La pression grandit pour faire annuler « la Saison France-Israël »

Cet article a été mis à jour depuis la publication initiale.

Les exigences s’accroissent pour faire annuler la Saison France-Israël 2018, série de centaines d’événements « culturels » soutenus par les deux gouvernements et prévus à partir du mois prochain.

C’est l’un des premiers signes majeurs de l’efficacité de la pression : le gouvernement français a annoncé mercredi que le premier ministre Edouard Philippe annulait son voyage pour ouvrir la Saison France-Israël.

Déjà plus de 10.000 personnes ont signé une pétition lancée cette semaine pour exhorter le président Emmanuel Macron à annuler la Saison France-Israël.

La pétition demande : « Comment pouvons-nous continuer comme si rien ne s’était passé ? Comme si des dizaines de jeunes gens n’avaient pas été assassinés avec préméditation ? Comme si des centaines de manifestants qui ne faisaient que réclamer leurs droits fondamentaux n’avaient pas été estropiés à vie ? Comme si le ghetto de Gaza ne courait pas le risque d’être tout simplement liquidé, avec la complicité active ou passive de la communauté internationale ? »

Cette pétition a été lancée avec le soutien de dizaines de militants et universitaires de France et du monde entier.

Au début du mois, 80 artistes français, dont le légendaire réalisateur de films Jean-Luc Godard, ont signé une lettre ouverte déclarant qu’ils refuseraient de prendre part à la Saison France-Israël parce qu’ils ne voulaient pas qu’on se serve d’eux comme s’ils participaient à une campagne de propagande du gouvernement israélien.

Propagande pour la marque Israël

Selon l’Institut Français, bras culturel du gouvernement français, parmi les parrains de la Saison France-Israël, il y a le bureau du premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu, le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Affaires stratégiques d’Israël.

Cette initiative utilise les thèmes familiers de la propagande de la Marque Israël, tels que présenter Israël comme une « nation start-up » et viser à « instaurer une nouvelle étape dans les relations économiques ».

Ses objectifs de messagerie publique sont explicitement de « rénover l’opinion des Français sur Israël et celui des Israéliens sur la France ».

Le ministère des Affaire Stratégiques est chargé de combattre le mouvement mondial croissant pour les droits des Palestiniens, y compris en mettant sur liste noire et en expulsant les défenseurs des droits de l’Homme et en interdisant des visiteurs étrangers.

L’année dernière par exemple, Israël a interdit d’entrée en Cisjordanie occupée des représentants élus français qui faisaient partie d’une délégation de solidarité avec les prisonniers politiques palestiniens.

Comme la Saison France-Israël doit se dérouler jusqu’en novembre, elle va aussi coïncider avec le premier anniversaire de la détention par Israël de Salah Hamouri, franco-palestinien défenseur des droits de l’Homme qui est incarcéré en Israël sans charges ni procès depuis le mois d’août dernier.

Le Premier ministre annule sa visite

Alors que le gouvernement français est resté inébranlable dans son refus de tenir Israël pour responsable de ses violations systématiques des droits des Palestiniens, des indices laissent percevoir qu’il ressent la pression.

D’après le journaliste chevronné du Moyen Orient Alain Gresh, il était prévu que le président Macron aille lui-même en Israël pour lancer la Saison France-Israël.

A sa place, le gouvernement français prévoit d’envoyer le premier ministre Edouard Philippe en Israël à la fin de ce mois pour ouvrir la Saison France-Israël, puis aller en Cisjordanie occupée pour rencontrer le chef de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas.

« L’entourage du premier ministre se demande s’il doit annuler ce voyage », a dit Gresh lundi au Muslim Post. « Abbas étant actuellement à l’hôpital, ce serait une bonne excuse pour annuler cette visite, qui serait incompréhensible après les massacres à Gaza. »

Gresh s’est révélé avoir vu juste : mercredi, le gouvernement a informé Israël que la visite de Philippe était ajournée indéfiniment, évoquant officiellement son programme de travail très chargé en France – excuse diplomatique.

