Islam Idhair venait à peine de rentrer du travail, le 21 octobre 2023, lorsque le pire s’est produit.

Islam Idhair venait à peine de rentrer du travail, le 21 octobre 2023, lorsque le pire s’est produit.
« Quinze minutes après que je suis rentré, notre maison a été ciblée par un raid israélien. J’ai entendu l’explosion. Boum ! Boum ! J’ai levé la tête et j’ai vu le plafond s’effondrer. »
Après, le noir total.
« J’étais enterré. Je ne voyais rien. Je croyais que c’était fini. J’étais totalement conscient, mais je n’arrivais pas à respirer. J’ai commencé à manger du sable pour avoir un peu d’air. Une fois, deux fois, trois fois. À la quatrième fois, je n’arrivais plus à avaler le sable mélangé aux gravats, j’avais mal à la gorge. »
Dans la cour de l’Institut français d’Égypte, au Caire, Islam revoit chaque seconde de ce moment qu’il appelle miracle. Mais un miracle qui ne se partage pas. Car, ce jour-là, ses quatre enfants et son neveu ont perdu la vie, étouffés sous les décombres.
« Je me souviens d’avoir senti quelqu’un me saisir la main qui dépassait des décombres. “Elle bouge !” Alors, les gens se sont mis à creuser, creuser, creuser. Quand j’ai vu les rayons du soleil,je les ai entendus me dire : “Tu es encore vivant, Islam. Ce n’est pas un rêve. Allez, résiste.” »
Islam avait des blessures partout sur le corps et saignait abondamment.
« Je suis allé à l’hôpital. Ma femme, Heba, aussi. Je n’arrêtais pas de poser la question “Où sont mes enfants ?”. Personne ne me répondait. Et puis après, un par un, mes enfants sont arrivés. »
L’émotion est encore vive, la gorge d’Islam se serre.
« Aws, le plus jeune, qui avait 5 ans, est arrivé. Les médecins sont venus me voir : “On est désolés, Islam, il est mort.” »
Islam Idhair sourit d’ordinaire beaucoup derrière ses lunettes, qui lui donnent un petit air intello. Cette fois, le sourire s’éteint. Les larmes lui montent aux yeux. Il s’interrompt, respire un coup et reprend son récit.
« Puis Andalus est arrivée, même chose : “morte”. Puis Eman, 12 ans, “morte”. Un par un… et puis à la fin, Ayman. Jusqu’à maintenant, je n’arrive pas à décrire mes sentiments quand je les ai vus arriver un par un à l’hôpital. Mais morts. »
Molière, Camus, Zola
Journaliste francophone, cofondateur du site Gaza en français et de la chaîne YouTube Gaza la vie, Islam Idhair travaillait avant la guerre pour de nombreux médias francophones à Gaza.
« Le français et moi, c’est une longue histoire, parce que moi, je n’aime pas la langue française, j’adore la langue française. Quand on vit dans la bande de Gaza sous le blocus, on est dans une prison à ciel ouvert. Alors, pour moi, la langue française, c’était une fenêtre sur la liberté. », raconte-t-il aujourd’hui.
Islam a commencé son apprentissage du français en 2004, à l’Université el-Aqsa, sous la direction du professeur Ziad Medoukh, une personnalité très connue à Gaza, professeur, mais aussi écrivain et poète.
À cette période, il lit beaucoup, notamment les classiques de la littérature française. Molière pour la comédie. Il cite aussi Camus, Balzac ou encore Zola.
« Beaucoup d’amis francophones m’ont appelé après le 21 octobre. Ils m’ont dit : “Islam, tu n’es pas seul. Tu as perdu beaucoup, mais il te reste beaucoup. Tu as trois trésors. Ton épouse, ta langue française et tes amis francophones.” »
Pas question pour lui, alors, de baisser les bras, de refuser cette vie nouvelle qui s’offre à lui, loin de la terre qui l’a vu naître.
Photo: Photo fournie par Islam IdhairLa maison d’Islam Idhair après les bombardements
« Casser le cercle de la violence »
Il quitte Gaza avec son épouse et s’installe au Caire. Grâce à ses relations dans les médias français, il se fait parrainer par un centre de formation pour journalistes, L’Onde porteuse, qui lui propose un emploi et un logement en France, à Clermont-Ferrand. La demande de visa a été déposée.
Quelle est cette énergie qui le guide, malgré les cauchemars incessants et les douleurs à la tête ? Malgré aussi la santé mentale chancelante de Heba, une mère et une femme brisée qui ne veut plus entendre parler de la vie. Pour l’instant.
Heba est plongée dans le deuil. Elle apprend le français pour s’accrocher à quelque chose et préparer l’après. Islam aimerait d’autres enfants, mais Heba n’est pas prête.
« J’ai peut-être perdu mes quatre enfants, mais je n’ai pas perdu l’espoir. C’est l’espoir qui m’encourage à continuer ma vie. J’ai l’espoir de reconstruire ma vie, de ravoir des enfants, de repenser à une autre vie », répond-il en insistant sur le « re » quand on lui parle du futur.
Et surtout, ne lui parlez pas de vengeance, même s’il en aurait gros à dire sur le blocus et sur les intentions d’Israël concernant Gaza comme la Cisjordanie.
« À quoi ça sert ? Est-ce que mes enfants reviendront ? Non. Au contraire, il y aura d’autres mères et d’autres pères qui auront les mêmes blessures que les miennes. On a besoin de gens qui cassent le cercle de la violence, qui parlent de la paix plus que de la guerre, de la tolérance plus que de la provocation. »
Pour Islam, il n’y a qu’une option qui vaille : la paix, « la paix juste ».
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.