Ilan Pappe, l’historien israélien qui ne mâche pas ses mots, a porté des critiques contre une université italienne qui, succombant à une « intimidation sioniste », a annulé un débat….
Ilan Pappe, l’historien israélien qui ne mâche pas ses mots, a porté des critiques contre une université italienne qui, succombant à une « intimidation sioniste », a annulé un débat auquel il devait participer.
Quelques jours avant le 16 février, date prévue du débat, l’université de Rome III a interdit aux organisateurs d’utiliser pour leur débat son prestigieux Centre pour les Études italiennes et françaises. L’événement – portant sur l’usage et l’abus de l’identité en Europe et au Moyen-Orient – a pu avoir lieu, mais dans un autre endroit.
Cette annulation à la dernière minute est un cas de plus de musellement à titre préventif par une institution d’enseignement supérieur. « Il est très inquiétant de voir comment la liberté d’expression est encadrée en Europe, » a déclaré Pappe à The Electronic Intifada. « Ridiculiser le prophète Mahomet dans une caricature est un test décisif pour une société qui chérit la liberté d’expression ; cependant, un franc débat sur Israël et la Palestine est rejeté en tant qu’incitation ».
Les premières raisons avancées par l’université faisaient allusion à des « erreurs de procédure ». Pappe a estimé que ce prétexte était encore plus sinistre.
« Personne ne peut réellement dire qu’il refuse un débat sur la Palestine, alors ce sont des problèmes techniques qui sont habituellement mis en avant par les hôtes potentiels de tels événements, pendant que les lobbys sionistes se réjouissent plus ouvertement pour avoir à nouveau réussi à réduire au silence un débat sur la politique d’Israël en Palestine, » a déclaré Pappe, lequel est le mieux placé pour informer sur la façon dont les forces sionistes ont déraciné 800 000 Palestiniens et détruit plus de 500 villages palestiniens en 1948.
Et de fait, un site pro-Israël, Informazione Corretta, a crié victoire, déclarant que grâce à « des amis à Rome », le lieu de débat avait été refusé en raison de protestations pour sa proximité avec le quartier juif de la ville.
L’université succombe à « l’intimidation »
Dans un courriel à The Electronic Intifada, le bureau de presse de l’université de Rome III a affirmé que l’université n’avait pas refusé d’accueillir l’événement, car un lieu alternatif avait été proposé.
Les organisateurs, cependant, ont été prompts à souligner que ce lieu alternatif était totalement inadapté, un espace mal équipé réservé à des spectacles de danse, et proposé pour couvrir une annulation de dernière minute. Ce qui fut de loin le plus inquiétant, disent-ils, ce sont les tentatives de l’université pour délégitimer le débat, nous refusant l’utilisation de ses logos et retirant l’événement de son site.
L’annonce initiale de l’événement par l’université est toujours visible via Google cache.
Pour Pappe, qui a expérimenté ces tentatives de censure dans de nombreux pays, « Les mauvais esprits ne nous quittent pas : encore un institut respectable de l’enseignement supérieur en Europe qui succombe à l’intimidation et au terrorisme sionistes ».
Mais la tentative du lobby sioniste de faire taire les critiques n’a pas réussi. Le nouveau lieu a fait salle comble, alors que c’était une salle d’écoute de dernière minute, proposant « d’écouter un débat ouvert, dans lequel la Palestine fut une question dans un débat plus large sur le pouvoir et la connaissance, » a dit Pappe.
Il a également mis à nu la lâcheté de l’université qui se soucie plus des groupes de pression extérieurs que de sa propre réputation, de son indépendance et de ses obligations sociétales.
Comme l’a noté Pappe, « La lutte ici est par conséquent non seulement pour le droit de faire connaître la situation difficile des Palestiniens, mais aussi pour que le monde universitaire cesse de capituler honteusement devant le pouvoir en place et pour qu’il remplisse courageusement le rôle pour lequel il est payé : celui de chiens de garde de la société et non de chiots des gouvernements ».
Une lettre ouverte a été lancée par les organisateurs, et signée par Pappe, qui exprime l’indignation devant une université qui fuit ses responsabilités qui sont de multiplier « les occasions pour les débats qui promeuvent la pensée critique, » et non de les censurer.
La lettre appelle aussi « les communautés universitaires dans le monde à s’opposer à l’utilisation sélective des principes de la liberté d’expression et de la liberté universitaire ». La lettre a été publiée dimanche et elle a très vite recueilli plus d’une centaine de signatures d’universitaires dans le monde entier.
