La Palestine comme métaphore

L’autorisation de manifester du 23 juillet et du 2 août 2014 ne doit pas nous faire oublier que le gouvernement français a interdit, avec les préfectures de police, les manifestations….

L’autorisation de manifester du 23 juillet et du 2 août 2014 ne doit pas nous faire oublier que le gouvernement français a interdit, avec les préfectures de police, les manifestations du 19 juillet (à Paris, Sarcelles et Nice) ainsi que celles du 26 juillet. Le Président de la République française, François Hollande, comme la plupart de ses prédécesseurs, en dépit de la position officielle de la France qui reprend les résolutions onusiennes en faveur d’une solution à deux Etats, palestinien et israélien, sur la base des frontières de 1967, affirme et affiche un parti pris idéologique en s’alignant sur la politique coloniale d’Israël et son discours selon lequel ce pays ne ferait que défendre son territoire et lutter contre le « terrorisme ». Et cela alors même que nous assistons au massacre des Palestiniens, car l’Etat d’Israël refuse toute limite que ce soit dans son appétence de territoire, ou dans sa brutalité. Cela rappelle amèrement l’invasion de Beyrouth en 1982. Ne se souvient-on pas avec douleur de ce qui s’est passé à Sabra et Chatila [1] ? Le gouvernement français a-t-il la mémoire si courte ? Celui-ci a bipolarisé le débat et a tenté d’imposer à la France entière sa propre vision du conflit. En agissant de la sorte, les responsables politiques ne souhaitaient pas entraver une importation du conflit – ils l’ont au contraire provoquée – mais censurer le point de vue palestinien. Il n’y a rien de pire que de museler la révolte d’une population. Par conséquent, nous ne pouvons que défendre, « le droit de Troie à réclamer sa part du récit ».

Au-delà, les choix du gouvernement ont privé certains Français, issus des classes sociales populaires en grande partie, et/ou originaires de ses anciennes colonies et protectorats, de leurs droits à exprimer leur soutien aux Palestiniens et leurs opinions politiques. Lorsque des drames se sont déroulés en France, et que l’on analyse ce soutien à la population palestinienne sous le même prisme de l’antisémitisme, c’est une offense à la « décence ordinaire » et un déni d’universalité. Il est certain que chacun, en son âme et conscience, peut soutenir la Palestine. La solidarité avec la Palestine est un fait de solidarité humaine, tout comme la solidarité avec les peuples congolais, birman, syrien, irakien, libyen, ou autres, mais c’est aussi une solidarité de classe. Il est important, pour le « précariat » français, de réintégrer cette solidarité alors que la théorie du « choc des civilisations » aspire à la briser pour ne percevoir que le prisme « ethnico-religieux». Durant la période des luttes de décolonisation, que Jean Genêt décrivait avec brio, il était clair que les Vietnamiens, les Algériens, les Palestiniens, les noirs américains ainsi que les mouvements contestataires européens luttaient contre la même logique de domination et d’exploitation.

Si l’on nous accuse de manquer d’objectivité, nous l’assumons car celle-ci n’est guère le fait des dominants ni même d’aucun pouvoir en place. La légitimité de la Palestine à obtenir un véritable Etat doté de souveraineté ne peut en aucun cas être remise en cause. Les Palestiniens n’ont pas à demander pardon d’exister et nous ne pouvons que saluer le courage qui leur donne la force de se révolter. Tout comme nous, citoyens français, ancrés ici et parfois ailleurs, issus d’un monde « diasporique » où les identités sont hybrides et multiples, mais où les processus de domination s’exportent comme toujours avec légèreté et facilité. Force est de constater que ces dernières années la politique étrangère de la France dans cette région du monde, mais aussi en Afrique, s’est « décomplexée » de son passé colonial.

