La diplomatie française contrariée par les choix de Macron sur le Proche-Orient

Le positionnement adopté par le chef de l’Etat sur la guerre entre Israël et le Hamas, parfois sans concertation avec le Quai d’Orsay, suscite un malaise dans les rangs du ministère, alors que doit s’ouvrir, jeudi, une conférence humanitaire sur Gaza, à l’Elysée.

Les crispations sont discrètes, jamais exprimées ouvertement, mais bien réelles. Le positionnement d’Emmanuel Macron dans la guerre entre Israël et le Hamas suscite de l’agacement, voire de vives réserves, au sein de l’appareil diplomatique français. Alors que doit se tenir, jeudi 9 novembre, à l’Elysée, une « conférence humanitaire sur Gaza », lors de laquelle le chef de l’Etat entend afficher une forme d’équilibre entre les belligérants, sa gestion du conflit depuis les attaques du Hamas, le 7 octobre, suscite un vrai malaise parmi une partie des diplomates, sous pression depuis une semaine pour organiser l’événement.

Parmi les plus critiques figurent les personnels de la direction de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO), la plus en contact avec les pays de la région, et souvent surnommée la « rue arabe » au sein du Quai d’Orsay. Leur frustration est d’autant plus vive que le conflit alimente en interne le clivage traditionnel avec les tenants d’une ligne très atlantiste, et pro-israélienne. Mais la fronde va au-delà. Plusieurs dizaines de diplomates s’inquiètent du soutien sans nuance à Israël. Ils redoutent un impact profond sur l’image et la sécurité de la France dans les années à venir, et appellent à un cessez-le-feu immédiat. Certains auraient même imaginé de rédiger une note collective à leur ministre, Catherine Colonna. Depuis le 7 octobre, cette dernière a été dépêchée à deux reprises dans la région, puis au siège des Nations unies, à New York, mais reste quasi inaudible.

« On s’oppose à ce qui s’apparente à un alignement sur Israël, mais nous n’avons pas moyen de le faire savoir. II est absurde de ne pas appeler à un cessez-le-feu. Un cessez-le-feu n’est pas une trêve humanitaire, résume un diplomate. Ce qui se passe maintenant aura un impact énorme, pendant des dizaines d’années, sur l’image et la sécurité de la France. Les gagnants sont la Russie et la Turquie. Tout est lié au problème du cessez-le-feu : la France donne une caution morale et politique à Nétanyahou dans sa conduite de la guerre. »

Israël pas invité

A la veille de la conférence sur Gaza, M. Macron et les officiels français ont d’ailleurs fort à faire pour convaincre de l’opportunité d’un tel événement, alors qu’Israël refuse toujours toute idée de cessez-le-feu, voire de pause humanitaire, dans les combats engagés dans la bande de Gaza – qui ont fait plus de 10 300 morts selon le bilan du ministère de la santé de l’enclave contrôlée par le Hamas. La liste des participants n’a été bouclée qu’à la dernière minute.

Si aucun d’eux ne sera à Paris, M. Macron s’est entretenu mardi avec le dirigeant égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani et le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Il cherche à obtenir des résultats tangibles, jeudi, en présence de quelque quatre-vingts Etats et organisations internationales représentés aux côtés de l’Autorité palestinienne. Israël n’a pas été invité mais sera tenu informé des discussions. « Il s’agit de mobiliser l’ensemble de la communauté internationale pour répondre à l’urgence », indique l’Elysée. Les Nations unies ont chiffré à près de 1,2 milliard de dollars, les besoins de la population civile dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.

Le récent voyage du président français dans la région, afin de soutenir le « droit à se défendre » de l’Etat hébreu après les attaques terroristes du Hamas, lui a donné l’occasion de tenter de recentrer son discours auprès de ses interlocuteurs arabes, en Cisjordanie, en Jordanie puis en Egypte. Mais, pour une partie des personnels du Quai, la tournée a été plus que ternie par la proposition faite aux côtés de Benyamin Netanyahou, de créer une « coalition internationale » pour combattre le Hamas, sur le modèle de celle mise en place depuis 2014 contre l’organisation Etat islamique, sous l’égide des Etats-Unis. Le ministère des affaires étrangères n’avait pas été consulté.

« L’affaire de la coalition est un élément qui a consterné mes jeunes collègues », rapporte un vétéran de la diplomatie française au Proche-Orient, qui relève en interne des «< interrogations sur la politique menée, en dépit d’une forme de rééquilibrage lors du récent voyage ».

Façon de rétropédaler

« Le président jupitérien a sorti son idée, sans consulter son administration, au point de décrédibiliser la diplomatie française, les « troupes » n’ont pas apprécié même si elles savent combien elles sont marginalisées depuis le début de la présidence Macron », cingle Yves Aubin de La Messuzière, ancien ambassadeur dans la région et ancien directeur ANMO. « Cet épisode, poursuit-il, me rappelle son voyage au Liban, en août 2020, après l’explosion dans le port de Beyrouth, lorsqu’il a présenté sans avoir peur du ridicule son plan pour régler la crise politique en supprimant le confessionnalisme. »

Cette fois, le chef de l’Etat a été très vite contraint de rectifier son projet de « coalition », en raison de l’opposition qu’il suscitait auprès de ses interlocuteurs, en particulier arabes – pour qui le Hamas reste un mouvement de résistance à Israël. Au deuxième jour de son voyage, il lui a substitué un triptyque : lutte contre le terrorisme en général, aide humanitaire et reprise de discussions politiques, en vue de relancer la « solution à deux Etats ». Une façon de rétropédaler avant même la fin de la tournée régionale.

Depuis, l’Elysée met la pression pour donner de la substance à ces différents volets : « C’est une sorte d’avalanche d’initiatives autour des trois piliers conçus au fil de la visite en Israël, qui met à rude épreuve les fonctionnaires du Quai auxquels on demande d’avoir des idées nouvelles sur le processus politique ou la lutte contre le terrorisme…, constate un autre diplomate. Dans ce contexte, le non-appel à un cessez-le-feu suscite une vraie inquiétude, car plus on s’enferme dans cette position prudente, plus on perd des partenaires dans les pays du Sud, pas seulement arabes. » Il conclut : « La cause palestinienne est vraiment l’étalon de la duplicité occidentale pour les capitales des pays émergents ou en développement. »