La plus haute cour de justice du monde a confirmé ce que nous, Palestiniens, avons toujours su : les colonies d’Israël sont illégales

Cette décision met à nu la réalité de l’occupation israélienne. Agir selon elle va nous rapprocher de la paix.

Au cours des 57 années écoulées, les Palestiniens de Cisjordanie  comme moi, ont souffert de l’accroissement des colonies israéliennes sur notre terre, qui ont restreint notre propre développement et détruit la beauté naturelle du paysage. Nous n’avons pas ménagé nos efforts pour faire savoir comment cette agression était contraire à la législation locale et au droit international. Mais c’était comme crier dans le vent. Personne n’écoutait. Les défenseurs d’Israël, cependant, répandaient des justifications fallacieuses de l’action du pays, créant le doute dans beaucoup d’esprits sur la véracité de notre position.

Vendredi dernier, à La Haye, le plus haut tribunal du monde, la cour internationale de justice (CIJ) s’est prononcé sur ce sujet . Dans son avis consultatif auprès de l’ONU, établi à la demande de l’assemblée générale, la cour a déclaré que « les colonies israéliennes de Cisjordanie et de Jérusalem Est… ont été créées et sont maintenues en violation du droit international ». Mais le véritable coup de théâtre a été l’affirmation de la cour selon laquelle ce qui est exigé d’Israël est « l’évacuation de tous les colons des colonies existantes » et qu’il est également fait obligation « de fournir pleine réparation des dommages causés par ses actes internationalement répréhensibles à toutes les personnes naturellement ou légalement concernées ».  De cette façon, la cour a confirmé le principe bien établi selon lequel les violations du droit international ne deviennent pas caduques dans le temps et ne sont sujettes à aucun délai de prescription.

Depuis 25 ans, j’étudie le développement du langage juridique d’Israël en Cisjordanie. Avec l’organisation de défense des droits humains Al-Haq, j’ai suivi comment l’État israélien s’est étendu dans les territoires occupés en acquérant des terres qu’il fait enregistrer par l’Autorité Israélienne de la Terre. Nous avons été témoins du rétrécissement du territoire qui nous est accessible via un aménagement du territoire discriminatoire , qui a affecté les plus vastes zones aux colonies israéliennes. Au cours des années, l’accès à notre propre terre est devenu périlleux tandis que  la brutalité des colons , soutenue par l’armée israélienne, s’est accrue. Même garder les troupeaux ou cueillir les olives de nos oliveraies sont devenus des actes héroïques.

Le processus d’ancrage de l’occupation a progressé inexorablement depuis la prise du pouvoir par l’extrême droite qui a remplacé les autorités militaires chargées de la surveillance du territoire par des fonctionnaires civils .

La politique d’Israël a toujours été de faire de ses colonies des faits accomplis sur le terrain. Des faits dont il espérait qu’ils deviennent permanents, empêchant ainsi le retour des territoires aux Palestiniens et l’instauration d’un État palestinien sur place.  Ce n’est que la semaine dernière que le Parlement israélien a voté l’affirmation de son opposition  à la création d’un État palestinien « au cœur de la terre d’Israël » déclarant que cela « constituerait un danger existentiel pour l’État d’Israël ».

Il a aussi toujours été prévisible que placer des colonies illégales sur une terre appartenant aux Palestiniens accroitrait la violence. En fait, sous couvert de la guerre contre Gaza, il s’est produit une augmentation de la violence des colons  en Cisjordanie, où plus de 1 000 Palestiniens ont été contraints de fuir  leurs maisons depuis le début de la guerre.

Si de précédents gouvernements avaient quelque peu limité les abus, l’administration de droite – dominée par des colons extrémistes – encourage et provoque la violence des colons. Après une attaque de la sorte en 2023, le ministre israélien de la sécurité nationale a été jusqu’à  déclarer héros des colons soupçonnés de meurtres de Palestiniens en Cisjordanie.

