera soumise au vote de l’ensemble de ses membres au printemps. Avec le résultat du vote de vendredi – 1040 voix pour, 136 contre –, les partisans du boycott sont pleins d’espoir. À noter qu’une autre résolution, qui critique Israël mais condamne le boycott au motif qu’il équivaut à un « refus de s’engager dans un dialogue productif », a connu un échec spectaculaire avec juste 196 voix pour, par rapport aux 1173 voix contre.

Ces deux résolutions délimitent clairement les deux options principales pour les universitaires, comme pour les non-universitaires, qui s’intéressent à l’occupation israélienne et à la politique de l’État d’Israël concernant les Palestiniens. Une position soutient un « dialogue » et un « échange » continus, par exemple la lettre que J.K. Rowling et beaucoup d’autres ont signée récemment. L’autre position, représentée dans BDS, plaide pour un retrait des engagements avec l’État, les institutions culturelles et économiques d’Israël, et fonde tout dialogue sur des raisons éthiques minimales de reconnaissance des droits fondamentaux dans le cadre de la législation internationale et sur une action commune pour mettre fin au système d’injustice. Cette position affirme que plus d’un demi-siècle de dialogues et d’échanges – lesquels ont, d’une façon programmatique et contraire à l’éthique, évité les questions de justice et des droits de l’Homme – n’a apporté aucune différence appréciable.

La question majeure à souligner, c’est que BDS n’est pas contre un dialogue basé sur un engagement éthique en faveur du droit ; il se positionne cependant contre cette sorte de dialogue, fausse et immorale, qui ignore ou minimise les revendications légitimes en matière de droits et, ce faisant, ne fait que créer des alibis pour la perpétuation de l’inégalité. Cette distinction reste vraie que nous parlions des discussions entre chefs d’État, ou entre artistes, écrivains, universitaires et étudiants.

Étant donné que le vote de l’AAA a radicalement clarifié ces deux positions opposées concernant la capacité du « dialogue » à aborder la question Israël-Palestine, il est crucial d’être conscient de ce qu’est vraiment BDS et de ce qu’il propose. Car il est l’unique force non violente, puissante et efficace, à œuvrer pour l’une des causes des droits humains les plus importantes dans le monde.

À sa base, BDS est en fait un mouvement pour les droits de l’homme:

Le 9 juillet 2005, un an après l’avis consultatif de la Cour de justice internationale sur l’illégalité du Mur d’Israël dans les Territoires Talestiniens Occupés (TPO), une majorité très nette de la société civile palestinienne a appelé ses homologues et les gens de conscience, partout dans le monde, à lancer de vastes boycotts, à mettre en œuvre des initiatives de désinvestissement, et à exiger des sanctions contre Israël, jusqu’à ce que les droits des Palestiniens soient reconnus, en pleine conformité avec le droit international.

La campagne pour le boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) est façonnée par une démarche qui se fonde sur les droits, et qui met l’accent sur trois grands groupes du peuple palestinien : les réfugiés, ceux qui sont sous occupation militaire en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et les Palestiniens d’Israël. L’appel conseille vivement différentes formes de boycott contre Israël jusqu’à ce que celui-ci respecte ses obligations stipulées dans le droit international:

  1. mettre fin à son occupation et à sa colonisation des terres arabes occupées en juin 1967, et démanteler le Mur;
  2. reconnaître les droits fondamentaux des citoyens arabes-palestiniens d’Israël à une totale égalité, et
  3. respecter, protéger et promouvoir les droits des réfugiés palestiniens au retour dans leurs foyers et leurs propriétés, comme stipulé dans la Résolution 194 des Nations-Unies.

L’appel BDS a été approuvé par plus de 170 partis politiques, organisations, syndicats et mouvements palestiniens. Les signataires représentent les réfugiés, les Palestiniens des TPO, et les citoyens palestiniens d’Israël.

