La CUNY répond au militantisme BDS sur les campus par une mesure visant à contrôler la liberté d’expression

La Cité universitaire de New York (CUNY), l’un des plus importants systèmes de facultés publiques, propose une politique qui vise à réglementer la liberté d’expression. Pour l’étudiante de troisième cycle….

La Cité universitaire de New York (CUNY), l’un des plus importants systèmes de facultés publiques, propose une politique qui vise à réglementer la liberté d’expression. Pour l’étudiante de troisième cycle de l’École de droit, et co-présidente de la National Lawyers Guild (Association nationale des avocats), Suzanne Adely, c’est le militantisme de la solidarité palestinienne qui, pour une part, provoque cette proposition.

« Nous sommes convaincus que la raison pour laquelle cette politique a été conçue en 2013 et réintroduite en 2016 a beaucoup à voir avec la pression qui fut exercée par les institutions et les politiciens qui cherchent à réduire au silence la moindre critique d’Israël sur les campus », soutient Adely.

Cet exemple est l’un des nombreux – comme d’annuler des conférenciers et manifester contre des projections – qu’on a pu voir dans tout le pays, avec des administrateurs de facultés se démenant pour trouver une réponse appropriée aux manifestations des étudiants. Même certains professeurs sont inquiets. Pour eux, il s’agit d’une attaque contre la liberté de parole et d’expression.

La proposition veut établir officiellement une politique fixant ce qui constitue la liberté d’expression, et non seulement interdire les perturbations contre les personnes, mais aussi sur les vingt-quatre campus de la CUNY. Parmi ce qu’elle interdit, se trouvent les dommages physiques, empêcher un orateur de s’exprimer, occuper des bâtiments publics, harceler, et provoquer des bruits importants qui affectent « les fonctions ou activités, programmées ou habituelles, de l’université ».

Cette tentative visant à réglementer l’expression sur les campus de la CUNY intervient des semaines après la signature par le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, d’un décret qui pourrait avoir un impact négatif sur le financement de l’université. Le décret du gouverneur institue une liste noire des entreprises et institutions qui soutiennent le mouvement de boycott, désinvestissement et sanction (BDS) contre Israël, et il requiert de l’État de mettre fin à ses investissements dans lesdites entités.

Adely déclara devant le Conseil d’administration que les avocats pourraient remettre en cause avec succès la proposition de l’université sur la base de la Constitution. De nombreux étudiants, professeurs et membres du personnel s’opposèrent à la mesure, la jugeant comme contraire à la liberté d’expression. Une pétition fut lancée à l’attention des responsables de la CUNY, tel le chancelier James Millliken, pour que soit retirée cette politique de tout examen. Au 11 juillet, 509 personnes l’avaient signée.

Le Conseil des étudiants en doctorat (DSC), qui représente les étudiants de troisième cycle et ceux en doctorat au Centre des étudiants de troisième cycle de la CUNY, s’opposa immédiatement à la mesure après l’audience.

Hamad Sindhi, co-président des communications pour le DSC, a déclaré à Shadowproof que les organisations en avaient eu d’abord connaissance fin mai, par le Sénat des étudiants de l’université (USS), l’organe dirigeant de l’inter-campus de la CUNY. Il s’inquiétait dès lors de ce que, si elle était adoptée, elle limiterait la liberté d’expression à l’université.

« Nous sommes préoccupés par les implications qu’aurait la politique proposée, ainsi que par le processus, secret et antidémocratique, par lequel la politique proposée nous serait imposée par un vote au cours de l’été, alors que les professeurs et les étudiants sont en congés », dit-il.

Sindhi notait aussi que ce n’était pas la première fois que cette politique était mise en avant – une proposition similaire a été faite en 2013 et qui a été « explicitement rejetée par plusieurs organes de gouvernance et groupes d’étudiants de la CUNY ».

Quelques jours avant la tenue de l’audience publique sur cette politique, le 20 juin, la CUNY en supprima les articles qui créaient des zones désignées sur les campus pour les manifestations. Malgré cela, beaucoup restèrent farouchement opposés à la proposition.

Le jour de l’audience, l’université organisa une audience ouverte au public du Hostos Community College, avant celle où le conseil d’administration de la CUNY devait voter la politique, le 27 juin. Les dirigeants de la CUNY, du chancelier James Milliken à de nombreux administrateurs, assistèrent à cette audience.

