L’AURDIP écrit au Président Macron concernant l’ordonnance de la CIJ relative à l’ « Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël) »

L’AURDIP a écrit aujourd’hui au Président de la République, pour le mettre en demeure de faire respecter l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice du 26 Janvier dernier, ouvrant une instruction pour génocide contre Israël. Vous la trouverez ici. Des lettres identiques ont été adressées au Premier Ministre, au Garde des Sceaux, aux Ministres des Armées, de l’Économie, de la Culture, de l’Enseignement Supérieur et des Sports

Monsieur Emmanuel Macron,
Président de la République.
Palais de l’Elysée, 55 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris

Monsieur le Président de la République

La France considère l’État d’Israël comme un allié et est engagée avec cet État dans une série de partenariats politiques, militaires, économiques, commerciaux, financiers, scientifiques, universitaires, culturels et sportifs.

Comme vous le savez, la Cour internationale de Justice a rendu le 26 janvier 2024 une ordonnance jugeant « plausible » la commission d’actes de génocide par l’État d’Israël dans la bande de Gaza.

L’ordonnance du 26 janviers 2024 ordonne une série de mesures conservatoires impératives qui, manifestement, ne sont pas respectées par les autorités israéliennes.

Le 16 février 2024, la Cour internationale de Justice a d’ailleurs à nouveau exigé la mise en œuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées dans l’ordonnance du 26 janvier 2024, y compris à Rafah au regard de l’actuelle situation périlleuse qui y règne.

L’ordonnance du 26 janvier 2024 doit se lire à la lumière du contenu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 sur laquelle elle est fondée.

Le génocide, qui est le premier texte juridique adopté par les Nations Unies après 1945, concerne le plus grave crime international que l’ensemble des États s’engagent à prévenir et à punir.

Comme l’a déjà dit la Cour internationale de Justice à plusieurs reprises, en raison des valeurs qu’ils partagent, tous les États parties à la Convention sur le génocide de 1948 ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de génocide et, si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. Cet intérêt commun implique que les obligations en question s’imposent à tout État partie à la Convention à l’égard de tous les autres États parties.La France l’a d’ailleurs à juste titre souligné dans sa déclaration d’intervention conjointe dans l’affaire Gambie contre le Myanmar.

La décision du 26 janvier 2024 doit également se lire à la lumière de la règle internationale (rappelée régulièrement par la Cour dans d’autres affaires et correspondant à l’un des piliers fondamentaux du régime de la responsabilité internationale des États) de l’interdiction de porter aide et assistance à une situation illicite.

Elle doit donc conduire tous les États membres de la communauté internationale, et tout particulièrement les États alliés d’Israël, d’une part, à agir afin de prévenir le génocide qui est plausiblement en train de se commettre dans la bande de Gaza et, d’autre part, à s’assurer que, d’une aucune façon, ils n’apportent aide et assistance à une situation plausible d’actes de génocide commis par les autorités israéliennes.

Cependant, notre association constate avec inquiétude que depuis le 26 janvier 2024, les autorités françaises ne semblent avoir revu, suspendu ou annulé aucun des partenariats évoqués.

Cette situation trouble profondément les membres de notre association (professeurs d’université, maîtres de conférences, directeurs de recherches qui représentent le savoir français dans l’hexagone et à l’étranger) pour plusieurs raisons.

Des raisons d’humanité tenant aux lois d’humanité, aux exigences de la conscience publique et aux principes du droit international humanitaire qui sont des normes impératives de jus cogens, au regard de la situation catastrophique en cours dans la bande de Gaza et qui empire compte tenu des nombreux obstacles auxquels l’aide humanitaire est confrontée.

Des raisons d’image de la France en Europe et dans le monde, notre pays et ses représentants (y compris ceux qui représentent le savoir français à l’étranger) apparaissant comme complices des crimes internationaux en cours dans la bande de Gaza.

Des raisons de cohérence morale, alors que des sanctions ont été prises à juste titre contre la Russie en raison des violations du droit international commises par cette dernière.

Mais surtout des raisons politiques et juridiques car la France, ses dirigeants, ses fonctionnaires mais également ses institutions et entreprises, et à travers eux leurs représentants, pourraient être mis en cause et avoir à rendre des comptes devant les institutions internationales et le cas échéant devant des juridictions nationales et internationales de cette situation de complicité.

Sur le plan politique, il ne fait pas de doute que la France et ses représentants risquent d’être mis en cause dans tous les forums internationaux où sont représentés les États du Sud et les ONG qui défendent les droits de l’homme et l’état de droit. Il en résultera un affaiblissement considérable de la portée et de la crédibilité de la voix de la France dans l’ensemble de ces forums.

Sur le plan juridique, dans un contexte où le crime de génocide est puni par le Statut de Rome et par la législation de la quasi-totalité des États membres de la communauté internationale, il est probable que des recours judiciaires seront engagés contre la France et ses institutions au titre de la responsabilité administrative et civile internationale et contre ses dirigeants et ses représentants au titre de la responsabilité pénale.

C’est pourquoi nous souhaitons que votre présidence passe en revue et dans les plus brefs délais l’ensemble des partenariats noués avec l’État d’Israël pour en revoir, suspendre ou annuler toute activité qui pourrait être analysée, interprétée ou vue comme une forme d’aide ou d’assistance aux actes plausibles de génocide en cours actuellement dans la bande de Gaza.

Notre association se tient à votre disposition pour échanger sur ce point et vous remercie pour l’attention que vous porterez à notre courrier et nos préoccupations.

Je vous prie d’agréer l’expression de ma haute et respectueuse considération

Ivar Ekeland

Président de l’AURDIP