Cette approche fondée sur le droit explique pour une grande part son succès ; les gens identifient ce que sont les droits de l’Homme, et ils savent pourquoi ils sont importants. Voilà aussi pourquoi les antagonistes du BDS cherchent à nier son fondement sur les droits de l’Homme, comme l’a fait Stuart Eizenstat, ancien ambassadeur U.S. à l’Union européenne, en écrivant, pour dissuader les minorités états-uniennes de se rallier aux Palestiniens, « Ce n’est pas une question de droits civiques ». Mais BDS, de la façon la plus catégorique, est fondé sur les droits, prolongeant non seulement la tradition des boycotts de Gandhi en Inde, des boycotts des bus à l’époque des droits civiques aux U.S.A., des boycotts anti-apartheid en Afrique du Sud, et du boycott par les Travailleurs agricoles unis aux U.S.A., mais prolongeant aussi la longue et riche tradition des boycotts en Palestine, qui remonte aux années 1930.

Une des principales accusations dirigées contre le BDS est qu’il vise à la « destruction » d’Israël. Ce que craignent vraiment ceux qui prétendent cela c’est que BDS, en demandant la totalité des droits de l’Homme pour tous, à la fois dans les Territoires Palestiniens Occupés et à l’intérieur même d’Israël, mais aussi pour les Palestiniens qui ont été illégalement chassés de leurs maisons et de leurs terres en 1948, c’est qu’une véritable démocratie signifiera la fin d’un Etat suprémaciste juif qui exclut les Palestiniens de leurs droits internationalement reconnus. Mais vous ne pouvez pas jouer sur les deux tableaux : Vous ne pouvez pas mettre en avant qu’il faut préserver Israël parce que, entre autres choses, il est « la seule démocratie du Moyen Orient », et en même temps, demander la sauvegarde d’un Etat qui s’est lui même déclaré un Etat juif, avec moins ou pas de droits pour les non-Juifs, et qui est le seul projet colonial de peuplement continu au monde.

Deux objections à BDS proviennent de critiques d’Israël. D’abord, certains sont inquiets devant la conception d’un BDS fondé sur les droits ; ils signalent la difficulté qui réside dans le renforcement international des droits de l’Homme. D’autres critiques disent que le BDS met de côté le véritable travail concret dans les luttes de libération nationale. Ce sont des points importants qu’il faut aborder.

Premièrement, c’est vrai : C’est difficile d’engager des poursuites dans des affaires de droits de l’Homme. Mais les gens qui travaillent sérieusement pour les droits de l’Homme le savent mieux que personne. Ils considèrent les règles internationales des droits de l’Homme comme ayant des facettes et des modes opératoires nombreux. La législation des droits de l’Homme fonctionne directement, mais aussi indirectement, et en conjonction avec les organismes et les tribunaux régionaux, nationaux, locaux, apportant un soutien matériel et moral aux mouvements locaux, offrant une certaine dose de protection et mettant en lumière les dommages et l’injustice.

Ce fut certainement le cas pour BDS qui a plus fait pour révéler au grand jour les souffrances des Palestiniens et pour mobiliser des actions efficaces face à ces injustices que n’importe quel autre mouvement. Sa popularité réside dans le fait que de plus en plus de gens voient dans ce qui concerne les Palestiniens des résonances avec des injustices plus proches de chez eux. BDS représente une plate-forme, exceptionnellement efficace et universellement compréhensible, des droits selon la législation internationale pour atteindre les droits les plus fondamentaux du peuple palestinien.

Deuxièmement, en tant qu’une des militantes les plus respectées pour les droits des Palestiniens, Leila Khalid dit que BDS « ne libère pas la terre ». Mais les critiques de BDS, qui aiment citer cette phrase, évitent malhonnêtement le contexte complet de sa déclaration qui détaille les véritables buts de BDS, en établissant les conditions cruciales préalables à la libération nationale et à l’autodétermination. En réalité, Khalid explique clairement que BDS accomplit une fonction cruciale essentielle sur la scène internationale. En même temps, il revient à la population de Palestine de faire ce qu’ils peuvent de ce soutien. Ceci est entièrement conforme aux buts de BDS qui ne prétend pas dicter ce qu’il faudra faire lorsque l’entièreté des droits sera restaurée. Khalid écrit:

« BDS, bien sûr, est très efficace au niveau international. Mais il ne libère pas, il ne libère pas la terre. Si BDS existe partout dans le monde et que le peuple ne résiste pas, rien ne changera. BDS nous aide à poursuivre la lutte et à isoler Israël, et alors l’équilibre des forces changera ici. Il est très important pour nous, au niveau international, d’avoir plus de gens qui fassent campagne, parce que cela veut dire que le récit de notre histoire atteint ce niveau, et les gens demanderont ‘pourquoi entrent-ils dans BDS ?’. Maintenant, il existe une expérience, et ce dont nous parlons n’est pas simplement théorique – le BDS à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, ça a aidé les gens qui portaient des armes. Mais s’ils n’avaient pas porté des armes, cela les aurait touchés politiquement, mais ce ne les aurait pas libérés, pas sur le terrain. »

BDS est un mouvement proche du consensus chez les Palestiniens, justement parce qu’il concerne les droits fondamentaux de toutes les composantes de la population de Palestine. Mais il n’a jamais prétendu être la direction politique des Palestiniens ou la seule forme de résistance pour obtenir les droits des Palestiniens. L’Appel BDS de 2005, souscrit par la plus large représentation qui ait jamais existé parmi les Palestiniens, en Palestine historique et en exil, établit les trois conditions nécessaires sans lesquelles le peuple palestinien ne pourra pas exercer son droit à l’autodétermination. Il ne prétend jamais être le chemin vers la libération, mais une des ses parties essentielle.

Comme l’écrit Amira Hass dans Haaretz, un boycott d’Israël est « la réponse rationnelle à la terreur d’État d’Israël »:

« Il y a des citoyens d’autres pays qui prennent connaissance des actes quotidiens de violence commis par Israël et les milliers de soldats à son service, et ils sont horrifiés. Ils ne peuvent agir individuellement contre chacun de ces actes, aussi les regroupent-ils tous ensemble. Une fois récapitulés, c’est la terreur d’État, qui conduit tout naturellement à des appels convergents au boycott. C’est une action plus efficace et rationnelle et dont les répercussions sont plus durables. La réflexion en fait partie, l’éloquence (dans beaucoup de langues), l’expression des réseaux sociaux, les manifestations, une grande dose d’énergie des jeunes, des sentiments de dégoût et de rage, le dévouement et beaucoup moins d’argent et de ressources humaines que pour les actes individuels de résistance. »

Mais plus qu’un acte rationnel, retirer le soutien à un système raciste et injuste est une profonde obligation morale. Dans sa « Lettre de la prison de Birmingham », Martin Luther King Jr. explique précisément ce point:

« On peut très bien demander : ‘Comment pouvez-vous plaider pour la levée de certaines lois et l’obéissance à d’autres ?’ On trouve la réponse dans le fait qu’il y a deux types de lois : Il y a des lois justes et il y a des lois injustes. Je serais le premier à préconiser l’obéissance à des lois justes. On a non seulement une responsabilité juridique , mais aussi une responsabilité morale à obéir à des lois justes. A l’inverse, on a une responsabilité morale à désobéir à des lois injustes. Je serais d’accord avec Saint Augustin pour dire que ‘Une loi injuste n’est pas une loi du tout’. »

Quand on leur demande de commenter l’événement de vendredi, les organisatrices de l’AAA, Jessica Winegar et Lisa Rofel, notent la signification particulière qu’Israël-Palestine a dans leur discipline : « Les anthropologues reconnaissent la situation en Palestine pour ce qu’elle est : un régime colonial de peuplement, régime soutenu inconditionnellement par Washington. Les anthropologues sont particulièrement bien placés pour aider les Américains à comprendre la nature coloniale des pratiques d’Israël. Nous attendons avec impatience de pouvoir ratifier les résultats de cette victoire historique avec le vote du printemps prochain. » Une autre organisatrice, Nadia Abu El-Haj, a fait remarquer la façon dont ce vote démontre un sens de la solidarité parmi d’autres organisations, « Plus de 1.000 anthropologues ont affirmé une obligation éthique et politique de rejoindre le nombre croissant d’associations universitaires américaines qui soutiennent l’appel BDS ».

En vérité, cet événement mémorable ajoute énormément à la dynamique du mouvement de boycott ; en 24 heures, l’annonce du vote de l’AAA a été vue par plus de 30.000 personnes et « aimée » des centaines de fois sur Facebook. En janvier, l’Association de Langues Modernes, qui a plus de 25.000 membres, poursuivra ses propres délibérations sur une résolution pour le boycott académique d’Israël.