Frederick Shaffer, conseiller général de la CUNY et premier vice-chancelier pour les affaires juridiques, intervint en premier et défendit la politique, disant qu’elle ne limitait pas l’expression. Au contraire, qu’elle allait instaurer officiellement une politique sur ce qu’est la liberté d’expression à la CUNY. En outre, il souligna comment la politique incluait la contribution des professeurs et des membres du personnel lors de sa création.

« Nous n’avons eu, pendant de nombreuses décennies, aucune politique sur la liberté d’expression », dit-il. « À un moment où beaucoup de gens, à travers le pays, demandent la limitation de la liberté d’expression, sur la base de ce que certains appellent des points de vue choquants, le chancelier a pensé qu’il était extrêmement important de développer et de présenter au Conseil une politique qui établirait clairement… que la liberté d’expression ne connaît pas de point de vue ».

Néanmoins, la plupart des orateurs restèrent profondément opposés à la politique qu’ils considéraient comme nocive. Liza Shapiro, qui lança la pétition, professeur à l’Hunter College, exprima son désaccord avec l’affirmation de Shaffer selon laquelle les professeurs et le personnel avaient travaillé à cette politique. Malgré la liaison du DSC avec le Sénat de la faculté, elle rappela que jamais cette politique n’avait été abordée lors des séances plénières au cours de l’année passée. En outre, elle affirma que l’USS avait reçu la politique le 26 mai, et que le délai était insuffisant pour la commenter.

« Je voudrais ajouter également que la politique proposée cible de façon flagrante les moyens de manifester qui ont été, avec succès, utilisés par la plupart des mouvements qui agissent pour la justice sociale, tels que les Black Lives Matter (Les vies noires comptent). Alors que la majorité des étudiants de la CUNY sont des étudiants de couleur, de la classe pauvre et de la classe ouvrière, cela est particulièrement scandaleux », dit-elle.

Certains intervenants furent en désaccord avec d’autres articles de la proposition. Robert Farrell, professeur au Lehman College dans le Bronx, en cita un dans le document qui permet aux administrateurs de laisser les journalistes parler avec les professeurs et les personnels dans des zones désignées où la personne interviewée a autorité ou l’autorisation. L’article interdit aussi aux journalistes d’entrer dans des « zones non publiques » telles que les bibliothèques et les salles de cours. La faculté aurait le droit de refouler les journalistes s’ils « interféraient avec les opérations normales de la faculté ».

« Mettre en avant une telle condition n’est pas simplement une tentative de limiter la liberté d’expression et la presse libre, (mais c’est aussi) tout simplement mauvais, et personnellement, je ne veux pas que la CUNY apparaisse comme le Donald Trump de l’enseignement supérieur », déclara Farrel au Conseil.

Certains membres du Congrès des professionnels (PSC), syndicat qui représente plus de 25 000 professeurs et membres du personnel, furent également présents. Le PSC a récemment conclu un accord avec la CUNY après six années de négociations. Mais le PSC ne soutient pas la dernière idée du CUNY.

« Je trouve choquant qu’après avoir été incapable pendant six ans de produire une offre équitable, économique, pour les employés syndiqués, la nouvelle action du conseil d’administration consiste à limiter la parole, les manifestations et l’expression » déclara la présidente du PSC, Barbara Bowen.

Leon Campbell, étudiant du Hunter College, dit au Conseil que la proposition n’arrêterait pas les militants dans leur organisation. Plus tard, il expliqua à Shadowproff qu’il ne partageait pas les soucis de la CUNY concernant le militantisme à l’échelle nationale.

« Les étudiants ont beaucoup de liberté (à l’université), en un certain sens. Si vous vous mettez à les priver de cette petite liberté – et vous utilisez cet endroit pour créer notre société future -, alors, cela aura des implications épouvantables », dit Campbell.

Quelques jours après l’audience, l’université annonça qu’elle repoussait le vote sur la politique. Tant le chancelier que le président du Conseil d’administration « avaient décidé qu’il y aurait une nouvelle consultation et discussion » avant le vote sur la politique, après l’audience du 20 juin. Par conséquent, elle n’a pas été votée le 27 juin.

La CUNY et le sénat de l’université n’ont pas répondu aux questions posées par Shadowproof.