La violence est utilisée par Israël comme justification de son maintien sur les territoires qu’il occupe. En ce sens, l’argument courant d’Israël pour garder le contrôle sur Gaza n’est pas nouveau. Au lendemain de la guerre de 2014 contre Gaza, Shimon Peres, connu pour son slogan « des colonies partout » quand il était ministre de la défense dans les années 1970, a dit lors d’une interview de la BBC : « L’abondance de tirs de roquettes du Hamas depuis Gaza au cours du mois dernier a rendu difficile de justifier un retrait de Cisjordanie dans le cadre d’un futur accord de paix avec les Palestiniens ».

Assez de dissimulation. Cette décision de la CIJ met à nu la réalité de l’occupation en tant qu’entreprise coloniale privant les Palestiniens de leur droit à l’autodétermination, qui exploite leurs terres et leurs ressources, qui les chasse de leur terre et ne leur laisse comme seule option que le travail mal payé en Israël, pour lequel ils endurent les situations les plus déplorables aux checkpoints sur leurs trajets domicile-travail. Tout cela ne s’est pas passé sans que persiste une résistance de la part des Palestiniens qui a pris de nombreuses formes au fil du temps, violente et non-violente. De nombreuses vie en ont payé le prix, dans une immense souffrance.

Mais, la prescription énoncée par la CIJ pour mettre fin à ce régime colonial – « évacuation » et « réparation » – est-elle réalisable ? Ce n’est pas une question juridique à laquelle la cour peut répondre mais une question politique.

Nombre d’arguments avancés contre la solution à deux États pour mettre fin au conflit renvoient à la présence apparemment inamovible d’un grand nombre de colons dans les territoires occupés. Israël est cependant capable d’absorber ces trois-quarts de million de colons. Au début des années 1990, il a pu installer environ un million de Juifs de l’ex-Union Soviétique qui ne parlaient pas hébreu et n’étaient pas familiers de la culture israélienne. A la différence de ces derniers, les colons parlent la langue et ont des emplois en Israël où ils sont toujours considérés comme des citoyens soumis à l’impôt sur le revenu. Le coût de la paix ne serait pas très lourd pour Israël.

En expliquant ce que sont des réparations complètes, la cour a affirmé qu’elles incluent la « restitution » et les « compensations ». La restitution, par exemple, « comporte l’obligation, pour Israël, de rendre la terre et d’autres propriétés immobilières, de même que les biens qui ont été saisis ». Quoi qu’il en soit, si cela devait prendre place, aucun montant de réparations ne pourrait compenser la façon dont Israël a détruit une grande partie du paysage palestinien, avec les villes qu’il a construites au milieu d’anciennes collines attrayantes en les reliant les unes aux autres par de larges autoroutes inappropriées à la géographie unique et fragile et avec le processus d’arrachage de milliers d’oliviers antiques.

Et cela ne compenserait pas non plus la douleur de ceux qui, privés de leurs terres, ont été forcés d’accepter de travailler à la construction des colonies elles-mêmes, établies sur la terre à eux volée. Ou la douleur de vivre sous un régime d’apartheid que nous tous avons dû supporter pendant de nombreuses décennies.

La cour a aussi affirmé l’aspect significatif de l’unité de la Cisjordanie, de Jérusalem Est et de la bande de Gaza. Elle a dit que les violations du droit international dans les territoires occupés concernent tous les États qui ont une « obligation de ne pas reconnaitre comme légale la situation dans les territoires palestiniens occupés  (TPO) et d’œuvrer via l’ONU pour mettre fin à l’occupation » et « de s’abstenir de relations contractuelles, de relations diplomatiques, de transactions économiques ou commerciales ou de relations basées sur des investissements avec Israël dans tous les cas où Israël prétend agir pour le compte des TPO ».  

Le 19 juillet, un communiqué de presse de l’ONU  a déclaré que le secrétaire général « transmettrait rapidement l’avis consultatif à l’assemblée générale qui avait demandé l’avis de la cour. C’est à l’assemblée générale de décider comment procéder en la matière ».

Nous, Palestiniens, allons surveiller étroitement comment le monde réagit. Le droit international va-t-il finalement prévaloir et servir à faire advenir une paix durable dans la région ?  

Raja Shehadeh est juriste et écrivain. Son dernier livre est intitulé Qu’est-ce qu’Israël redoute des Palestiniens ?