Cela fait aujourd’hui dix ans que la Cour Internationale de Justice déclarait illégale la construction d’un mur dit « de séparation » en territoire palestinien occupé. Non seulement cette décision n’a pas….
Cela fait aujourd’hui dix ans que la Cour Internationale de Justice déclarait illégale la construction d’un mur dit « de séparation » en territoire palestinien occupé. Non seulement cette décision n’a pas été suivie d’effets, non seulement le gouvernement israélien n’a tenu aucun compte de ce qu’énonçait une instance internationale de juridiction, mais la colonisation de la Palestine n’a fait que progresser, avec son lot de violences, de destructions, de souffrances et de morts.
Aujourd’hui, après des semaines d’escalade de ce qui a pris ouvertement le visage d’une violence raciste qui n’épargne même pas les enfants, après la destruction de maisons à Hébron, à titre de punition collective alors que les auteurs de l’enlèvement et du meurtre de trois jeunes Israéliens auraient dû être traduits devant un tribunal pour y être jugés une fois leur culpabilité avérée, les bombes tombent à nouveau sur Gaza, et les morts se comptent déjà par dizaines, sans compter les centaines de blessés.
L’AURDIP qui n’a cessé de réclamer le respect du droit international vis à vis des Palestiniens, condamne fermement cette agression et ce déferlement de violence ainsi que l’impunité dont bénéficie Israël. La communauté internationale, dans toutes ses composantes, doit exiger que l’État d’Israël mette fin à sa politique coloniale et à ses violations maintenant permanentes des droits humains les plus fondamentaux, ainsi que du droit international.
Sonia Dayan-Herzbrun, Professeure émérite à l’université Paris-Diderot, vice-présidente de l’AURDIP
La Cour internationale de justice, combien de divisions ?
(Tribune publiée dans La Croix du 9 juillet 2014)
Par Ivar Ekeland, ancien président de l’université Paris-Dauphine, président de l’association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine, Joseph Oesterlé, professeur à l’université Pierre et Marie Curie, ancien directeur de l’institut Henri Poincaré, Laurent Sermet, professeur à l’université de l’île de La Réunion, Ghislain Poissonnier, magistrat, Antoine Comte, avocat.
En 2002, le gouvernement israélien décidait la construction d’un « mur de séparation » en vue, selon lui, de prévenir toute intrusion palestinienne sur son sol. Très vite, il est apparu que ce mur serait érigé sur les territoires palestiniens conquis en 1967. Le tracé ingénieux passe entre les villages palestiniens et leurs champs, si bien qu’un dixième de la Cisjordanie se trouve séparé de sa population et annexé à Israël. Le tracé permet en outre d’inclure une partie des colonies israéliennes de peuplement et de contribuer au contrôle militaire de la population palestinienne. Cette situation, apparente dès 2003, devait conduire l’Assemblée Générale des Nations Unies à demander à la Cour internationale de justice un avis consultatif sur les conséquences juridiques de la construction de ce mur. La Cour de La Haye rendit son avis le 9 Juillet 2004.
L’attention, à l’époque, s’est surtout portée sur la condamnation non équivoque d’Israël. La Cour déclare que « l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, construit dans le territoire palestinien occupé, est contraire au droit international », tout comme les colonies israéliennes. Israël doit donc, dit la Cour, démanteler immédiatement la portion du mur (environ 85%) construite sur le territoire palestinien et réparer tous les dommages causés.
C’est peu de dire qu’Israël a totalement ignoré l’avis rendu. Le mur a été construit sur le tracé prévu, et tout a été fait pour le rendre infranchissable pour les Palestiniens et inexistant pour les colons. Les colonies de peuplement ont connu une expansion sans précédent : près de 600.000 colons sont désormais installés à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, sur des terres dont les Palestiniens ont été expropriés.
Certains pensent : « C’est le droit international ! Il reste largement inappliqué car il n’existe pas de police en assurant le respect : la Cour internationale de justice, combien de divisions ? ». Et voilà où la position de la Cour est intéressante. Dans la deuxième partie de son avis de 2004, elle fait porter à la communauté internationale la responsabilité de faire respecter le droit. Tous les Etats sont dans l’obligation de « ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur » ; « ne pas prêter aide ou assistance » à cette situation ; et « faire respecter par Israël le droit international ».
Ainsi, les « divisions » de la Cour sont constituées des Etats et de leur volonté d’agir pour obtenir le respect du droit international. Jusqu’à présent, la France n’a guère montré d’enthousiasme pour contraindre Israël à faire quoi que ce soit. Aucune pression n’a été exercée et nombreux sont les responsables politiques français à rivaliser d’initiatives pour approfondir la relation franco-israélienne, sans exiger en contrepartie le respect du droit international. Pire encore, notre pays est même le seul au monde où les mesures non-violentes de contrainte, comme le boycott citoyen des produits israéliens, sont poursuivies devant les tribunaux.
Il est de plus en plus apparent, et l’avis de la Cour vient nous le rappeler, que celui qui ferme les yeux, à la longue, se rend complice. La France ne devrait prêter aucune forme d’« aide ou assistance » à la situation illégale créée par Israël. Cependant, par son attitude actuelle, elle renforce la viabilité économique et démographique des colonies israéliennes.
Elle se rend ainsi complice quand elle autorise l’importation de produits fabriqués et de denrées agricoles récoltées dans les colonies. Complice quand elle laisse les entreprises françaises exercer des activités dans ces colonies ou posséder des participations dans des sociétés israéliennes qui participent à la colonisation. Complice aussi quand elle permet que des activités de coopération, de recherche ou d’enseignement soient conclues avec des institutions israéliennes impliquées dans la colonisation. Complice encore quand elle autorise les transactions financières depuis la France vers les colonies ou quand elle laisse des entreprises israéliennes impliquées dans la colonisation candidater à des marchés publics français. Complice enfin quand elle ne cherche pas à prévenir l’installation de franco-israéliens dans les colonies ou quand elle n’engage pas de poursuites pénales contre ceux d’entre eux qui commettent des actes violents contre les Palestiniens.
Tout récemment, sur le site du ministère des affaires étrangères, une information peu lisible précise que les activités d’entreprises françaises dans les colonies sont à déconseiller. C’est un petit pas à noter mais qui reste très insuffisant. Dix ans après un avis resté sans suite, nous appelons les pouvoirs publics français à un sursaut. Il est urgent que des mesures législatives et réglementaires soient prises afin que la France ne soit plus complice de ce mur d’annexion et de la colonisation.