Nous affirmons notre légitimité à prendre part au débat public et à nous emparer des sujets cruciaux. La politique internationale a pour vocation à s’inscrire naturellement dans le débat public et gagnerait à être mise à l’honneur lors des élections présidentielles et législatives. Il est aberrant que nous abandonnions des pans essentiels du débat démocratique à une vision exclusivement économique, géostratégique et euro-centrée [2]. Chaque génération a le devoir de prendre à bras le corps les problèmes politiques de son époque. Comme devraient le faire les écrivains et autres représentants : « Le rôle de l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent» [3].

La Palestine est le lieu du drame qui doit nous rappeler l’engagement de la génération d’après-guerre pour lutter contre l’aliénation coloniale et impérialiste. Elle nous rappelle également ce que cette génération n’a pas fait et ce qu’il nous reste à accomplir. Alors nous clamons :

Inscris

(Que) Nous sommes Arabes
Que nous n’avons pas de haine pour les hommes mais que
Si notre parole est muselée
Si la justice est ligotée et bafouée
Nous n’usons que de notre droit de s’indigner, de résister et de se révolter…

Poème de Mahmoud Darwich (1941–2008) Identité («Inscris ! Je suis arabe»).
En langue arabe, bitaqat hawiyyah (sajjil ! ana arabi) au sein du recueil Rameaux d’olivier (Awraq al-zaytun) datant de 1964.

Signataires :

Rocé, rappeur

Philipe Caubère, comédien

Mehdi Belhadj Kacem, philosophe

Fabrice Flippo, philosophe des sciences et technique

Bouga, animateur et rappeur

Serge Teyssot-Gay, guitariste

Alexis Ghosn, diplômé de Sciences Po Aix et chargé de projets dans un bureau de développement à Beyrouth

Emir Cherdouh, journaliste

Maître Madj, résistant culturel ex Assassin production

Asocial Club: Al, Casey, Dj Kozi, Prodige, Raafat, Virus, Tcho

Veust Lyricist, rappeur

Keuj, rappeur

Nacera Guénif, sociologue

Hanane Karimi, sociologue

Matthieu Longatte de « Bonjour Tristesse ».

Dj Hamdi

Alexandre Braud, avocat

D’ de Kabal, slameur

Escobar Macson, rappeur

Kohndo, rappeur

Madjid Messaoudene, militant associatif

Fatima Khemilat, doctorante en sociologie

Bam’s, artiste

Mokless, rappeur

Koma, rappeur

Sarah ***, diplômée de Sciences Po Strasbourg, titulaire d’un Master 2 Coopération et développement au Maghreb et au Moyen-Orient à Sciences Po Lyon

Alice de Mony Pajol, diplômée de Sciences Po Aix et de l’Inalco, travaille actuellement au Moyen-Orient

Maylis Konnecke, doctorante en sciences politiques et responsable des partenariats et des relations presse dans une maison d’édition à Beyrouth

Joël Ghazi, diplômé en affaires internationales de l’Université de Montréal et chargé de recherche dans une ONG à Beyrouth

Adrien Foulatier, doctorant en droit international

Almamy Kanouté, militant associatif

Rachid Id Yassine, sociologue et anthropologue

Stéphane Lavignotte, pasteur de la Mission populaire, président du mouvement du Christianisme social

Mohamed-Ali Adraoui, docteur en science politique, chercheur à l’Institut universitaire européen de Florence et enseignant à Sciences Po

Marie Lejeune, sociologue

Nadir Dendoune, journaliste

Sonia Dayan Herzbrun, philosophe

Philippe Edeb Piragi, anthropologue

[1] Du 16 au 18 septembre 1982, l’horreur s’est abattue dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth. Durant plus de 40 heures, des centaines de Palestiniens ont été décimés par des miliciens phalangistes libanais armés appuyés par les forces d’occupation israéliennes.

[2] Voir à ce propos la tribune ô combien pertinente de Régis Debray : « La France doit quitter l’OTAN », Monde Diplomatique, mars 2013.

[3] Albert Camus, Le discours de Suède, 1957.