Réduire la Palestine au silence dans toute l’Italie
Ce n’est là qu’un exemple dans la tendance inquiétante aux tentatives de faire cesser les débats sur les droits et l’histoire des Palestiniens dans les lieux publics en Italie, et dans la tendance plus alarmante encore des autorités à succomber à la pression et à des accusations infondées.
Le 27 février, l’université La Sapienza à Rome a annulé son autorisation de projeter le documentaire The Fading Valley (Comment disparaît une vallée) par le réalisateur israélien Irit Gal. Le film traite des questions de l’eau dans la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée.
Le comité No Acea Mekorot milite pour faire cesser un accord entre Acea, l’entreprise publique de l’eau à Rome, et Mekorot, l’entreprise nationale de l’eau en Israël, en raison du vol des ressources aquifères palestiniennes. Le groupe affirme dans un communiqué de presse que l’annulation de la projection du film fait suite à un appel téléphonique de l’ambassade israélienne et à des objections de plusieurs étudiants, après lesquels le doyen a retiré l’autorisation d’utiliser les installations de l’université.
« Il est inacceptable que l’ambassade israélienne intervienne dans les décisions des universités italiennes, » dit le comité. « Pire encore est la façon déshonorante et honteuse avec laquelle les institutions universitaires italiennes cèdent à ses diktats ».
Négation de l’histoire palestinienne
À Turin, en novembre dernier, quelques jours après l’ouverture au Musée de la Résistance d’une exposition présentant des photos des archives numérisées de l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine, les démarches commençaient pour la faire fermer.
Les archives sont répertoriées dans le registre de la Mémoire du Monde, géré par l’Unesco, organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture.
La communauté juive de Turin a menacé de retirer son adhésion organisationnelle au musée si l’exposition n’était pas suspendue, accusant l’agence des Nations-Unies d’ « exprimer des opinions notoirement antisémites ».
Si le musée a maintenu l’exposition ouverte, il a cependant pris l’étrange mesure d’afficher une mise en garde à l’entrée et sur son site, informant les visiteurs des protestations de la communauté juive de Turin « critiquant la nature unilatérale, partiale et préconçue » de son contenu.
Le bureau de presse du musée a confirmé à The Electronic Intifada que c’était la première fois qu’un démenti était publié pour une exposition.
En outre, le musée a annulé aussi deux événements prévus pendant l’exposition : une table ronde, qui comprenait un orateur désigné par la communauté juive de Turin, annulée pour des « raisons d’organisation » ; et la lecture d’une œuvre du regretté poète palestinien Mahmoud Darwish. Selon le musée, ces événements ont été retirés afin d’éviter une « mauvaise interprétation » de l’exposition.
L’université de Padua a elle aussi retiré l’autorisation à une association d’étudiants pour collecter des fonds pour des réfugiés syriens et kurdes. Dans un post sur Facebook, les organisateurs disent qu’ils ont appris que l’annulation venait après la plainte d’un seul étudiant, israélien, à propos d’une carte géographique posée près d’une table de collecte, carte qui ne faisait pas partie officiellement de l’événement, où un étudiant avec écrit « Palestine » par-dessus le mot Israël.
Les organisateurs étudiants ont déclaré que le doyen n’avait pas seulement annulé les activités futures de collectage par leur groupe, mais qu’il avait aussi exigé que les demandes, pour les initiatives ayant trait à la Palestine, soient présentées conjointement avec un étudiant israélien.
Toujours en novembre, comme le journal La Stampa l’a rapporté, Daniela Santus, professeur à l’université de Turin, a refusé de présider un jury pour la présentation d’une thèse de deux étudiants diplômés, parce que leur sujet était la Palestine.
Le même professeur avait invité l’ambassadeur adjoint d’Israël en Italie à venir prendre la parole à l’université en 2005.
Ruba Salih, universitaire avec l’École des études orientales et africaines, à l’université de Londres, était présente avec Pappe à Rome. Se référant à la déclaration de la philosophe Judith Butler, « Toutes les vies ne sont pas susceptibles d’être pleurées », Salih a dénoncé la façon sélective avec laquelle les débats sur la Palestine sont censurés.
« Quand les enfants palestiniens sont présentés comme des boucliers humains, ils entrent inévitablement dans le domaine du non-humain, ils deviennent des objets et les cibles légitimes de la guerre, privés de subjectivité, » fait observer Salih. « Ils deviennent des non-vivants, ou des vivants sacrifiables, pour protéger la vie de ceux qui existent ».