La « protestation extrême » d’Aaron Bushnell, qui s’est immolé pour la Palestine à Washington

L’auto-immolation du militaire américain, le 25 février devant l’ambassade israélienne aux Etats-Unis, a eu un impact à ce stade limité. Elle s’inscrit dans un contexte de mobilisation persistante aux Etats-Unis contre le soutien jusqu’ici sans faille de l’administration Biden à Israël.

Les images de l’auto-immolation de Thich Quang Duc, le 11 juin 1963, au centre de Saigon, ont fait le tour du monde et restent encore vives dans la mémoire collective. Non seulement l’opinion internationale a été profondément impressionnée par une protestation aussi extrême contre la répression au Sud Vietnam, mais la dictature ainsi dénoncée n’a survécu que quelques mois au sacrifice de ce moine bouddhiste.

Aucune image n’existe en revanche de l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, dans le sud de la Tunisie. Ce marchand à la sauvette s’était vu confisquer toutes ses marchandises par la police locale et, après des démarches infructueuses pour les récupérer, s’était aspergé d’essence et transformé en torche humaine devant le siège de la préfecture.

Ses deux semaines d’agonie jusqu’à son décès avaient été marquées par la montée de la contestation révolutionnaire dans tout le pays, suivie du renversement du dictateur Ben Ali, en janvier 2011, puis de son homologue égyptien, Hosni Moubarak, le mois suivant.

« Je ne serai plus complice d’un génocide »

Autant ces deux auto-immolations ont eu des retombées politiques d’ampleur, autant l’écho du geste comparable d’Aaron Bushnell, le 25 février à Washington, semble relativement limité.

Ce jour-là, ce militaire américain de 25 ans enregistre en uniforme les dernières minutes de sa vie sur la très populaire plate-forme Twitch. Marchant devant l’ambassade d’Israël aux Etats-Unis, il déclare : « Je suis un membre actif de l’armée de l’air américaine et je ne serai plus complice d’un génocide. Je suis sur le point de m’engager dans un acte de protestation extrême, mais comparé à ce que les gens vivent en Palestine aux mains de leurs colonisateurs, ce n’est pas du tout extrême. C’est ce que notre classe dirigeante a jugé être normal. Libérez la Palestine. »

Il se déverse alors sur la tête une substance inflammable qu’il allume avec un briquet, tout en répétant avant de s’écrouler « Libérez la Palestine ». Les forces de l’ordre présentes sur place interviennent rapidement pour éteindre les flammes et évacuer Bushnell vers un hôpital où il meurt peu après.

Place mineure dans les médias américains

Les grands médias américains accordent une place mineure à cette auto-immolation, le 25 février, sans préciser dans leur titre les motivations pourtant explicites de Bushnell. Le Washington Post lui consacre, le lendemain, dans la rubrique « Délinquance locale et sécurité publique », un article intitulé « L’aviateur qui s’est auto-immolé avait grandi dans une communauté religieuse et avait un passé anarchiste ».

Le Pentagone déplore cet « événement tragique » et confirme que Bushnell, engagé dans l’armée américaine depuis mai 2020, servait comme spécialiste de cybersécurité dans une base aérienne de San Antonio, au Texas.

Des rassemblements pacifistes en son hommage sont organisés, dès le lendemain de sa mort, devant l’ambassade israélienne à Washington, puis dans d’autres villes américaines, notamment, le 27 février à New York, devant le bureau de recrutement de l’armée américaine sur Times Square. Trois mois plus tôt, une femme porteuse d’un drapeau palestinien, dont l’identité n’a pas été révélée, avait déjà tenté de s’immoler à l’entrée du consulat israélien à Atlanta et avait survécu malgré ses brûlures au troisième degré.

Le dilemme de Biden

Même si la « rotestation extrême » de Bushnell a eu un impact à ce stade limité, elle s’inscrit dans un contexte de mobilisation persistante aux Etats-Unis contre le soutien jusqu’ici sans faille de l’administration Biden à Israël. Plus de 70 villes ont appelé à un cessez-le-feu à Gaza, la plus importante d’entre elles, Chicago, reprenant même le texte d’un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU auquel la diplomatie américaine avait mis son veto.

Les manifestants dénoncent l’aide militaire massive, de l’ordre d’une quinzaine de milliards de dollars, apportée par leur pays à l’offensive israélienne, sans compter un appui multiforme en termes de renseignement et de logistique.

Ils fustigent les mensonges éhontés du président Biden lui-même, qui avait mis en doute l’ampleur des pertes humaines à Gaza et affirmé avoir vu des « images confirmées de terroristes décapitant des enfants », avant d’être démenti par sa propre administration. Près de la moitié des Américains de 18-29 ans (contre 21 % des plus de 65 ans) considèrent, en effet, qu’« Israël est en train de commettre un génocide contre les civils palestiniens », une proportion encore plus forte chez les jeunes démocrates.

Désaffection des jeunes et des minorités

Au surlendemain de l’auto-immolation de Bushnell, les primaires démocrates dans l’Etat-clé du Michigan ont révélé l’ampleur de la désaffection des jeunes et des minorités. Le maire musulman de Dearborn, une des dix villes les plus peuplées de l’Etat, a exprimé sa « crainte que l’on ne se souvienne pas de Biden comme du président qui a sauvé la démocratie en 2020, mais plutôt du président qui l’a sacrifiée pour Nétanyahou en 2024 ».

Plus de cent mille électeurs démocrates ont choisi le vote blanc de protestation, par refus d’endosser la candidature Biden; un sérieux avertissement dans un Etat qu’Hillary Clinton avait perdu en 2016 et que Biden n’avait regagné en 2020 qu’avec 150 000 voix d’avance.

Quant au premier ministre israélien, il mise ouvertement sur une prolongation de la guerre à Gaza, dans l’espoir d’une réélection de son indéfectible allié Donald Trump. C’est dire que Biden pourrait bien perdre sur les deux tableaux, alors que le conflit moyen-oriental n’a jamais eu de résonances aussi profondes dans la population américaine.

  • Photo: Une veillée et une manifestation sont organisées à New York, le 27 février, devant un centre de recrutement de l’armée américaine pour le jeune soldat Aaron Bushnell, qui s’est immolé par le feu devant l’ambassade d’Israël à Washington, le 25 février, dans un acte de protestation contre la guerre entre Israël et le Hamas. ADAM GRAY / REUTERS