Le mois dernier, les associations Lawyers for Palestinian Human Rights – LPHR (Avocats pour les droits de l’homme palestiniens)) et Addameer Prisoner Support and Human Rights (pour la défense des prisonniers et des droits de l’homme) ont déposé plainte auprès du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, contre la détention militaire en cours, par Israël, de trois étudiantes de Birzeit. Le directeur de la LPHR, Tareq Shrourou, s’est entretenu avec nous de cette affaire.
Pouvez-vous nous parler du contexte de cette affaire et de la pratique de détention arbitraire qu’utilisent les autorités militaires israéliennes depuis le début de l’occupation en 1957 ?
Mesdames Layan Kayed, Elyaa Abu Hijla et Ruba Asi sont maintenues en détention arbitraire continue depuis respectivement le 8 juin, le 1er et le 9 juillet 2020. Elles attendent leur procès après avoir été injustement inculpées par les autorités militaires israéliennes pour s’être affiliées à un groupe légitime d’étudiants de l’Université de Birzeit et pour avoir été présentes à l’une de ses réunions. Ces poursuites criminelles ont été mises en vigueur de façon injuste en raison de l’exercice pacifique d’un droit humain essentiel et fondamental : le droit à la liberté d’association, d’expression et de réunion. La détention arbitraire de Layan, Elyaa et Ruba s’inscrit dans une politique et une pratique systématiques visant à criminaliser les Palestiniens pour l’exercice de leurs droits civils et politiques. Depuis le début de l’occupation militaire, en juin 1967, jusqu’en juillet 2019, le ministère de la Défense d’Israël a déclaré hors la loi 411 associations civiques et organisations politiques, en vertu des Règlements de défense (d’urgence) de 1945. Les membres des organisations désignées – qui comprennent les groupes universitaires et tous les grands partis politiques palestiniens – peuvent faire l’objet de poursuites criminelles pour leur appartenance ou leur affiliation à l’un de ces groupes.
Pouvez-vous nous parler des affaires que vous avez soulevées auprès du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, et de la récente tendance, par l’armée israélienne, à intensifier le ciblage des étudiants palestiniens ?
Layan, Elyaa et Ruba sont trois jeunes femmes universitaires palestiniennes qui étudient à plein temps à l’Université de Birzeit. Elles ont été arrêtées et placées en détention en l’espace d’un mois, ce qui indique l’émergence possible d’une tendance à cibler spécifiquement les étudiantes. Notre plainte sur leurs dossiers déposée auprès du Groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire suit de quelques mois seulement celle que nous avons soumise auprès du même organisme à propos de la détention militaire de près de six mois d’une autre jeune étudiante palestinienne de l’Université de Birzeit, madame Shatha Hasan. Shatha dirigeait le conseil du syndicat étudiant quand elle a été arrêtée à son domicile, au milieu de la nuit, le 12 décembre 2019, puis elle a été maintenue en détention militaire continue jusqu’à fin mai, sans inculpation ni procès, sur la base de preuves tenues secrètes. Comme Elyaa, Ruba et Layan, Shatha n’avait aucune expérience antérieure de la détention militaire israélienne.
Ces affaires s’inscrivent dans un schéma, qui s’intensifie et devient extrêmement préoccupant depuis août 2019, de détentions d’étudiants universitaires palestiniens en raison de l’exercice pacifique de leurs droits essentiels et fondamentaux. L’Université de Birzeit a confirmé à la LPHR qu’il y a bien une recrudescence de ces affaires, avec 67 étudiants mis en détention par les autorités militaires israéliennes entre août 2019 et septembre 2020. Ce ciblage punitif et prolifique semble avoir été délibérément conçu pour intimider et empêcher tous les étudiants universitaires palestiniens d’exercer leurs droits civils et politiques fondamentaux.
Pouvez-vous expliquer en quoi les pratiques de détention militaire par les Israéliens dans le territoire palestinien occupé sont illégales ?
Il existe des vides flagrants dans la protection des droits de l’homme essentiels des détenus dans le système de détention militaire d’Israël, vides qui autorisent des mauvais traitements fréquents et une absence de justice. Cela s’illustre clairement si on se réfère à la détention militaire des enfants palestiniens. En juin 2012, un groupe d’avocats britanniques de haut niveau, dont la baronne Scotland (QC – Conseillère de la Reine) et sir Stephen Sedley, a publié un rapport financé par le gouvernement du Royaume-Uni intitulé « Children in Military Custody (Les enfants en détention militaire) ». Il conclut qu’Israël viole huit de ses obligations juridiques internationales au titre de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant et de la Quatrième Convention de Genève en raison de son traitement des enfants palestiniens mis en détention militaire, notamment : la discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le recours prématuré à la détention, la non-séparation des adultes, le manque d’accès rapide à des avocats, l’usage de chaînes, le transfert et la détention illégaux en dehors du territoire occupé, et l’absence de traduction des lois applicables.
Le rapport conclut également que si les allégations de mauvais traitements lors de l’arrestation, du transfert, des interrogatoires et de la détention sont exactes, Israël enfreindra également l’interdiction de la torture ou de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant prévue dans la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant.
La politique et la pratique des autorités militaires d’Israël qui utilisent la détention administrative, comme celle appliquée contre Shatha Hasan, constituent un autre exemple illustratif proéminent d’une activité illégale. La détention administrative consiste à emprisonner des personnes pour des périodes prolongées sans inculpation ni procès, sur la base de preuves secrètes. Il s’agit d’une mesure extrême qui viole le droit essentiel à la liberté et le droit fondamental à une procédure régulière. Le droit international permet à un État d’utiliser la détention administrative uniquement en cas d’urgence, et seulement si une audience équitable peut être assurée où le détenu peut contester les allégations portées contre lui ou elle. Aucune de ces conditions juridiques strictes pour un recours exceptionnel à la détention administrative n’est respectée par les autorités militaires israéliennes. Au 31 août 2020, 355 Palestiniens sont gardés en détention administrative par Israël.
Quel rôle pensez-vous que le gouvernement, les parlementaires et la société civile du Royaume-Uni peuvent jouer en ce moment pour soutenir les étudiants palestiniens dans l’exercice de leurs droits ?
Je pense qu’il est impératif de nous informer d’abord sur le ciblage systématique des étudiants universitaires palestiniens en raison de l’exercice de leurs droits humains essentiels et fondamentaux. Pour aider à mieux comprendre cette question, la LPHR vient de lancer le Tom Hurndall Student Protection project (projet Tom Hurndall pour la protection des étudiants) qui vise à suivre, sensibiliser et agir sur ces affaires. La LPHR soumettra des plaintes aux Groupes de travail et aux rapporteurs spéciaux concernés des Nations Unies et interpellera le gouvernement et les parlementaires britanniques. Tous ont un rôle crucial à jouer dans la défense et le respect des droits civils et politiques des étudiants universitaires palestiniens.
La LPHR vise également à faire prendre conscience d’un continuum dans le ciblage systématique des enfants pour leur détention militaire et dans le ciblage des étudiants universitaires pour leur détention militaire. Cette pratique punitive qui, de façon prévisible et incommensurable, nuit à la vie de la jeunesse palestinienne doit cesser immédiatement. Nous espérons que le gouvernement, les parlementaires et la société civile du Royaume-Uni soutiendront, et feront tout leur possible pour atteindre cet objectif primordial.