Gresh a qualifié l’annulation de « bonne nouvelle ».

La politique des illusions

Gresh a déclaré que la politique de la France est « construite sur l’illusion d’un ‘équilibre’ entre deux parties égales, les Palestiniens et les Israéliens, comme s’il n’y avait pas des occupants et des occupés ». Cette illusion a été renforcée par les Accords d’Oslo au début des années 1990 qui, bien que morts depuis longtemps, continuent à servir de prétexte à la normalisation des relations avec Israël.

Selon Gresh, la France a constamment renforcé ses liens économiques, militaires et culturels avec Israël, « refusant d’exercer quelque pression que ce soit sur cet Etat ».

L’attachement inconditionnel de la France à Israël et sa réaction inoffensive à ses crimes reflète un problème plus large dans l’Union Européenne.

Mardi matin, l’UE a dit qu’elle « attend des autorités israéliennes qu’elles révoquent » leur récente décision d’expulser Omar Shakir, chef du bureau à Jérusalem de Human Rights Watch.

Mais comme d’habitude, cette déclaration ne menaçait Israël d’aucune conséquence et, exactement le même jour, les ambassadeurs de l’UE recevaient le président d’Israël à déjeuner.

Et les forces aériennes israéliennes annonçaient que, la semaine prochaine, elles recevraient les représentants des Etats Unis, du Brésil, d’Inde et d’un certain nombre de pays de l’UE, dont la France, pour une conférence destinée à « lier ces importants partenaires à l’État d’Israël » et à son armée.

Cette conférence comprendra des manœuvres mettant en valeur les forces et les technologies israéliennes utilisées pour occuper et tuer les Palestiniens.

Prêts à protester

Mais des signes de dissension progressent néanmoins en France.

On y trouve une déclaration particulièrement directe du député communiste Jean-Paul Lecoq à Yuli Edelstein, président du parlement israélien en visite à l’Assemblée Nationale française la semaine dernière.

Dénonçant le « blocus illégal » israélien sur Gaza, Lecoq a dit à Edelstein : « Vous êtes un Etat terroriste dans votre comportement » et a demandé l’annulation de la Saison France-Israël.

D’après Le Parisien, à quelques exceptions près, les députés qui participaient à cette séance avec Edelstein furent très critiques concernant l’attaque israélienne sur Gaza.

Le dissentiment en France arrive avec une vague de solidarité à travers l’Europe. Mardi, dans une action coordonnée, des dizaines de musiciens ont annoncé leur soutien au boycott culturel d’Israël en solidarité avec les Palestiniens.

Et des appels s’accumulent pour que le concours de chant de l’Eurovision de l’année prochaine ne se tienne pas en Israël, pays qui a remporté le droit de l’accueillir après la victoire cette année de Netta Barzilai.

Les organisateurs de l’Eurovision ont surpris les observateurs en disant mardi aux fans de ne pas réserver leurs billets d’avion pour Israël maintenant, les exhortant à attendre une annonce officielle « sur où et quand elle aura lieu ».

Alors que les organisateurs n’ont pas expliqué publiquement leur annonce, on dit que les responsables de l’Eurovision « n’ont pas du tout appprécié» les déclarations des leaders israéliens qui politisent le concours, selon les médias israéliens.

La pétition adressée à Macron exhorte le président à « envoyer un signal clair au gouvernement israélien en renonçant publiquement à la Saison France-Israël 2018 ».

« La société civile française sera incapable de voir se dérouler ces festivités sans faire connaître sa désapprobation », conclut la pétition.

Le 15 mai, des militants de la ville méridionale de Montpellier ont protesté contre un festival de danse, prévu comme faisant partie de la Saison France-Israël, en barbouillant les affiches de peinture rouge.

Le journal Le Figaro a reconnu lundi que le « calendrier de la Saison n’est pas optimal » et que beaucoup des lieux prévus pour héberger les événements qui en font partie « s’attendent à des manifestations à leur porte ».